Manuscrits. Écritures. Lectures.

By: Papyrus87 | August 25, 2017

"Inerrant in the autographs"

(Sans erreur dans les autographes)

25/08/2017


La bataille de l’inerrance* biblique a fait rage (est-elle bien terminée ?), surtout outre-Atlantique, et on n’en connaît pas le nombre de morts. Il a dû y avoir aussi beaucoup de blessés.

Si de nos jours les bruits de guerre semblent s’estomper un peu, l’hostilité est toujours dans l’air, et on ferraille toujours de-ci de-là.

Tellement de passions et d’enjeux ont été investis dans la Bataille pour la Bible, qu’il n’est pas possible d’abandonner du terrain sous peine de se renier ou de passer pour un hérétique en germe.

On peut juste soupçonner, craindre, et regretter que beaucoup de croyants aient été enrôlés dans des campagnes hors sujet par rapport à leur foi et leur vie concrète de tous les jours.


Mais ce n’est pas exactement le sujet de ce billet et il n’est pas difficile de se documenter là-dessus.

Et je ne veux pas me joindre aux hostilités...

C’est juste un prétexte pour quelques réflexions sur une formule exemplaire qui figure en tête de la respectée revue savante évangélique JETS (Journal of the Evangelical Theological Society).


J’adhérais volontiers autrefois à cette formule, même si ce n’était pas exactement en ces termes ramassés.

Sa forme succincte elle-même m’était particulièrement séduisante, un peu comme une unique équation courte et élégante, dans laquelle on pourrait enfermer l’univers (ici, l’univers de la foi).

Je la trouve aujourd’hui assez problématique, et peut-être la revue JETS elle-même l’a-telle trouvée difficile à maintenir telle quelle, vu qu’elle l’a complétée.

La phrase exacte, qui a servi un temps d’unique confession de foi d’une seule ligne pour l’ETS, était :


"The Bible alone and the Bible in its entirety is the word of God written, and therefore inerrant in the autographs."

(La Bible, elle seule et dans son entier, est la Parole de Dieu écrite, inerrante par conséquent dans ses autographes)


À propos de cette confession de foi lapidaire censée renfermer le tout de ce qu’il y a à croire, SMART (James D. Smart. 1970. The Strange Silence of the Bible in the Church. Philadelphia: Westminster Press. p. 58) disait d’une langue incisive :


Dans certains segments de la scène religieuse américaine, on a fait de l’infaillibilité des Écritures la doctrine centrale du christianisme.


Et en note 21 p.179 :


Sur la couverture intérieure de la revue de la Evangelical Theological Society, figure la déclaration du "Fondement doctrinal" de cette société savante : "La Bible seule, et la Bible dans son entier, est la Parole de Dieu écrite, et par conséquent inerrante dans les autographes".

Cette doctrine unique, isolée de toutes les autres, est particulièrement non-évangélique [singularly unevangelical].


Depuis 1990, elle est complétée par une déclaration trinitaire, figurant au bas de la 2e de couverture dans la revue :


"The Bible alone, and the Bible in its entirety, is the Word of God written and is therefore inerrant in the autographs. God is a Trinity, Father, Son, and Holy Spirit, each an uncreated person, one in essence, equal in power and glory."

(… Dieu est une Trinité – Père, Fils, et Saint-Esprit – chaque personne étant incréée, une par essence, égale en puissance et en gloire)

(il n’est pas clair pour moi si "one in essence" s’applique à la Trinité ou bien à chacune des personnes)

http://www.etsjets.org/about (accédé 30/07/2017)


On peut se demander pourquoi l’ajout de cette confession de foi trinitaire – et de seulement celle-là – a été jugé nécessaire, puisque tout était déjà contenu et enfermé dans la première ligne. Sans doute la réponse se trouve-t-elle dans l’histoire de l’ETS.

Mais ce n’est toujours pas là mon propos.

Les lecteurs intéressés n’ont pas besoin de ce blog pour s’informer sur ces questions (voir plus bas quelques liens rapidement glanés).


En fait, prenant cette prémisse philosophique et théologique de l’ETS / JETS comme prétexte, mon propos se situe sur un plan plus large et sans rapport avec une question de doctrine : les mécanismes inconscients en jeu dans la nécessité de postuler une inerrance des autographes, après celle d’avoir postulé l’existence même d’autographes.

Cela évidemment touche à bien des domaines (nature de l’Écriture, nature de l’inspiration, interprétation biblique), que je ne prétends pas attaquer de front.

À nouveau, ce n’est pas mon propos, et je ne vais pas (cette fois-ci) m’y laisser entraîner.


Je reviens à l’unique objet de ce billet : la nécessité de l’inerrance biblique des autographes comme mécanisme inconscient.


L’idée d’inerrance biblique existe en soi, à la limite sans même l’exigence de la lecture. S’il y a une inerrance des Écritures, c’est parce que c’est ce que doivent être les Écritures : inerrantes.

Car si elles ne sont pas inerrantes, alors elles ne sont pas les Écritures, parole écrite d’un Dieu inerrant.

C’est la raison pour laquelle on peut facilement adopter et militer pour imposer cette inerrance comme marqueur d’identité ou shiboleth : c’est une question de foi, pas de lecture.

Un préalable de principe posé à la lecture.


Cette idée existant en soi se greffe sur une autre idée existant en soi : le concept d’autographes.


En un mot, il existe une inerrance des autographes parce qu’il faut une inerrance des autographes pour que la Bible soit la Bible.

Comme il faut des autographes parce que la Bible réelle telle que nous l’avons est moins inerrante que ces autographes.


Postuler l’existence d’autographes inerrants revient donc en réalité à affirmer que la Bible telle que nous l’avons maintenant n’est pas inerrante.

Cette fixation sur l’autographe est un artifice conceptuel.

Cette crispation sur l’absence d’erreur est un biais de la foi.


Le but atteint est de surcroît le contraire de celui recherché !

Une fois posée par principe l’idée d’une Bible parfaite en ses autographes, on se contente (il le faut bien) de la Bible telle qu’on l’a – la seule que nous ayons de toute façon ! – comme d’une moindre bible, copie pâlie d’un original qui n’est plus.

La faiblesse logique et théologique de la démarche saute aux yeux.


Pris dans cet engrenage, l’inerrantiste est condamné à donner à cette inerrance théorique d’un autographe spéculatif une place indue qui déséquilibre la foi et la distrait.

Il est pris en étau dans une dure alternative : soit la Bible est sans erreur, soit il faut la jeter.

Terrible dilemme !


Le remède à cette pression logique est la lecture des Écritures (et plus d’une lecture), et des Écritures telles que nous les avons.

Dont la connaissance inductive déportera les préconceptions et les prémisses logiques de leur place centrale indue.


Liens utiles, parmi mille.

"Chicago Statement on Biblical Inerrancy" 1978 art. X

http://www.bible-researcher.com/chicago1.html


Article Wikipedia sur l’inerrance biblique (en anglais, plus complet que celui en français)

https://en.wikipedia.org/wiki/Biblical_inerrancy


L’adoption de l’inerrance par l’ETS

http://www.bpnews.net/24424/evangelical-theological-society-adopts-inerrancy-statement


L’idée problématique d’autographes

http://www.crivoice.org/autograph.html



* strictement, inerrance n’existe pas en français. C’est un calque de l’anglais pour simplement dire l’absence d’erreurs (de tout ordre : factuel, historique, spirituel) dans les Écritures.