Manuscrits. Écritures. Lectures.

By: Papyrus87 | April 03, 2017

Deux points, ouvrez les guillemets...

03/04/2017


Nous vivons dans un monde de citation.

On cite pour reconnaître sa dette, comme c'est juste.

On cite ses amis, on cite ses ennemis.

On cite pour honorer, on cite pour tuer.

On cite ses pères, on cite ses maîtres à penser.

Gare au plagiaire qui donne à croire.

Gare au citateur indélicat.

Gare aux extraits hors contexte, sous peine d'ennuis.

Et on doit avec rigueur fermer les guillemets : fin de citation.
On cite tellement que c'en devient fastidieux : lire un texte farci de renvois et de notes fatigue.

Saine fatigue, dira-t-on, qu'une lecture qui foisonne.

Et que dire des interminables bibliographies ?

Un coup d'œil suffira pour l'instant...

Quels que soient la conviction, la religion, le parti, on citera.

Et dans certaines formes de piété, la parole n'est plus qu'une récitation ininterrompue d'Écritures éparses ou des pères. Une foi ventriloque ?

Mais la citation est aussi le canal d'un flux vital qui nous a nourris, nous a formés, nous a créés.

C'est la confession et la conscience d'une altérité qui nous a fait sujet. Citer, c'est alors reconnaître et se reconnaître, séparer, se séparer.

Personne ne s'est engendré à lui seul. Et reconnaître sa dette est la première pierre et le premier pas d'une pensée libre et autonome.

La maîtrise d'un sujet peut être aussi subtilement signalée par l'absence de citations, tellement il a été intégré et assimilé.

Comme ce peut être aussi le fait d'une grande ignorance ou d'une pensée sauvage, qui s'écoute et se cite elle-même.

La citation est aussi le fruit d'un grand travail intérieur : le "travail de la citation".

(la formule n'est pas de moi, je la cite*).


Nous ne faisons que nous entregloser.


(la formule n'est pas davantage de moi, je la tiens de quelqu'un qui la tient de Montaigne*).


Tout lecteur de la Bible – surtout du Nouveau Testament, mais pas seulement – va être confronté sans tarder à cette omniprésente intertextualité.

Dépouillons le NT de ses citations, il ne restera plus qu'un squelette méconnaissable et incompréhensible.

L'Écriture cite l'Écriture dans une sorte de travail ininterrompu d'exégèse interne, allant de l'allusion à peine sensible à la citation formelle, à la reformulation, à la recomposition, à la relecture, à la réécriture.

Même un singulier au lieu d'un pluriel peut faire sens pour un Paul interprète et grand citateur (cf. Galates 3:16).


L'étude de la citation intra-biblique – ses mécanismes, ses formes, ses paradoxes, son rôle, ses rapports avec l'inspiration, l'interprétation et la nature de l'Écriture – est chose passionnante, et ne laisse pas d'interroger le lecteur et de déplacer la réflexion.

Et d'influencer la foi, qu'on s'en rende compte ou non.

À ma petite mesure, je participe de ce travail, car la chose m'intrigue et m'interroge depuis que je connais la Bible.

Travail de l'âme et de l'esprit que la citation biblique ne manque pas de mettre en branle.

Et tout "simple" lecteur de l'Écriture y viendra.

Là se joue un nouage vital entre foi et Écritures.

Quelques études de cas, à commencer par Psaume 110:1 et sa citation dans Matthieu 22.


* Compagnon, Antoine. 2016. La seconde main : Ou le travail de la citation. Paris : Points.