By: Papyrus87 | January 31, 2019
Qumrân: Les manuscrits de la discorde
31/01//2019
M’intéressant ces temps-ci de plus près aux fameux manuscrits de la Mer Morte, mes premières lectures "sérieuses" me font entrer sur les vestiges de champs de batailles sans merci qui ont dû se livrer entre fouilleurs.
La tonalité ironique par endroits, guerrière parfois, laisse deviner des enjeux pas vraiment et uniquement académiques.
Exemples:
- dans le chapitre "Le contexte historique des manuscrits" de F. M. Cross (dans H. Shanks, L’Aventure des manuscrits de la mer Morte, Paris, Seuil, 1996), je lis p.55:
Il est vrai que le bruit et la fureur [!] des premières controverses ne se sont pas entièrement dissipés. De temps à autre s’élève le cri d’agonie d’un savant se débattant sous une théorie effondrée. Et nul doute que, dans la presse à sensation, la « bataille des manuscrits » ne continue quelque temps encore à être perpétuée par des mercenaires.
- et p. 56:
En théorie, il n’existait pas, à mon avis, forcément de lien entre les communautés des deuxième et troisième phases1.
1. Comme le prétend, par exemple, G. R. Driver dans son étude arbitraire et fantaisiste, The Judaean Scrolls, Oxford, Blackwell, 1965.
- et p. 214, dans un autre chapitre du même auteur, à propos du canon:
Nous ne pouvons reculer la date de la fixation du canon pharisien à une époque antérieure à celle de Hillel, comme a tenté de le faire un savant d’occasion.
- dans E. Puech, "Khirbet Qumrân et les esséniens", Revue de Qumrân 94 (2011), 63-102, je lis pp. 72-73:
À part quelques rares voix discordantes, tels G.R. Driver (46), K.H. Rengstorf (47), et N. Golb, le consensus assez général de cette première génération semblait s’imposer, et même s’affermir avec la publication progressive des textes, sans qu’il soit pour autant devenu un « dogme » comme il a pu être écrit (49)…
(49) Voir A. Paul, Qumrân et les Esséniens. L’éclatement d’un dogme, (Paris :
Le Cerf, 2008) : titre d’autant plus provocateur que de 'dogme' il n’y a jamais eu, et
qu’en définitive l’éclatement préconisé est un leurre, comme il sera montré ci-dessous.
Ce livre n’est pas exempt de nombreuses inexactitudes et d’approximations pour qui
est familier des lieux et des manuscrits, mais on retient l’abandon préconisé du mot
‘secte’, abandon que nous pratiquons aussi depuis longtemps. Malgré des propositions
aussi diverses que farfelues de la part des éditeurs aussi bien que des archéologues
pour contrer l’hypothèse dite consensuelle et toujours majoritaire, l’hypothèse esséni-
enne est encore celle qui s’impose.
- et à propos des érudits chargés au départ d’éditer les manuscrits et qui faisaient traîner la chose en longueur, je lis dans "Les manuscrits de la Mer Morte" d’Aimé Fuchs (2000), p. 5:
Pour le Jésuite J. A. FITZMYER [4], la cause première de ces retards est
à chercher dans le désir des auteurs d’accompagner chaque texte de com-
mentaires sans fin, alors qu’on attendait d’eux une simple translittération
en caractères hébraïques modernes, une ébauche de traduction et quelques
notes sur les difficultés de lecture. Le désir d’avoir le dernier mot, le souci
de chacun de protéger son pré ont conduit finalement à un retard scan-
daleux.
- et toujours p. 5:
Après cette guerre, le Musée Archéologique de Palestine, redevenu le
Musée Rockefeller, passa sous contrôle israélien. Son directeur, le Père de
VAUX, une forte personnalité qui ne faisait pas mystère de ses sentiments
anti-israéliens, fut néanmoins maintenu dans ses fonctions jusqu’à son
décès en 1971.
Il fut remplacé comme rédacteur en chef par son adjoint, le Père
P. BENOIT, un autre dominicain de l’École Biblique, qui décéda en 1987.
Le Britannique J. STRUGNELL lui succéda à ce poste, mais celui-ci fut
obligé de quitter ses fonctions à la suite de propos violemment antijuifs
qu’il avait tenus à la presse (Ha-aretz, 9 novembre 1990).
J’ai retrouvé ces propos exécrables en question dans**:
Malka, Salomon, Jésus rendu aux siens: Enquête en Terre sainte sur une énigme de vingt siècles, Paris, Albin Michel, 2012, pp. 21-22:
À la fin de l'année 1990, Emmanuel Tov, professeur à l'université hébraïque de
Jérusalem, est nommé coéditeur en chef, aux côtés de John Strugnell.
Mais l'équipe internationale n'est pas au bout de ses tourments. Quelques mois
plus tard, paraît dans le quotidien Haaretz une interview violemment antisémite de
John Strugnell. Il y déclare entre autres : « Le judaïsme est d'origine raciste. Un
antijudaïste, voilà ce que je suis. Vous voyez, je plaide coupable. Je plaide coupable
de la manière dont l'Église a constamment plaidé coupable, parce que nous ne
sommes pas coupables, nous avons raison. Le christianisme se présente comme une
religion qui vient remplacer la religion juive. La juste réponse des Juifs au
christianisme est de devenir chrétiens. Des atrocités ont été commises dans le passé,
j'en conviens — l'Inquisition, des choses de ce genre. Nous devrions certainement
nous conduire en chrétiens. Mais le jugement fondamental à porter sur la religion
juive est, selon moi, négatif. » « En quoi le judaïsme vous ennuie-t-il ? » demande le
journaliste Avi Katzmann. Strugnell répond : « C'est la survivance du groupe, des
Juifs, de la religion juive. Cette religion est horrible. C'est une hérésie pour le
christianisme et nous recourons à différents moyens pour traiter nos hérétiques. Vous
constituez un phénomène que nous n'avons pas réussi à convertir. Or nous aurions dû
réussir, Je crois que la bonne réponse pour l'islam, le bouddhisme et toutes les autres
religions, est la conversion au christianisme, Le judaïsme me dérange en un sens
différent, parce que les autres sont devenus chrétiens quand nous avons œuvré
énergiquement à cette conversion, tandis que les Juifs se sont cantonnés dans une
position antichrétienne. »
L'interview paraîtra dans la Biblical Archaeological Review. Strugnell est révoqué
de ses fonctions, officiellement « pour raisons de santé ». Emmanuel Tov, resté seul
éditeur en chef, annonce le 27 octobre 1991 que tout chercheur qualifié aura
désormais libre accès aux documents.
[** jusqu'à ce je me rende compte que je l'avais in extenso dans mon exemplaire de H. Shanks, L’Aventure des manuscrits de la mer Morte, pp. 334-338, dans la dernière partie "Manuscrits et controverses" (le cas Strugnell, le silence et l'antisémitisme autour des manuscrits, la thèse conspirationniste)]
Voir l'article de la BAR ici.
Heureusement que nous arrivons après les batailles…
FG
PS
Pour l’affaire récente des faux manuscrits, voir le billet de M. Langlois ICI.
Et mon billet:
Le temps, c'est de l'argent ! (faux Qumran)
Category: historique
Tags: judaisme, manuscrits, Qumran, tous, 2019, antisemitisme