Manuscrits. Écritures. Lectures.

By: Papyrus87 | May 07, 2018

Cinq mots d’herméneutique que j'aurais voulu écrire

07/08/2018


Nous n'avons que des mots pour communiquer, et malgré toute l'ambiguïté des mots pris isolément, nous communiquons en effet, et parvenons à nous faire "interpréter" correctement par ceux avec qui nous vivons, nous parlons, ou à qui nous écrivons.

Évidemment, pas toujours.


En matière d'interprétation biblique, nous sommes aussi arrimés à des mots, avec lesquels nous pouvons à la fois comprendre, nous faire comprendre, ou alors nourrir le malentendu.

Les mots de la Bible, nos propres mots.


Ci-dessous cinq "mots", soit cinq règles (mais je n’ai pas trop de sympathie pour les listes de règles), ou pistes, ou voies, comme l'on voudra.

Les cinq me conviennent, ainsi que l'esprit d'interprétation qu'ils représentent, avec ce qu'il a d'emblée de démarche toujours en chemin et en devenir, provisoire, en train d’apprendre, et ce qu’il y a d’incomplet dans chacun de ces cinq "mots" pris isolément.



Genre

Si la Bible est un tout, elle l’est de par sa diversité de genres littéraires.

Ne pas tenir compte du genre littéraire dans l’interprétation d’un texte biblique – mais cela est vrai de tout autre texte – relève du contresens.

Pour prouver un point ou appuyer une argumentation, on invoque souvent des textes étrangers les uns aux autres et on les met ensemble comme des requêtes d’une grande base de données, sans égard aucun pour la nature, le genre littéraire du corpus d’où on les extrait.

Cette dérive vers l’indistinction des Écritures est exacerbée, selon moi, par l’usage inconsidéré de la concordance et des logiciels bibliques, qui donnent l’illusion de maîtriser techniquement et définitivement un lieu biblique au prix d’un simple clic ou du simple listage de références chiffrées.

Entre autres, le plaquage de diverses théories des origines sur les récits bibliques de création — pour prouver que "la Bible est vraie" et que les découvertes modernes sont inscrites depuis longtemps dans ces antiques textes – laisse pensif : il cherche à faire de la Genèse un manuel scientifique, ce qu’elle n’est assurément pas.


Christotélisme

Ce néologisme cherche à rendre en fait une ancienne et simple vérité : en Christ, les Écritures s’accomplissent.

(cf. Jean 19:30 "C’est accompli")

Nous sommes davantage habitués au plus coutumier "christocentrisme", qui cherche à dire que dans l’Écriture – et dans son interprétation – tout tourne autour de Christ.

Mais le terme "christotélisme" insiste davantage sur la notion de but (τέλος telos), d’objectif, de finalité, de résolution.

Au lieu d’insister sur l’évidence naturelle, quasi-technique, d’une prédiction – l’AT aurait clairement prédit cela, et voilà, ceci est cela – il cherche plutôt à introduire le lecteur sur un autre terrain : celui de l’accomplissement inattendu, de la surprise.

C’est la raison pour laquelle la façon dont les auteurs citent les Écritures nous surprend plus d’une fois : ils cherchent à comprendre le développement étonnant auquel leurs propres Écritures ont conduit : la mort et la résurrection de Christ.

C’est précisément ce travail intérieur, inachevé, que les prophètes hébreux avaient déjà connu et intimement expérimenté avant eux, sans pouvoir l’exprimer clairement (lire 1 Pierre 1:10-11).


Incarnation

L’incarnation de Christ constitue le grand mystère de la foi chrétienne, sur lequel elle tombe ou elle tient.

Elle constitue également un modèle de lecture des Écritures : nous n’avons qu’une Bible incarnée, et non le simulacre terrestre d’une Table céleste tombé du ciel.

Nous sommes ici au cœur de la question, non plus des genres littéraires dans la Bible, mais de la nature de l’Écriture elle-même, et de la conception que nous en avons.

En général, ces questions fondamentales sont noyées dans des déclamations comme "La Bible est la Parole de Dieu", en laissant de côté l’essentiel : comment elle l’est.

L’analogie de l’incarnation est une voie pour penser la nature de l’Écriture, mieux que des théories extérieures plaquées sur elle.*


Œcuménisme

Compris au sens large, humain et non ecclésiastique du terme, pour dire que des pistes de compréhension sur l’Écriture et son interprétation peuvent venir de toutes parts, même des plus inattendues. On apprend plus de ceux qui ne pensent pas comme nous. Notre paresse naturelle a besoin d’être stimulée et provoquée hors de sa zone de confort et de la maniaque répétition du même.


Pèlerinage

Pour dire que nous sommes en chemin, que nous n’avons pas le dernier mot sur tous les points herméneutiques du monde, quand bien même serions-nous persuadés d’être dans la pure vérité !

Notre voyage est un comme un cantique des degrés : nous sommes en route, et nous n’avons pas encore atteint le but.

Une seule chose peut nous arriver : c’est de changer, explorer, chercher, entendre, écouter.

Plutôt que nous figer dans des habits usés que nous portions enfants, ou nous crisper comme des sentinelles à l’affût toujours sur la défensive et la guerre sainte.

Pèlerinage est synonyme d’humilité et d’humanité.


FG

Mai 2018


Grandement inspiré d’un billet de P. Enns :

For Those of You Wondering Why I Interpret the Bible the Way I Do

https://peteenns.com/interpret-the-bible-the-way-i-do/



* comme par exemple l’inflexible inerrance, sur quoi voir ces deux billets :

http://papyrus87.zohosites.com/blogs/post/Autographes/

http://papyrus87.zohosites.com/blogs/post/Autographes-inerrants/