By: Papyrus87 | December 31, 2017
Noël à Nazareth
31/12/2017
C’est de retour d’Égypte que Joseph, évitant la Judée, abrita discrètement sa famille à Nazareth de Galilée.
De là Jésus prit son nom : Jésus le nazaréen.
Matthieu (Mt 2) parsème son récit de ces péripéties de citations des Écritures toutes plus surprenantes les unes que les autres.
Du moins pour nous lecteurs modernes.
Pour les comprendre, les commentateurs n’ont pas manqué d’ingéniosité. Quant à la prédication populaire, elle les esquive le plus souvent, tout simplement.
Il n’est pas rare que par une sorte de réflexe apologétique, l’on recoure à diverses acrobaties exégétiques, plus pour "justifier" Matthieu que pour essayer d’entrer dans son monde, dans son cadre de pensée et dans ses références.
Le commentaire évangélique fréquent, voulant voir dans ces prophéties des prédictions directes sur Jésus – dont l’accomplissement prouverait que "la Bible est vraie" – fait reposer la vérité des Écritures et de Christ sur des fondements bien fragiles. De telles "prédictions" d’ailleurs ne convaincront personne qui n’a pas déjà la foi en Jésus.
Pour la simple raison que ce ne sont pas des prédictions !
Parmi les textes des prophètes hébreux que cite Matthieu 2, se trouve celui – inattendu – d’Osée 11:1 :
Quand Israël était jeune, je l'aimais :
d'Égypte j'ai appelé mon fils.
(traduction Nouvelle Bible Segond)
Il est remarquable qu’ici Matthieu voulant centrer l’attention sur une personne – Jésus – ne reproduit pas la traduction de la LXX qui, elle, a un pluriel ("mes enfants"), mais donne une traduction littérale de l’hébreu ("mon fils").
Mais le "mon fils" de l’hébreu est clairement un singulier collectif : il n’est qu’à lire la suite du chapitre, où il est question d’Éphraïm, d’Israël, c’est-à-dire du peuple du royaume du nord auquel Osée s’adresse.
Ce n’est certes pas là une "prédiction" au sujet de Jésus.
Il faut lire Jérémie 31:9 pour un parallèle, concernant cette fois le retour d’exil, où Dieu ("je suis un père pour Israël") appelle son fils Jacob-Israël ("Éphraïm est mon premier-né") hors de Babylone. C’est d’ailleurs dans ce même chapitre qu’on trouve l’oracle sur Rama (v. 15), repris par Mt 2:18.
(pour l’importance du thème du retour chez Matthieu, cf. sa quadruple mention de Babylone en Mt 1)
Si ce n’est pas une prédiction, donc, qu’est-ce alors ?
Pourquoi et comment Matthieu cite-t-il ce texte ?
Si l’on abandonne l’idée de prédiction directe – qui selon moi ne correspond en rien à l’esprit du texte – et si l’on renonce à "justifier" de diverses manières Matthieu d’avoir cité un texte sans rapport évident avec le retour d’Égypte de Joseph avec sa famille, l’on pourra mieux entrer dans le génie de son évangile.
Matthieu vit et écrit dans un monde d’harmoniques scripturaires : les textes s’appellent les uns les autres selon une autre "logique" que la nôtre. Son univers, et celui de son premier auditoire, est celui de la lecture juive des Écritures.
La question n’est pas de savoir si l’on peut prendre la même liberté que lui pour faire entrer en résonance des textes entre eux.
Elle est plutôt de savoir si nous sommes capables de nous défaire de notre logique "prédiction / accomplissement" pour entendre une Parole dans les mises en écho nombreuses chez Matthieu (quatre rien que dans Mt 2) de textes anciens avec la nouveauté en Christ.
Être plus sensible à cette exégèse interne nous prémunira du risque d’imposer à l’Écriture un habit qui ne lui va manifestement pas.
C’est l’histoire d’Israël que Matthieu, à la lumière de Christ, relit. C’est une relecture qui fait de cette histoire ancienne une histoire nouvelle.
Mt 2:15 ne cite donc pas une prédiction sur Jésus faite plus de 700 ans auparavant, que l’auditoire d’Osée n’a à coup sûr pas entendue, et qui laisse perplexe le lecteur moderne à la recherche de "preuves".
Il invite plutôt son lecteur à considérer de quelle lumière nouvelle Christ éclaire ces Écritures anciennes, et l’histoire d’Israël.
Ce n’est pas "prouver" que la Bible est vraie que ce texte nous pousse à faire.
La Bible aura soin d’elle-même.
C’est au contraire d’entendre une Parole dans cette relecture qui est notre premier besoin.
Category: biblique
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