Manuscrits. Écritures. Lectures.

By: Papyrus87 | August 24, 2017

Autographes

24/08/2017


Plus ou moins consciemment ou explicitement, la doctrine évangélique de l’Écriture repose (en général) sur une prémisse philosophique problématique : l’existence d’autographes, et d’autographes tous disparus.

(le lien organique de cette idée avec l’inerrance des Écritures – une autre prémisse philosophique – fera l’objet du prochain billet)


La position de principe, sur le mode de l’évidence, de l’existence d’autographes peut subsister à l’état d’axiome non dit.

Ou alors être explicitement affirmée, comme par exemple dans la phrase qui a servi un temps d’unique confession de foi d’une seule ligne de l’ETS (Evangelical Theological Society) :


"The Bible alone and the Bible in its entirety is the word of God written, and therefore inerrant in the autographs."


Ce billet se penche sur les mécanismes inconscients en jeu dans la nécessité de postuler l’existence d’autographes.


Le concept d’autographes est une idée existant en soi, une abstraction. Une abstraction problématique de surcroît, et non nécessaire, s’agissant pour la plupart de textes de tradition, et non d’auteur.*

Peut-on, avec cette idée, mettre sur le même plan l’épître aux Romains (par exemple) et le Pentateuque (par exemple) ?


La nécessité philosophique de ce concept le rend immédiatement évident pour celui – ou pour le système théologique – pour qui il est nécessaire.

Dans ce mécanisme de la pensée, dans cette illogique logique, s’insinue en fait une idole : une image de Bible. Dans ce raisonnement inconscient et circulaire (il y a un autographe parce qu’il faut qu’il y ait un autographe), le concept d’autographes n’est ni pensé ni interrogé. Il est rangé au chapitre des évidences.

Dans cette configuration de l’esprit, l’autographe (inexistant) est assimilé au texte original "original" (qui est "quelque part"), et qui n’existe en réalité que sous la forme mentale d’une Table céleste.

C’est comme si l’existence passée (mais présente virtuellement) d’autographes rendait possible l’existence maintenant de la Bible que nous avons et telle que nous l’avons.

Cette nécessité interne, théorique, d’autographes disparus comme "bible idéelle" fait de la Bible réelle une réplique imparfaite de tables brisées dont il faut se contenter.

Cette concession à la réalité tient d’un refus inconscient de la réalité.

Cette concession à une image de Bible tient de l’idole.


L’âme humaine, assoiffée et mourant du désir d’entendre la parole de Dieu, est fascinée par l’idée de tenir en tout temps dans sa main cet objet mental : un livre parfait, objet seul de son espèce dans l’univers, un morceau du ciel, des tables toutes écrites du doigt de Dieu.

Cette fascination ne date pas d’hier ni de l’émergence des mouvements évangéliques dits "fondamentalistes" qui lui ont donné sa tournure logique moderne.

C’est le vœu secret et inconscient de l’être humain que de détenir objectivement et s’approprier matériellement les oracles de Dieu, figés et gravés définitivement dans un livre céleste parfait dont nos bibles seraient la réplique tangible presque parfaite.

L’étape suivante, juste un pas plus loin, c’est de faire venir cette image à l’existence.

Une fois que la conscience claire la possède sous forme de doctrine préalable à toutes les autres, la conscience claire ne peut que s’enferrer dans des déclarations véhémentes : "De quel bord êtes-vous ? Mot de passe !", tel est le halte-là des gardiens des tables.


* "La notion même de « première mise par écrit » s’avère problématique. Les textes bibliques relèvent pour la plupart d’une littérature de tradition et non d’une littérature d’auteur."

Joosten, Jan. 2012. “Variations, évolutions, rupture: une approche diachronique de l’hébreu biblique.” p. 3.

Accessible sur https://www.academia.edu/33889551/ (accédé en août 2017).