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By: Papyrus87 | July 17, 2017

Des choses nouvelles, et des choses anciennes

17/07/2017


L’Église a toujours justement résisté à la mise à l’écart de la Bible hébraïque, l’ancien Testament, comme on a fini par l’appeler.

Même si en réalité la confession de principe de l’AT (les trois-quarts de la Bible) comme Parole de Dieu au même titre que le NT peut s’accommoder dans la pratique de sa mise de côté fonctionnelle, une des raisons étant qu'il contient nombre de textes dont on ne sait trop que faire et que dire, tellement ils sont distants, étranges, déroutants, ou embarrassants.

Dans la pratique, on esquive ces textes sans dommage, tout en les transportant avec soi...

Sans parler du fait que souvent on ne sache plus très bien le sens de "testament", ce sur quoi d’ailleurs on ne s’interroge pas outre mesure.

Les deux testaments sont donc bien conservés ensemble et sont l’objet d’une égale réception en théorie.

L’articulation des deux testaments est par contre diverse et parfois contradictoire.

Les Réformateurs déjà avaient une conception différente de l’usage de la Loi. Parmi leurs héritiers évangéliques, on entend ou on lit en général que :


- l’AT concerne la vie terrestre, le NT la vie céleste

- l’AT concerne un peuple et un pays, le NT concerne le monde entier

- l’AT est périmé quant à la loi cérémonielle, mais la loi morale subsiste et est conservée dans le NT

- l’AT est un pédagogue temporaire vers le Messie, le NT est sa pleine révélation

- etc.

Même s’il y a une part de vrai dans toutes ces affirmations, elles ne se trouvent pas telles quelles dans l’Écriture elle-même mais sont le fruit de raisonnements théologiques, discutables et critiquables.


Mais il y a une différence entre les deux Testaments qui, elle, peut bien se constater, et qui porte sur une différence de perspective sur laquelle on s’arrête peu.*

Il y a même un certain malaise à l’évoquer.

L’AT est une collection de livres formée sur le long cours, plusieurs centaines de siècles. Et il comporte des textes où la vie de la foi se déploie aussi sur le long cours, avec ses hauts et ses (nombreux) bas, comme aussi avec ses combats, ses doutes, ses crises, ses moments sombres, ses procès avec Dieu.

Cet aspect de la foi correspond mieux à la réalité de notre commun pèlerinage, qui ressemble à bien des égards aux pérégrinations spirituelles des anciens Israélites.

C’est là qu’on trouve des textes comme Job (sa révolte contre Dieu, contre ses amis), l’Ecclésiaste (ses équivoques remises en question et états d’âme), ou les Psaumes (à qui rien de notre âme et de ses combats n’est étranger – il n’est pas surprenant d’ailleurs que certaines éditions du NT seul les relie en annexe, comme si l’on sentait qu’il manque quelque chose).

Ou des textes prophétiques très étendus, qui sont comme des océans à traverser.

C’est encore dans "l’ancien testament" qu’on rencontre la violence de paroles inaudibles comme celles d’un Jérémie : "Il a été pour moi un ours en embuscade, un lion dans un lieu caché… Il a fait entrer dans mes reins les traits de son carquois… etc." (Lamentations de Jérémie 3).


La tonalité du NT est tout autre. Il a été rédigé sur un temps bien plus court comparativement à l’AT, l’espace d’une génération environ. Et la perspective générale est aussi plus courte.

Certes la souffrance n’y est pas absente, mais y domine surtout le sentiment d’un renversement imminent des choses.

On connaît l’impatience des disciples – jusqu’au bout, en Actes 1 ! – pour le rétablissement du royaume d’Israël.

Et la lecture des épîtres n’atténue pas cette impression d’imminence. On ne sent pas une perspective de long terme, et même un Paul allait dire que l’Évangile avait déjà atteint le monde entier (Romains 1:8 et Colossiens 1:6).

La tonalité générale est celle d’une fin de voyage. Les derniers temps sont là (cf. 1 Timothée 4:1, où Paul avertit Timothée des dérives des derniers temps où ils se trouvent).

Les croyants de Thessalonique étaient désarçonnés à la vue de la mort de certains d’entre eux alors que Jésus n’était pas encore revenu. Paul doit les rassurer dans leur affliction : ils sont partis mais ils reviendront à la vie bientôt, lorsque le Seigneur reviendra en les ressuscitant et en nous prenant avec lui, eux et nous les vivants. Paul était donc persuadé (à ce moment-là du moins, dans cette première de ses épîtres) d’être parmi ces vivants-là à l’avènement tout proche du Seigneur.

Tout comme les Thessaloniciens d’ailleurs (1 Thessaloniciens 1:10), d’où leur désarroi.

C’est encore l’impression que donne la deuxième lettre que Paul leur a écrite (2 Thessaloniciens 1:4-10) où, persécutés, les croyants s’attendent à ce que Dieu rende bientôt l’affliction à leurs persécuteurs et établisse son royaume en leur rendant justice.

Et en d’autres endroits encore , Paul n’écrit pas de "s’installer" dans la vie comme si on allait devoir y rester un long moment. Tout le contraire : leur génération n’allait pas passer sans qu’ils voient la parousie.


Malgré les protestations qu’il faut, peu de croyants donnent l’impression d’être vraiment sur le départ. Dès le lundi, et heureusement peut-on dire, nous montrons tous de gré ou de force une sainte inconséquence...

Qui ne fait de projets – de mariage, d’études, d’entreprises, de construction ?

Certes l’on dira qu’il le faut bien, mais qu’en réalité, on a les reins ceints pour partir dans la nuit.

Tout cela est vrai.

Mais il n’en reste pas moins aussi vrai que certains textes donnent l’impression que le train va s’arrêter à la prochaine gare, et qu’il faut s’apprêter à descendre.

Paul dit franchement qu’il est préférable de ne pas se marier, pour s’épargner des inquiétudes et des tribulations supplémentaires – conjugales et familiales – qui vont s’ajouter à celles des temps difficiles de la fin toute proche.

Et comme le temps est court, qu’on soit comme non marié si on l’est déjà.

(quelqu’un se demandera peut-être ce que cela peut bien vouloir dire)

Si les mots ont un sens, cela signifie que c’est une question de jours, de quelques années au pire, de peu de délai en tout cas : le monde est en train de passer ("la figure de ce monde passe"), c’est la fin.

Chacun pourra lire cela en toutes lettres dans 1 Corinthiens 7.


Ce sentiment d’urgence est perceptible bien ailleurs encore.

Il est fort peu probable par exemple que les premiers croyants aient compris les mots "Je viens bientôt" – répétés plusieurs fois en Apocalypse 3 et 22 – autrement que ce qu’ils disent : bientôt.


Bien entendu, cette lecture des textes troublera plus d’un lecteur, et les stratagèmes d’interprétation pour l’écarter ou la concilier avec une optique longue ne manquent pas.


Après deux mille ans, et bien des accès de fièvre millénariste et eschatologique avortés, laissant dans leur sillage désillusion et dissonance cognitive dans des âmes mystifiées qui ont dû affronter les rigueurs d’un réel revenu au galop, nous croyons nous aussi que "Jésus revient bientôt", mais – pour parler franchement – pas exactement de la même manière.

Nous sommes dans les derniers temps depuis la résurrection de Christ, et personne ne sait combien de temps ils vont durer, et tous ceux qui se sont risqués à en annoncer le terme ont tous eu un point commun jusqu’ici : ils se sont tous trompés.

Certes, l’un d’eux finira par avoir raison un jour...


C’est pourquoi les choses "anciennes" – ces textes de l’AT mentionnés au début – sont toujours là pour nous accompagner dans notre voyage – long ou court – dans un monde difficile, où le triomphalisme sonnerait faux au sein de nos quelques succès et de nos nombreuses faillites, de nos déserts et de nos exils, et où la souffrance n’a visiblement pas encore rendu les armes.



* je m’inspire ici du chapitre "The Long Haul" (pp. 195-197) de :

Enns, Peter. 2016. The Sin of Certainty: Why God Desires Our Trust More Than Our “Correct” Beliefs. New York, NY: HarperOne.

Lecture vivement déconseillée...

Category: theologique 

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