By: Papyrus87 | January 15, 2017
De l'étymologite...
15/01/2017
Il arrive que lorsque l'Écriture a un sens trop prosaïque, on recoure sans nécessité à l'étymologie à outrance pour lui donner un sens plus profond qu'il n'y paraîtrait en surface.
Cette irritante démangeaison cherche parfois en passant à dévoiler (ou voiler, comme on voudra) le sens contextuel raisonnablement clair d'un passage biblique en un texte sibyllin révélé au lecteur ordinaire qui en restera bouche bée, texte qu'il ne risque guère de découvrir lorsqu'il n'a – le pauvre et le malheureux – qu'une Bible en traduction.
On fera tinter aux oreilles fascinées d'auditeurs stupéfaits les sons magiques du grec et de l'hébreu.
L'Écriture se transforme alors en un réservoir de sens fantastiques réservés aux peu nombreux, et distillés aux simples en chemin.
C'est cette vieille maladie de l'étymologite, qui s'abîme dans les racines des mots et qui abasourdit les pauvres croyants qui ignoraient tout jusque là de ce qu'ils disaient et lisaient, jusqu'à ce que l'oracle leur révèle les profondeurs des mots de l'Écriture...
Ainsi, la pire des méthodes pour comprendre un texte et un mot dans son temps et dans son usage, cette solution de dernier recours, parfois de désespoir, est doctement érigée en parangon secret de l'art de toucher la cristalline vérité.
Un ancien, Rivarol (1783 !), disait déjà :
Ce sont ces racines des mots que les étymologistes cherchent obstinément par un travail ingénieux et vain. Les uns veulent tout ramener à une langue primitive et parfaite ; les autres déduisent toutes les langues des mêmes radicaux.
[…]
Il me semble que ce n'est point de l'étymologie des mots qu'il faut s'occuper, mais plutôt de leurs analogies et de leurs filiations qui peuvent conduire à celles des idées. Les langues les plus simples et les plus près de leur origine sont déjà très altérées. Il n'y a jamais eu sur la terre ni sang pur ni langue sans alliage. Quand il nous manque un mot, disaient les Latins, nous l'empruntons des Grecs : tous les peuples en ont pu dire autant. La plupart des mots ont quelquefois une généalogie si bizarre qu'il faut la deviner, et la plus vraisemblable est souvent la moins vraie.
[…]
Comment donc se flatter d'avoir trouvé la vraie racine d'un mot ? Si vous me la montrez dans le grec, un autre la verra dans le syriaque, tel autre dans l'arabe. Souvent un radical vous a guidé heureusement d'une première à une seconde, ensuite à une troisième langue, et tout à coup il disparaît comme un flambeau qui s'éteint au milieu de la nuit.
[…]
Il est d'ailleurs si rare que l'étymologie d'un mot coïncide avec sa véritable acception qu'on ne peut justifier ces sortes de recherches par le prétexte de mieux fixer par là le sens des mots. Les écrivains qui savent le plus de langues sont ceux qui commettent le plus d'impropriétés. Trop occupés de l'ancienne énergie d'un terme, ils oublient sa valeur actuelle et négligent les nuances qui font la grâce et la force du discours.
Nous ne devrions donc pas bâter un texte biblique de trop d'étymologie.
Son utilité est toute relative et varie en proportion inverse du corpus biblique et extra-biblique dont nous disposons (moindre en hébreu, plus grand en grec).
Heureusement, l'Écriture parvient à nous atteindre malgré des interprétations chéries laborieusement extraites des racines et malgré cette seconde "bible" dont on la recouvre.
Sources
Rivarol. Discours sur l'Universalité de la langue française
consulté sur http://www.bribes.org/trismegiste/rivarol.htm
Carson, D. A. 1984. Exegetical Fallacies. Grand Rapids, Mich: Baker
(une seconde édition a paru en 1996, dont je ne dispose pas)
Voir son chapitre sur le recours spécieux aux racines des mots pour en déterminer le sens : "The root fallacy", pp. 26-32, avec quelques exemples savoureux.
Category: biblique
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