Manuscrits. Écritures. Lectures.

Galates 4:21 à 5:1 "C'est pour la liberté..."

version octobre 2017

Galates 4:21-5:1 – Liberté, liberté

Une exégèse subversive pour subvertir les subversions de l'Évangile


IntroductionExégèseConclusionAbréviationsBibliographie commentée


Galates 4:21-31 "Dites-moi... liberté... servitude"


Quel mot est à la fois plus chargé de sens et vide de sens que le mot Liberté ?

Ce passage de Paul où je m'aventure a été foulé par une multitude d'auteurs avant moi : c'est un flot de littérature qu'il a déclenché, qui reste hélas à distance de la majorité.

Paul en serait sans doute surpris !

Et je n'aurai jamais le temps de tout lire...

Mais une chose me paraît claire : ce passage ne parle pas de la liberté en général, ni de la liberté du péché, des passions, ce qu'on entend généralement par là en langage évangélique type.

Ici, il est question de la liberté d'avec des hommes, quelle qu'ait été leur sincérité, ce qui n'a rien à y voir.

Je vois un parallèle clair entre la violence des paroles de Paul et celle des paroles de Jésus lorsqu'il prend la défense des petits contre l'influence sur leur âme d'un pouvoir religieux.

J'entends par religieux l'attraction vers l'archaïsme religieux, dont personne n'est libre, qui se déguise le mieux sous des habits de piété quand ils sont teintés de christianisme, et qui a ses textes bibliques choisis.


Ceci est un commentaire libre, qui n'est pas un commentaire d'ailleurs. N'étant tenu à aucun maintien académique, il est consciemment engagé (et n'engage que moi).

Je ne cite pas minutieusement les lectures qui m'ont influencé – heureux ceux qui ne sont influencés par personne –, dont une liste se trouve en fin (voir "Sources").

Cette réflexion est née du désintérêt systématique dans lequel ce texte est maintenu, et de l'esquive de ses difficultés, de ses paradoxes et du malaise que procure (à nous autres d'ici) l'interprétation de Paul. Que nous soyons entièrement d'accord avec sa conclusion nous empêche en réalité de considérer son herméneutique – juive – en face.

Et mon intérêt pour les citations bibliques trouve ici un cas d'école.

La réflexion est inachevée, ce dont je me rends compte dès que je m'aventure à lire un peu plus sur ce passage.


Ce passage s'achève en réalité en Ga 5:1 inclus, verset qui fait la transition avec la finale de supplication (5:2-12) et la partie exhortative (la fin de la lettre), et qui clôt le discours sur la servitude, servitude volontaire s'il en est.

Ou alors involontaire ?

C'est cette frontière subtile – psychologique, spirituelle, scripturaire – et les mécanismes de la transgression de cette frontière qui font précisément l'objet de cette réflexion.

L'objet en est aussi de regarder en face la ré-interprétation et la relecture de Ge 21 par Paul.

L'objet n'est pas de légitimer cette exégèse jusqu'au point de la légitimer pour soi, c'est-à-dire de s'en prévaloir pour lire l'AT à la Paul. Sur ce terrain piégé, notre fantaisie et notre sincérité feraient certainement de bons compagnons de route.

Je suis personnellement assez allergique au recours à l'allégorie comme méthode automatique de lecture, surtout entre nos mains. J'ai trop constaté que c'est souvent un expédient pour se débarrasser de textes encombrants, scabreux, ou dont on ne parvient pas à extraire du sens pour nous.

On dit alors avoir sondé les "profondeurs et les richesses" de l'Écriture quand en réalité on a choisi la voie de la facilité et qu'on n'a fait que plaquer sur les textes notre théologie ou nos idées déjà prêtes.

L'allégorisation et l'esquive font souvent bon ménage.


Selon JERVIS – et c'est assez plausible – le passage biblique que prend Paul (Ge 21) devait être un texte favori des évangélistes de la tristesse.

Je parle ici de ceux qui en Galatie ont défiguré la joie de l'Évangile et la liberté en Christ en religion triste.

Et je parle aussi de notre disposition d'esprit, de ce biais herméneutique, de ce penchant naturel vers l'évitement de l'exigence, qui consistent à capitaliser et à se crisper sur quelques textes favoris.

Textes qui – et c'est pour cela qu'ils sont nos favoris – nous paraissent en général tellement clairs !


Une dernière prémisse : je me tiens sur un terrain sans danger, vu que pour nous – en tout cas dans la forme de christianisme qui nous est familière – cette question de la circoncision est une affaire classée depuis belle lurette, et je prends donc ici autant de risques que si je voulais m'attaquer aux arguments tout bibliques de ceux qui disent que la terre est plate...

Et j'ignore – faute d'en connaître et d'en côtoyer – si les Juifs qui se convertissent aujourd'hui à Christ passent par les mêmes affres d'interprétation biblique.

Ou si des "Gentils" se joignant à eux y passent, eux.

On peut juste espérer que cette vieille question bimillénaire est maintenant résolue pour eux.


Il faudrait ajouter aussi un mot sur les mécanismes psychologiques de l'interprétation, auxquels on prête trop peu attention.

Le côté "illogique" de l'argumentation de Paul qu'il nous semble vaguement percevoir peut nous procurer une certaine gêne, qu'on mettra vite de côté comme on le fait machinalement – pour pouvoir rester "logiques" – de tant de dissonances.

De toute façon, argumentation paulinienne logique ou illogique, peu importe : notre conviction est déjà bien faite – non, nous ne nous circoncirons certainement pas, ni nos enfants – et elle ne repose finalement pas sur la démonstration de Paul, mais plutôt sur le critère de plausibilité.

Il n'est pas étonnant qu'il nous soit si difficile de nous replonger dans le contexte initial et dans la peau des Galates, ne serait-ce que pour saisir la portée de la violence de Paul : cela ne nous concerne plus, l'affaire est entendue, et nous sommes dans l'évidence.

Du moins sur ce point.

Reste à être bien sûrs qu'il ne s'est pas déguisé sous d'autres habits...


Pour ajouter au paradoxe, voilà une argumentation (celle de Paul) illogique et aux accents rabbiniques (pas exactement de notre prédilection) qui nous "convainc", nous qui revendiquons de lire la Bible "telle qu'elle est".

Or s'il y a une lecture immédiate, c'est bien celle des fauteurs de trouble, pas celle de Paul.


Les pistes ainsi brouillées, et la question un peu plus problématisée, tentons d'y voir un peu plus clair.


Que Paul reprenne – même sans le dire ouvertement – les paroles de ses interlocuteurs ou les textes préférés de ses opposants n'est pas pour nous surprendre.

Si Ge 21 devait bien être un texte chéri des perturbateurs, Es 54 – inattendu – semble par contre destiné à les prendre par surprise dans leur lecture si assurée de leurs Écritures.


 Avant tout, un peu d'exégèse systématique.


- v. 21 "Dites-moi, vous qui voulez être soumis à la loi, n’entendez-vous pas ce que dit cette loi ? " (TOB)

Λέγετέ μοι, οἱ ὑπὸ νόμον θέλοντες εἶναι, τὸν νόμον οὐκ ἀκούετε;


Paul s'adresse ici à la majorité d'origine païenne des assemblées galates : ceux qui ne connaissaient pas le Dieu d'Israël mais qui servaient des divinités païennes auparavant :


"Autrefois vous ne connaissiez pas Dieu et vous étiez esclaves de dieux qui, par nature, n'en sont pas.

Mais maintenant que vous connaissez Dieu — ou, plutôt, que vous êtes connus de Dieu — comment pouvez-vous retourner à ces éléments impuissants et misérables, et vouloir à nouveau en être esclaves ?"

(Ga 4:8-9 NBS)


Ne connaissant ni le Dieu d'Israël ni sa loi, ils ont pu être facilement amorcés Bible en mains par les évangélistes de la tristesse. Paul leur dit qu'ils veulent être sous une loi (ὑπὸ νόμον hypo nomon) qu'ils ne comprennent pas !

Noter la violence rhétorique de cette riposte : "Dites-moi, vous qui voulez..." !

D'ailleurs cette lettre est pleine de violence, surtout contre les violents, mais aussi contre ceux qui leur succombent.


En passant, on peut se demander comment, à une majorité d'origine païenne qui ne connaissait pas la Loi en profondeur (ce dont les adversaires de Paul ont pu profiter pour la séduire), Paul a adressé une exégèse toute juive dans sa démarche. On peut donc penser que sa démonstration était obliquement tout autant destinée aux adversaires finalement.

Mais on peut aussi penser que si son argumentation nous laisse, nous, perplexes – nous qui voulons être de son avis –, ses contradicteurs l'auraient retournée d'un revers de main (VOUGA, p. 268).

La controverse sous-jacente est bien entre judéo-chrétiens (Paul le Juif et les prédicateurs judaïsants), mais l'objectif de Paul est de regagner la confiance perdue des Galates tombés sous le charme de la propagande d'une vie spirituelle supérieure (VOUGA, encore).


- v. 22 "Car il est écrit qu'Abraham eut deux fils, un de la femme esclave et un de la femme libre." (Colombe)

γέγραπται γὰρ ὅτι Ἀβραὰμ δύο υἱοὺς ἔσχεν, ἕνα ἐκ τῆς παιδίσκης καὶ ἕνα ἐκ τῆς ἐλευθέρας.


Paul recourt à l'Écriture pour contrer le recours à l'Écriture des "gens qui les troublent" (Ga 1:7 ; 5:10 ; 5:12).

C'est Écriture contre Écriture !

Noter que les textes sont évoqués sans être cités formellement, mais sous forme de résumé.

Dans cette joute biblique se révèle le Paul interprète juif.

Car Paul est juif, reste juif, et argumente sur l'Écriture comme un rabbin juif.

Sans doute avaient-ils assailli Bible en mains les croyants ignorants – une proie facile que l'ignorance ! – avec les textes de Ge 21. Argumentation sans réplique : c'est écrit ! γέγραπται (gegraptai)

(près de 70 fois dans le NT ! Plus de 20 fois dans la LXX)

Quelque chose du genre : "Si vous n'êtes circoncis selon le rite de Moïse, vous ne pouvez être sauvés".

En effet, pour être prêts à se soumettre à pareil rite, c'est que l'enjeu leur était présenté comme vital.

On remarquera ici que les deux femmes que cite Paul ne sont pas nommées.

BFC s'est sentie obligée de l'exprimer : "'Abraham eut deux fils, l'un d'une esclave, Agar, et l'autre d'une femme née libre, Sara".

On comprend pourquoi, mais c'est discutable à mon sens. L'allusion sans nommer est plus forte que la nomination.

Seule Agar est nommée au v. 24 (au v. 25, il y a un problème de texte).

Même Marie, mère de Jésus, n'est pas nommée, quoique citée !


"mais lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme et sous la loi"

(Ga 4:4 NBS)


Noter qu'il y a déjà là la même expression "sous la loi" (ὑπὸ νόμον hypo nomon).

Noter encore que, strictement, les deux fils d'Abraham sont légalement et également libres, étant nés tous deux de père libre.


- "esclave" : ici c'est παιδισκη (paidiskè) habituellement traduit "servante" ailleurs. Il n'y a pas grande différence d'avec δουλη (doulè). Par exemple Marie dit qu'elle est la doulè du Seigneur, qui a jeté les regards sur la bassesse de sa servante (Lc 1:38, 48). Aussi en Ac 2:18, "sur mes serviteurs et sur mes servantes..." (doulous... doulas).

Mais le passage étant centré sur l'opposition esclavage / liberté, traduire "esclave" convient mieux au contexte.


- v. 23 "Mais celui de l'esclave fut engendré selon la chair, et celui de la femme libre en vertu de la promesse" (Colombe)

"Le fils qu'il eut de la première naquit conformément à l'ordre naturel, mais le fils qu'il eut de la seconde naquit conformément à la promesse de Dieu" (BFC)

ἀλλ’ ὁ μὲν ἐκ τῆς παιδίσκης κατὰ σάρκα γεγέννηται, ὁ δὲ ἐκ τῆς ἐλευθέρας δι’ ἐπαγγελίας.


À vrai dire, les deux enfants sont nés selon "l'ordre naturel".

La description de ces deux maternités fait suite à une maternité déjà mentionnée au début du chapitre ("Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme, né sous la loi" v. 4).

Le fil historique de toute la Bible est pour ainsi un fil de maternités !

Depuis la première ("J'ai acquis un homme de par l'Éternel" Ge 4:1) jusqu'à la dernière mère mentionnée, Eunice, mère de Timothée (2 Tim 1:5, où la maternité joue aussi un rôle identitaire fort pour Timothée, et où il sera aussi question de circoncision ("il le circoncit à cause des Juifs qui étaient dans ces lieux-là" Ac 16:3) !).

D'ailleurs ici, plus que d'être le fils d'Abraham, c'est d'être le fils de l'épouse qui compte.


Ici, la chair est opposée à la promesse, comme ailleurs dans la lettre elle est opposée à l'E/esprit.

Le thème de la promesse tisse toute l'épître, essentiellement le chapitre 3 ; il culmine selon moi en 3:14, ou les deux faisceaux se réunissent :


"Cela pour que la bénédiction d’Abraham parvienne aux païens en Jésus Christ, et qu’ainsi nous recevions, par la foi, l’Esprit, objet de la promesse." (TOB)


La naissance du premier fils eut lieu selon "l'ordre naturel" (BFC), d'un homme de 86 ans tout de même...

La naissance du second, du même homme, à 99 ans, et d'une femme bien hors d'âge !

Le texte de la Genèse ne dit pas formellement qu'il s'agissait d'un miracle, mais le donne à penser. En tout cas, Dieu "se souvint" d'elle et de ce qu'il lui avait dit (Ge 21:1).

De même, la relecture de cette histoire dans l'épître aux Hébreux se sert de la suggestion : "Sara elle-même, malgré son âge avancé, fut rendue capable d'avoir une postérité" (Hé 11:11)

Cf. la vieille traduction de MARTIN, qui rend bien le texte grec αὐτῇ Σάρρᾳ δύναμιν εἰς καταβολὴν σπέρματος ἔλαβεν (autè Sarra dynamin eis katabolen spermatos elaben) :


"Par la foi aussi Sara reçut la vertu de concevoir un enfant"


Et nous savons qu'Abraham prit encore femme après la mort de Sara, et eut encore de Ketura par la suite pas moins de six fils (et sans doute des filles, qui ne sont pas nommées dans la table généalogique de Ge 25, où il est aussi question des fils de ses concubines !).

Mais la tradition et la mémoire ont retenu que ses deux fils étaient Isaac et Ismaël : "Isaac et Ismaël, ses fils, l'enterrèrent dans la caverne de Macpéla" (Ge 25:9).


- v. 24 "Il y a là une allégorie ; car ces femmes sont deux alliances. L'une, celle du mont Sinaï, fait naître pour l'esclavage : c'est Hagar" (NBS)

"Ce récit comporte un sens plus profond : les deux femmes représentent deux alliances. L'une de ces alliances, représentée par Agar, est celle du mont Sinaï ; elle donne naissance à des esclaves" (BFC)

ἅτινά ἐστιν ἀλληγορούμενα· αὗται γάρ εἰσιν δύο διαθῆκαι, μία μὲν ἀπὸ ὄρους Σινᾶ εἰς δουλείαν γεννῶσα, ἥτις ἐστὶν Ἁγάρ.


Paul donne d'emblée une valeur de figure à l'antique récit biblique.

Il y a toute une dispute ancienne pour savoir s'il s'agit ici vraiment d'une allégorie ou pas (malgré le terme allègoroumena) ou une typologie, terre dans laquelle je n'entre pas ici.

Je resterai vague sur le sujet, mon intérêt étant ailleurs.

Il y a fort à parier que le texte nous donnera les mauvaises réponses si nous lui posons les mauvaises questions.

Je cherche plutôt à m'insérer dans le monde psychologique et herméneutique de Paul.

Pour en retirer un profit ici et maintenant, si possible. Mais seulement dans un second temps.


Agar est nommée, au contraire de Sara qui, elle, dans toute la lettre ne sera jamais nommée !

Est introduite la notion clé de l'existence de deux alliances, bien que la seconde ne soit jamais non plus désignée comme nouvelle.

De plus les deux alliances coexistent : l'une correspond à la Jérusalem actuelle. Et la Jérusalem d'en haut est tout autant décrite comme actuelle, et non à venir.

Le terme "allégorie" transcrit le grec ἀλληγορούμενα / allegoroumena (participe de ἀλληγορέω / allègoreo – un hapax) qui signale une lecture "plus profonde" (BFC).

C'est en fait la première de deux allégories en peu de lignes : l'interprétation aux vv. 28-30 de la persécution d'un fils contre l'autre, et de la demande de Sara à son mari de chasser sa servante et son fils tiennent aussi de l'allégorisation.

On reconnaît sans peine ici le Tarsiote venu s'instruire aux pieds de Gamaliel dans la Torah et son interprétation (Actes 5).

L'idée même que Paul puisse porter en lui toute un monde herméneutique hérité peut gêner certaines conceptions de l'Écriture et de l'inspiration.

Typiquement, quelqu'un pourrait insister pour dire qu'ici Paul doit tout à l'Esprit et rien aux hommes, vu que sa parole est parole de Dieu.

On peut juste craindre que cette attitude mentale préalable ne porte avec elle plus de malaise que le sentiment – instinctivement mis de côté – que Paul a baigné dans un monde herméneutique qui l'a fait fils de son temps.

Mais si l'on veut écarter cette idée, qu'on l'écarte.

(pour une réflexion sur les allusions et les citations par l'Écriture de sources externes à l'Écriture, voir ici)


Ici on a toute une cascade de mises en parallèle : deux femmes, deux mères, deux sortes d'enfantement, deux Jérusalem, deux alliances, deux hauteurs (le Mont Sinaï // la Jérusalem d'en haut), deux aspects de l'Histoire du salut, deux regards (l'un tourné vers le passé – l'épisode du Sinaï –, l'autre eschatologique).

Et les termes de ces parallèles ne se succèdent pas forcément chronologiquement mais peuvent coexister simultanément. Ainsi, la Jérusalem d'en haut n'est pas présentée seulement comme une espérance à venir, mais comme la mère actuelle des croyants.

S'agissant de Jérusalem, elle a été déjà mentionnée à trois reprises auparavant, à chaque fois avec l'idée d'y monter (Ga 1:17, 18 ; 2:1). Cette mention prépare déjà la citation d'Es 54:1 au v. 27, qui reprendra les paroles adressées également à la Jérusalem d'alors.


- v. 25 "or Hagar, c'est le mont Sinaï en Arabie — et elle correspond à la Jérusalem de maintenant, car elle est dans l'esclavage avec ses enfants" (NBS)

" car le mont Sinaï est en Arabie. Et Agar correspond à la Jérusalem actuelle puisqu’elle est esclave avec ses enfants" TOB

"Agar, c'est le mont Sina" (NEG)

τὸ δὲ Ἁγὰρ Σινᾶ ὄρος ἐστὶν ἐν τῇ Ἀραβίᾳ· συστοιχεῖ δὲ τῇ νῦν Ἰερουσαλήμ, δουλεύει γὰρ μετὰ τῶν τέκνων αὐτῆς.


Le texte est problématique, avec plusieurs variantes.

L'identification ou le lien de Hagar avec l'Arabie ne sont pas clairs, sinon que Hagar l'égyptienne fut renvoyée dans le désert de Beer-Schéba, dans le Néguev (Ge 21:14), qui fut aussi le lieu d'une alliance (entre Abraham et Abiméléc). Mais le Mont Sinaï est bien plus au sud.

La forme "Sina" de NEG est inhabituelle à nos oreilles, mais on la rencontre aussi en Ac 7:30 et 38 et partout dans la LXX pour l'hébreu סיני.

Le yod a dû tomber par l'usage, mais j'ignore pourquoi une version comme NEG retient la forme "Sina" ici (aux deux versets 24 et 25) et pas dans Actes 7.


Quant à la mention de l'Arabie, on ne la trouve que dans cette lettre, mais il faut dire qu'elle a une connotation particulière pour Paul, vu qu'il s'y est retiré pendant une phase assez mystérieuse de son itinéraire spirituel tel qu'il le présente en 1:17 (ou déjà on sent bien qu'il prend un peu ses distances d'avec la "Jérusalem actuelle", préparant déjà ainsi l'argumentation qui suivra).

La seule autre mention lointaine de l'Arabie se trouve dans Actes 2:11 : à Jérusalem se trouvaient à la Pentecôte "Crétois et Arabes".

L'Arabie est donc une figure du désert où l'on se retire pour rencontrer Dieu. Mais l'Arabie de Paul n'était pas l'Arabie du Sinaï !


La servitude est le terme clé : c'est tout le sujet de la controverse et du procès dans lequel Paul prend les Galates non pas tellement à témoin, mais plustôt comme juges ("Dites-moi, vous qui...").

Le texte grec porte la forme verbale absolue : la Jérusalem de maintenant "sert en effet avec ses enfants".

Tournure absolue qu'on rencontre aussi en Ep 6:7 à propos des esclaves croyants ("servant avec empressement) ou encore en 1 Tim 6:2 ("mais qu'ils servent d'autant mieux").

Dans Jean 8, on retrouve les mêmes éléments de controverse : être de la descendance d'Abraham et être dans l'esclavage :

Nous sommes la descendance d'Abraham et nous n'avons jamais été esclaves de personne ; comment peux-tu dire, toi : « Vous deviendrez libres ! » (NBS)


Il est clair que dans un monde d'esclaves, où l'institution de l'esclavage tenait de l'évidence et constituait la fabrique même de la société, le discours devait porter !

Point n'était besoin d'expliquer longtemps aux simples croyants de Galatie – sans doute majoritairement des pagano-chrétiens, et esclaves pour beaucoup – la différence entre servitude et liberté.

Être dans la servitude dans le monde et dans la servitude dans la foi les aurait faits deux fois esclaves !

Et le drame est que la perpétuation de la servitude est déjà inscrite dans la servitude elle-même : un esclave n'engendre pas un enfant libre, une mère esclave enfante des esclaves.

D'où la parole vibrante de Paul : la Jérusalem de maintenant est dans la servitude avec ses enfants.

Et il n'y a pas d'issue à cette situation.



- v. 26 "Mais la Jérusalem d’en haut est libre, et c’est elle notre mère " (TOB)

ἡ δὲ ἄνω Ἰερουσαλὴμ ἐλευθέρα ἐστίν, ἥτις ἐστὶν μήτηρ ἡμῶν


Jérusalem semble être au cœur de la polémique entre Paul et "les gens" qui troublent les Galates.

Il est fort probable d'ailleurs que les fauteurs de trouble venaient de Jérusalem ou étaient sous son influence. On retrouve ici la même ambivalence vis-àvis de Jérusalem qu'au chapitre 2 ("l'arrivée de quelques personnes de l'entourage de Jacques") ou qu'en Ac 15 ("Quelques hommes venus de Judée enseignaient les frères en disant : Si vous n'êtes circoncis, vous ne pouvez être sauvés").

Paul avance une thèse qui ne peut que scandaliser : il y a deux Jérusalem.

Celle qui est à Jérusalem.

Et celle d'en haut.

Ce sont là deux mères entièrement différentes : la première est une mère esclave qui met au monde des esclaves. La seconde est une mère libre, et ses enfants aussi.

La première n'est pas la réalisation terrestre d'un modèle céleste : au contraire, elle est son antithèse !

On retrouve en Hébreux 12 la même opposition entre le Mont Sinaï terrible et la montagne de Sion céleste, la Jérusalem d'en-haut :


18 Vous ne vous êtes pas approchés d’une réalité palpable, feu qui s’est consumé, obscurité, ténèbres, ouragan,

19 son de trompette et bruit de voix ; ceux qui l’entendirent refusèrent d’écouter une parole de plus.

20 Car ils ne pouvaient supporter cette injonction : Qui touchera la montagne – fût-ce une bête – sera lapidé !

21 Et si terrifiant était ce spectacle que Moïse dit : Je suis terrifié et tremblant.

22 Mais vous vous êtes approchés de la montagne de Sion et de la ville du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, et des myriades d’anges en réunion de fête (TOB)

24 et de Jésus, médiateur d’une alliance neuve


La description de Jérusalem comme épouse et mère est fréquente dans l'AT. Mais on peut penser, ici encore, que cette conception était commune et dans l'air à l'époque.

Cette présentation peut nous surprendre, mais elle ne surprend que nous, pas les Galates, et certainement pas les agitateurs à qui Paul donne une leçon d'interprétation juive !

C'est pourquoi on ne devrait pas être surpris que Paul enchaîne au verset suivant sur le texte d'Esaïe 54.


- v. 27 "car il est écrit :

Réjouis-toi, stérile, toi qui n’enfantais pas ;
éclate en cris de joie, toi qui n’as pas connu les douleurs ;
car plus nombreux sont les enfants de la délaissée
que les enfants de celle qui a un époux" (TOB


γέγραπται γάρ,

Εὐφράνθητι, στεῖρα ἡ οὐ τίκτουσα,

ῥῆξον καὶ βόησον, ἡ οὐκ ὠδίνουσα·

ὅτι πολλὰ τὰ τέκνα τῆς ἐρήμου μᾶλλον ἢ τῆς ἐχούσης τὸν ἄνδρα.


Stérile est στεῖρα (steira) comme dans la Septante d'Es 54:1 (pour l'hébreu עקרה aqarah) et de Ge 11:30 (à propos de Sara).

Si l'on s'acharne à faire correspondre les deux figures de femme citées ici avec les deux femmes de Genèse 21, on ressentira une sorte de malaise dû à un télescopage des figures :

- en Ge 21, la femme mariée est Sara, et la femme délaissée est Agar ; et c'est celle qui a un époux qui est stérile, tandis que l'abandonnée et la chassée a un enfant qui aura une grande postérité (cf. Ge 21:13 et 18 pour "une grande nation" ; et Ge 25:12 pour les "12 tribus" d'Ismaël).

- en Es 54, c'est la femme stérile abandonnée – veuve aussi – qui va donner naissance à une grande postérité, plus grande que celle de celle qui a époux et enfants


Mais il faut faire un effort de recontextualisation.

Tout d'abord, le texte est imprégné de l'ethos du temps : qu'on se souvienne du drame absolu pour une femme d'Israël d'être sans mari, ou une fois mariée d'être sans enfants.

Un drame personnel confinant à la honte communautaire, voire l'opprobre. On le voit on ne peut plus explicitement en Luc 1 :


24 Quelque temps après, Élisabeth, sa femme, devint enceinte. Elle se cacha pendant cinq mois, disant:

25 C'est la grâce que le Seigneur m'a faite, quand il a jeté les yeux sur moi pour ôter mon opprobre parmi les hommes.


Que de femmes d'Israël – on n'en a pas tenu la chronique – ont dû vivre un cauchemar doublé de culpabilité à cause de ces évidences collectives !

Certes, le mari pouvait user de bienveillance au lieu du divorce, comme on le voit dans le cas d'Elkana envers sa femme Anne stérile (cf. 1 Samuel, là aussi, une rivalité de femmes à cause des enfants), ou la veuve pouvait trouver un "goel" (cf. Ruth).

Mais le regard d'autrui a dû peser bien lourd sur les épaules de bien des femmes oubliées : "Qu'a-t-elle donc bien pu faire pour être ainsi stérile ?" !


Ensuite, Es 54:1 – en contexte – est sans rapport direct avec le texte de la Genèse. C'est l'interprète juif Paul qui en établit un. C'est sans doute le mot "stérile" – στεῖρα (steira) – qui a permis le pont entre les deux textes.

En fait, Es 54:1 est déjà en soi une allégorie du récit de la Genèse, et Paul reprend l'allégorie qui y est déjà !

Il la ré-allégorise, cette fois dans une perspective eschatologique, et en l'appliquant à la mission de l'Église.

En Ésaïe 54, la femme stérile est la Jérusalem privée de ses enfants emportés dans le cataclysme babylonien. Quand ils reviendront d'exil, ce sera comme un nouvel enfantement, et ses enfants retrouvés surpasseront en nombre ceux qu'elle avait perdus, annonce le prophète.

Ici, c'est le texte biblique lui-même qui utilise l'allégorie pour représenter l'idée de la restauration d'exil par l'image concrète et vivante d'une ville-mère.

Cette allégorie familière allait en quelque sorte de soi dans le langage juif, et il n'est pas certain que Paul innovait ici.

De plus, la lecture d'un passage de la Torah suivi d'un passage des Prophètes finira par être codifié dans la liturgie de la synagogue, et Paul donne ici avec Ésaïe une sorte de haftara de la lecture de la Genèse. En tout cas, cet ensemble de textes sont dans son esprit et à l'arrière-plan de tout ce développement.

Di MATTEI base son raisonnement sur le fait que dans le cycle triennal palestinien, Es 54:1 est la haftarah de Ge 16-17.

Je n'ai pu le vérifier.

Dans le cycle annuel, Es 54:1 fait partie de la haftarah pour l'histoire de Noé

http://www.mechon-mamre.org/p/pt/readingp.htm


Une chose est sûre, c'est que déjà du temps de Jésus et de Paul, la pratique était établie de lire un passage de la Loi et un passage des prophètes :

Voir Ac 13:15, dans la synagogue d'Antioche de Pisidie :


"Après la lecture publique de la Loi et des Prophètes, les chefs de la synagogue leur firent dire"  (NBS)


On pourrait peut-être citer Ac 28:23 où, comme ici pour les Galates, Paul s'appuie sur la Loi et (puis) sur les prophètes pour tâcher de persuader des Juifs :


"il s’efforça de les convaincre, en parlant de Jésus à partir de la loi de Moïse et des Prophètes." TOB


On aussi avoir un écho de la lecture synagogale en Lc 4:16 ("Il se leva pour faire la lecture,

et on lui remit le livre du prophète Esaïe. Il déroula le livre et trouva le passage où il était écrit... etc." NBS).

Ou encore en 2 Co 3:15 ("quand on lit Moïse" NBS).


Le but de Paul est toujours de montrer que les Galates ne sont pas des enfants illégitimes parce qu'ils sont incirconcis.

Et comme le dit Es 54 (dans son interprétation), ces enfants-là – incirconcis – surpasseront en nombre les enfants circoncis de la "femme mariée" (la Jérusalem terrestre, actuelle).


D'autre part, Es 54:1 en contexte, déjà une allégorie des textes de la Genèse sous-entendus, a une tonalité eschatologique qui va au-delà de la seule restauration d'exil.

Nous savons d'ailleurs que ce retour d'exil avait un côté idéalisé qui pointait vers un autre accomplissement que la restauration toute relative du peuple déporté.

Beaucoup ne sont pas revenus, choisissant de rester à Babylone.

Le réveil de la nation nous laisse sur notre faim, et le Temple restauré n'avait qu'une gloire seconde, en réalité. Au milieu des cris de joie, beaucoup pleuraient le premier Temple en inaugurant le second (Esd 3:12-13) !

Et les nombreux enfants qu'entrevoit Es 54 pour Sion ne sont peut-être pas exactement ceux de Néhémie 11, où l'on sent plutôt une réticence à venir habiter à Jérusalem (Né 11:1-2).



- v. 28 "Quant à vous, mes frères, comme Isaac, vous êtes enfants de la promesse" (NBS)

ὑμεῖς δέ, ἀδελφοί, κατὰ Ἰσαὰκ ἐπαγγελίας τέκνα ἐστέ.


Il faut bien voir ici la hardiesse interprétative de notre Paul : il affirme aux oreilles des semeurs de trouble que les païens qui ont cru en Jésus sont les enfants d'Isaac le circoncis le 8e jour !

Cf. Ge 21:4


"Abraham circoncit son fils Isaac, âgé de huit jours, comme Dieu le lui avait ordonné"


Tout comme Paul lui-même !


"moi, un circoncis du huitième jour" (CRAMPON)


Les pistes ainsi brouillées, il était difficile de mettre davantage en déroute l'argumentation pressante des provocateurs cherchant à introduire les croyants païens dans un Évangile supérieur !

À nouveau ici le rappel de la promesse : les "enfants de la promesse" sont ceux qui sont nés de Dieu, qui a fait la promesse à Abraham non seulement d'un fils contre toute vraisemblance, mais de familles entières, les nations mêmes (Ge 12:3 // Ac 3:25 ; promesse renouvelée à Jacob, fils d'Isaac, Ge 28:13-14), familles déjà représentées dans les assemblées de Galatie, formées qu'elles sont de Juifs et (surtout) de païens venus à Christ.

Un ébranlement !



- v. 29 "Mais comme autrefois celui qui avait été engendré selon la chair persécutait celui qui l'avait été selon l'Esprit, ainsi en est-il encore maintenant" (Colombe)

ἀλλ᾽ ὥσπερ τότε ὁ κατὰ σάρκα γεννηθεὶς ἐδίωκεν τὸν κατὰ πνεῦμα, οὕτως καὶ νῦν.


La querelle et la compétition entre les deux fils d'Abraham sont la réplique de celles entre les deux mères (cf. Ge 16:4, le mépris d'Agar pour Sara).

BEAUCHAMP (p. 50), un peu dans la même veine, replace l'affrontement des deux frères dans le cadre plus large et présent dans toute la Bible, de l'affrontement du bien et du mal :


Les Psaumes prient à partit de la poussière. […] Pour la Bible, le bien est soumis à l'affrontement du mal et celui -ci a lieu partout, parce que jamais le juste n'est sans le méchant, comme dit Ben Sira : En face du juste est le méchant (Si 33,14). Que de poussière vole dans ces rencontres ! De même qu'alors (dit Saint Paul, évoquant le temps de la Genèse) celui qui était né de la chair persécutait celui qui était né selon l'esprit, ainsi en est-il encore maintenant (Gal. 4,29). Les récits bibliques font plier tous leurs personnages à cette loi.



Excursus

Si nous avons l'impression que "quelque chose nous manque" pour comprendre la portée d'une citation ou d'une allusion parce que sont cités des éléments, des détails, des perspectives absentes du texte cité et de son contexte, on peut soupçonner que nous sommes en face d'une citation ou d'une allusion non pas d'un texte biblique antérieur nu, mais d'une reprise de traditions de lecture ou d'une référence à un arrière-plan d'interprétations familières qui accompagnent et enveloppent le texte convoqué. LE DÉAUT (p. 41) parle ainsi de la catéchèse juive synagogale du 1er siècle, où le texte biblique n'était pas dissocié des interprétations aggadiques courantes qui s'y greffaient, tout cela étant admis et compris de tous.

Assurément, pas de la majorité d'entre nous, à qui – précisément – elles manquent.

Généralement, au lieu de s'interroger sur ce qui barre la route à notre compréhension immédiate, on passe dessus, ou bien on attribue ces développements absents du texte cité à une exégèse par l'Esprit de Paul. Sans nier cela, n'y a-t-il vraiment que cela ?

C'est oublier que l'élève zélé de Gamaliel portait en lui tout un patrimoine de traditions interprétatives de son judaïsme (Ga 1:14).

Je conçois que cet aspect des écrits de Paul puisse déranger des conceptions courantes et univoques sur leur inspiration. Mais il me semble que c'est se voiler pieusement la face que de le mettre au rebut. Il y a trop d'exemples pour l'écarter d'un revers de main.


Dans ce cas précis, on aurait du mal d'extraire du texte de Ge 21 la tradition explicite qu'Ismaël persécutait Isaac. Il n'y est pas question de l'Esprit non plus, d'ailleurs.

C'est donc clairement une relecture, relecture portant en elle une tradition orale ou littéraire familière que nous ne connaissons plus, mais qui illuminerait sans doute ce qui nous paraît un peu énigmatique ou obscur.

Tout ce que nous avons, c'est le texte de Ge 21:9 :


"Sara vit rire le fils que l'Égyptienne Hagar avait donné à Abraham." (NBS).


Mais qui peut aussi être compris ainsi :


"Sara vit s’amuser le fils que Hagar l’Égyptienne avait donné à Abraham." (TOB)


BFC a plus prosaïquement : "était en train de jouer".

En effet, si cela se passe lors du festin pour le sevrage d'Isaac (sans coupure entre Ge 21:8 et 21:9, comme dans certains versions), celui-ci avait donc tout au plus trois ans.

On retire l'impression que Sara voyait d'un mauvais œil que les deux enfants de condition différente puisse jouer ensemble et compromettre l'avenir du sien et surtout son héritage.

Un esclave n'hérite de rien ; un fils, tout (cf. Ga 4:1-7 lu dans cet esprit)

D'où sa requête pressante à son mari l'instant après :


« Chasse la servante et son fils, car le fils de cette servante ne doit pas hériter avec mon fils Isaac. » (TOB)


Voilà des histoires bien humaines et ordinaires...

Il est aussi possible que "s'amuser" puisse signifier "s'amuser d'Isaac, se jouer de lui".

Rien d'inhabituel entre frères en compétition !

Il n'y a donc pas lieu d'être surpris que la concision et la sobriété du texte biblique ait donné lieu par la suite à des relectures et des amplifications rabbiniques, dont on aurait ici un écho lointain touchant la persécution d'Isaac par Ismaël.


Mais en un autre sens, la querelle en Galatie entre "Isaac" et "Ismaël" au sujet de la circoncision porte bien aussi sur l'héritage : en trois endroits dans ce chapitre (4:1, 7, 30) et aussi en Ga 3:18, 29 et 5:1.

Dans l'épisode de Ge 21, les deux enfants sont circoncis : Ismaël l'avait été à 13 ans, le même jour que son père de 99 ans (Ge 17:25-26), et Isaac à huit jours (Ge 21:4).

Le DEAUT (pp. 38-39) cite un passage du Targum palestinien – qui rapporte une querelle entre Isaac et Ismaël au sujet de leur droit d'héritage et qui pourrait constituer l'arrière-plan de l'exégèse de Paul et illuminer de loin ses allusions à une tradition connue.


«Il arriva, après ces événements, après qu'Isaac et Ismaël

se fussent querellés. . . Ismaël disait: C'est à moi qu'il revient d 'hériter de mon père, parce que je suis son fils premier-né, tandis qu'Isaac disait: C'est à moi qu'il revient d 'hériter de mon père parce que je

suis fils de Sara sa femme (s. e. vraie, légitime tandis que toi, tu es fils d'Agar la servante de ma mère. Ismaël répondait: Je suis plus juste que toi parce que j'ai été circoncis à 13 ans et si j'avais voulu refuser,

je ne me serais pas laissé circoncire; mais toi, tu as été circoncis à 8 jours; si tu avais eu la connaissance, peut-être ne te serais-tu pas livré à la circoncision? Isaac répondit et si le Saint béni soit-il ! me demandait tous mes membres, je ne refuserais pas. Aussitôt ces paroles furent entendues du Maître de l'univers, et sitôt Dieu tenta Abraham... »


Suivit alors la ligature d'Isaac.


On pourra prendre ou laisser cette suggestion d'arrière-plan littéraire. Mais il est certain que le texte de Ge 21 à lui seul ne permet pas d'en dire beaucoup sur la persécution d'un fils d'Abraham contre l'autre.

Or c'est là-dessus que l'argument de Paul prend appui !

D'où le v. 30 et sa conclusion.


- v. 30 "Eh bien ! que dit l’Écriture ? Chasse la servante et son fils, car il ne faut pas que le fils de la servante hérite avec le fils de la femme libre" (TOB).

ἀλλὰ τί λέγει ἡ γραφή; Ἔκβαλε τὴν παιδίσκην καὶ τὸν υἱὸν αὐτῆς· οὐ γὰρ μὴ κληρονομήσει ὁ υἱὸς τῆς παιδίσκης μετὰ τοῦ υἱοῦ τῆς ἐλευθέρας.


Le texte de Ge 21:10 dit exactement :


"Chasse cette esclave et son fils. Celui-ci ne doit pas hériter avec mon fils Isaac." BFC


et la LXX a :


ἔκβαλε τὴν παιδίσκην ταύτην καὶ τὸν υἱὸν αὐτῆς οὐ γὰρ κληρονομήσει ὁ υἱὸς τῆς παιδίσκης ταύτης μετὰ τοῦ υἱοῦ μου ισαακ


C'est Paul qui ajoute "de la femme libre", tandis qu'il reformule le deuxième membre de la citation, qui est passé à la troisième personne.

Mais nous ne nous attendons pas à ce que Paul cite servilement l'Écriture : sa réécriture et sa re-citation des textes visent à leur donner leur pertinence pour la situation présente, d'où sa reformulation.

On peut dire que là c'est Sara qui parle, et ici c'est Paul.


Ici, Paul circonvient les opposants judaïsants – qu'on ne voit pas, qui ne sont pas nommés, mais qu'on entend bien en coulisses – avec leur propre arme : l'Écriture.


Ils vous parlent, vous impressionnent, vous charment, et cherchent à vous asservir Bible en mains en excitant les racines archaïques de l'homme religieux qui est en vous et moi : soit, très bien.

Dans ce cas, que dit l'Écriture ?


À docteur, docteur et demi !

Ils se réclament de l'Écriture ? Qu'ils lisent mieux !


C'est la troisième fois que Paul invoque l'Écriture, et à chaque fois en la personnifiant :


Ga 3:8 Aussi l'Écriture, prévoyant que Dieu justifierait les païens par la foi, a d'avance annoncé cette bonne nouvelle à Abraham: Toutes les nations seront bénies en toi !

Ga 3:22 Mais l'Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que ce qui avait été promis fût donné par la foi en Jésus Christ à ceux qui croient.

Ga 4:30 Mais que dit l'Écriture? Chasse l'esclave et son fils, car le fils de l'esclave n'héritera pas avec le fils de la femme libre


Nous savons bien que ce n'est pas "l'Écriture" qui prononça ces paroles, mais Sara.

Une Sara dépitée, jalouse, qui demande à Abraham une chose qui lui déplut fort !

Comment pouvait-il envoyer au désert comme un bouc émissaire son propre fils, dont Sara ne veut plus entendre parler ?

Quant à Agar, c'est la seconde fois qu'elle se retrouve au désert (cf. Ge 16:7) !

Mais dans ce récit, Abraham a un rôle passablement passif, tout comme dans le récit où sa femme lui amène Agar pour avoir des enfants "par elle" : Abraham s'exécute et va vers Agar !

Le drame est celui du début : Abraham est son père, mais Sara n'est pas sa mère.

Ge 21:11 dit expressément :

"Cette parole fâcha beaucoup Abraham parce que c’était son fils." (TOB)

"Ces paroles firent beaucoup de peine à Abraham, parce qu'Ismaël était aussi son fils." (BFC)


Ce n'est qu'après la caution divine à l'exigence de Sara qu'Abraham – dans un rôle assez peu sympathique – se résolut à l'écouter.

Levé de bon matin, il remit à la malheureuse de quoi survivre quelques jours, du pain et de l'eau, et l'enfant.

Ce qui ici nous paraît inconcevable ou immoral est, prophétiquement et allégoriquement, ce que "dit l'Écriture". C'est un choix entre deux alliances.


- v. 31 "Ainsi donc, frères, nous ne sommes pas les enfants d’une esclave, mais ceux de la femme libre." (TOB)

διό, ἀδελφοί, οὐκ ἐσμὲν παιδίσκης τέκνα ἀλλὰ τῆς ἐλευθέρας.


Les contradicteurs soutenaient qu'à moins de se soumettre à la circoncision, les Galates n'étaient pas du peuple de Dieu.

Paul, précisément le contraire !

Ici l'interpellation "frères" prend tout son sens : frères en liberté (5:1), frères en promesse (4:28), frères en héritage (4:30).



- 5:1 "Le Christ nous a libérés pour que nous soyons vraiment libres. Tenez bon, donc, ne vous laissez pas de nouveau réduire en esclavage. " (BFC)

τῇ ἐλευθερίᾳ ἡμᾶς Χριστὸς ἠλευθέρωσεν· στήκετε οὖν καὶ μὴ πάλιν ζυγῷ δουλείας ἐνέχεσθε.


Ce verset sert de conclusion et de transition : il faut donc le prendre en compte dans la lecture de ce passage.

C'est ici une reprise pour les Galates de ce que Paul a déjà affirmé concernant Tite, et – il faut le noter, vu son importance dans l'argumentaire de Paul – à Jérusalem !


1 Quatorze ans plus tard, je suis retourné à Jérusalem avec Barnabas ; j'ai également emmené Tite avec moi.

2 J'y suis allé pour obéir à une révélation divine. Dans une réunion privée que j'ai eue avec les personnes les plus influentes, je leur ai expliqué la Bonne Nouvelle que je prêche aux non-Juifs. Je ne voulais pas que mon travail passé ou présent s'avère inutile.

3 Eh bien, Tite mon compagnon, qui est grec, n'a pas même été obligé de se faire circoncire,

4 malgré des faux frères qui s'étaient mêlés à nous et voulaient le circoncire. Ces gens s'étaient glissés dans notre groupe pour espionner la liberté qui nous vient de Jésus-Christ et nous ramener à l'esclavage de la loi.

5 Pas un seul instant nous ne leur avons cédé, afin de maintenir pour vous la vérité de la Bonne Nouvelle. (BFC)


Noter que "les personnes les plus influentes" sont nommées au v. 9 : ce sont "Jacques, Céphas et Jean".

Je reviendrai plus loin sur l'entrée en scène inattendue de Jacques, sa place prééminente (aux vv. 18-19, il était cité après Pierre ; ici il l'est avant !), et son rôle ambigu.



Ici, chaque mot compte.


- "C'est pour la liberté"

C'est la reprise de la liberté dont Paul a déjà parlé en Ga 2:4, à propos des faux-frères aux aguets :


"… à cause des faux frères qui s'étaient furtivement introduits et glissés parmi nous, pour épier la liberté que nous avons en Jésus-Christ, avec l'intention de nous asservir"


On ne saurait le dire de façon plus forte !

Le texte est très expressif : tout l'état d'esprit de surveillance, de contrôle, de désir d'emprise y est mis au jour.

Rien que des choses très ordinaires ! Et rien de commun avec l'Évangile.

Après son argumentation serrée, Paul conclut, résume, et ferme magistralement son exposition.

Il redit et martèle la même chose : vous êtes devant un choix simple, binaire, sans moyen terme : vivre libres ou vous laisser asservir.

Il ne s'agit pas de petites nuances de doctrines, de pinaillage sur des arguties périphériques, d'ergotage sur des détails accessoires : c'est rien moins que la différence entre deux mondes entièrement étrangers, entre deux statuts diamétralement inverses, entre deux voies foncièrement irréconciliables.

Entre deux vies.

Le berger Paul en rage déchire le loup qui a mis sa gueule sur le flanc des brebis.


- "que Christ"

Ici, le nœud de la question.

Les "propagandistes attardés" (NBS, Introduction) ne prêchent pas le même Christ, c'est-à-dire qu'il ne prêchent pas Christ !

Paul ne parle pas de la liberté en général, ou d'une éventuelle perspective différente sur la Loi, ou de "sensibilités évangéliques" différentes qui auraient à composer pour vivre ensemble.

Son discours et sa pensée sont entièrement christologiques.

Sa cible n'est pas les Juifs qui n'ont pas cru à Christ, mais les Juifs qui ont cru en Jésus et qui aussitôt après le défigurent en exigeant des païens la circoncision.

C'est-à-dire qui veulent les faire passer par le même chemin qu'eux : pour Paul, c'est un renversement de l'Évangile !

Tel n'est pas le Christ, et leur christ n'est pas Christ.

Celui de Paul est celui de Ga 3:19


13 Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi en devenant malédiction pour nous — car il est écrit : Maudit soit quiconque est pendu au bois —

14 afin que, pour les non-Juifs, la bénédiction d'Abraham soit en Jésus-Christ et que, par la foi, nous recevions l'Esprit promis. NBS


On remarque ici aussi la façon particulière qu'a Paul de citer la Loi contre la Loi si chère aux proclamateurs de l'évangile concurrent.

Et ici, en germe et en peu de mots, toute la substance et les termes clés de la lettre.


À aucun moment il n'est question dans l'esprit de Paul d'une liberté hors Christ, ou d'une sublimation hors Christ de la Loi. J'y reviendrai.


- "nous a affranchis"

Noter déjà que Paul parle en nous : les Galates – surtout les païens mais les Juifs tout autant – et lui forment un nouveau nous. Et Paul le Juif s'associe à ce nouveau "nous" (cf. déjà 2:4 "parmi nous")

Il les interpellait sèchement en "vous" jusqu'ici :

- 1:6 "J’admire avec quelle rapidité vous vous détournez de celui qui vous a appelés par la grâce du Christ, pour passer à un évangile différent." TOB

- 3:1 "O Galates insensés ! Qui vous a ensorcelés ?" BFC

- 4:21 "Dites-moi, vous qui voulez être soumis à la loi..." TOB


Il y a aussi dans cette lettre, quoique dans une moindre mesure, le jeu de pronoms "nous (Juifs) / vous (païens)" qui dans Éphésiens sert de fil conducteur (voir ici).

Et avec aussi le passage du nous exclusif au nous inclusif.

Par exemple : 2:15-16 "Nous, nous sommes Juifs de naissance... nous aussi nous avons cru en Jésus-Christ"

vs.

5:1 "C'est pour la liberté que Christ nous [Juifs et païens] a affranchis " NEG


"Liberté" et "servitude" dans ce verset redisent une fois encore les deux pôles de toute la lettre.

Souvenons-nous que nous sommes dans un monde d'esclaves et d'hommes libres, et que la métaphore n'a pas besoin d'être expliquée longtemps !

Dans le texte grec, l'assonance ajoute de l'intensité à ce martèlement :

τῇ ἐλευθερίᾳ ἡμᾶς Χριστὸς ἠλευθέρωσεν


Il n'est pas bien venu selon moi de casser ici cette assonance volontaire nom / verbe (comme le fait NEG).

Je traduirais même en la renforçant, par exemple :

C'est pour être libres que nous sommes libres, libres par Christ.


Un Évangile qui détourne la liberté est un évangile détourné.


- "Demeurez donc fermes"

La vérité ne suffit pas : il faut aussi la fermeté.

Fermeté face aux prêcheurs téméraires de cet "ultra-Évangile".

Du même coup, Paul met l'accent sur leur entière responsabilité dans ce qu'ils écoutent.

Ce sont eux, et chacun pour leur part, qui choisiront en fin de compte à qui ils prêteront l'oreille.

Que les anti-évangélistes aient pris de l'ascendant sur eux n'est pas une circonstance atténuante, bien au contraire !

Ils doivent demeurer fermes dans l'Évangile de la grâce de Christ, y revenir puisqu'ils s'en sont déjà détournés (Ga 1:6), les circonciseurs ayant disposé d'eux sans grand mal.

L'affaire est entièrement entre leurs mains.


- "et ne vous laissez pas"

L'homme aime "se laisser" mettre sous le joug.

C'est le paradoxe de la difficile liberté : soit elle se débride, soit elle se mutile elle-même.

Voilà qui est la voie facile : se laisser faire, céder (Ga 2:5), vouloir s'asservir (Ga 4:9), se laisser contraindre (Ga 6:12).

Cette passivité provoque chez Paul des paroles dures.


- "de nouveau"

On pourrait être d'abord surpris de ce "de nouveau" (πάλιν palin). N'est-ce pas la première fois qu'ils se détournent de la vérité de l'Évangile ?

En réalité, Paul dit ici quelque chose que les judaïsants ont dû trouver outrageant : se soumettre à la Loi, malgré les apparences, équivaut à de l'idolâtrie ! Celle où ils étaient auparavant, tandis qu'ils étaient les esclaves de dieux qui ne le sont pas de leur nature (Ga 4:8).

En fait, en cédant aux gens du couteau, ils retournent à ces pseudo-divinités !

Paul s'écrie :


"Comment est-il possible que vous retourniez à ces faibles et misérables forces spirituelles ? Voulez-vous redevenir leurs esclaves" (BFC)


ou dans les termes de La Colombe :


"Comment retournez-vous à ces faibles et pauvres principes élémentaires auxquels vous voulez à nouveau [(πάλιν palin)] vous asservir ?"


Jusqu'à présent, je n'ai jamais encore entendu aucun prédicateur aller jusqu'au bout du texte que nous avons pourtant sous les yeux.


- "mettre sous le joug"

Il est possible qu'ici Paul fasse ironiquement et dramatiquement allusion au joug de la Loi.

Joug dont certainement les infiltrés (cf. 2:4 "secrètement et glissés parmi nous") vantaient les vertus.

Si c'est le cas, cette parole est alors encore plus forte que la précédente.

Le joug de la Loi exprime le cœur de la piété juive : l'observation minutieuse et sacrée de la Torah dans tous ses détails, l'étude de la Loi comme culte même.


- "de la servitude"

Cf. 4:8-9.

Cette antinomie esclavage / liberté ponctue toute la lettre. Il ne s'agit pas de deux nuances sans conséquence du même Évangile, mais bien de deux Évangiles aussi séparés l'un de l'autre que la servitude et la liberté.

Et plus exactement, de l'abîme – malgré les apparences, et les apparences bibliques – entre l'Évangile et un autre "évangile".

Ici, cet "autre évangile" qui n'en est pas un (cf. 1:7) fait pendant à leurs anciennes divinités qui n'en sont pas (cf. 4:8).

Mesure-t-on la vigueur et la véhémence, la passion et la fureur même, de ce Paul ?

Contre ceux pour qui il est une seconde fois en travail (4:19), mais à travers eux et derrière eux, contre les espions rigoristes, auxquels il livre une vraie guerre dont l'enjeu est la vie des croyants galates.


Après cette conclusion magistrale, Paul assène un dernier coup de massue sur le pseudo-évangile de la coupure (5:2-12) avant d'entamer la partie exhortative de sa lettre, non sans toutefois revenir une dernière fois à la charge (6:12-17), dans une finale où il donne aux Galates une ultime injonction, confrontant devant eux dans un choix sans moyen terme la croix et la circoncision.

Plutôt, la croix ou la circoncision (et tout ce qu'elle représente).



 En guise de conclusion (comment conclure ?), quelques libres réflexions


Tout d'abord, et pour commencer par la fin, à propos de Ga 5:1.

Voilà bien un passage qui "parle de la liberté". Mais pas de celle qu'on pense !

Pas de la liberté des passions, du péché, etc.

Paul en parle bien, c'est plus loin, aux versets 13 et suivants. Et comme conséquence de son argumentation.

Ici, il est question d'une chose, d'une seule chose, et d'une chose précise : la liberté d'avec les asservisseurs d'âmes d'un Évangile dévoyé et défiguré, quoique présentant bien et fort !

Et il faut le dire de ce faux Évangile : c'est un Évangile fascinant.

Tellement son discours est fort et viril, il ressemble par moments et à s'y méprendre à celui de Christ.

Artifice suprême : il utilise les mêmes mots !


On pourrait penser que le stratagème est subtil : les églises de la Galatie (pas un unique croyant, ou juste un unique ancien, ou seulement une unique église : toutes les églises de toute une province romaine) y ont toutes succombé !

Inouï !

Mais en réalité, il est des plus grossiers : faire d'abord semblant de croire en une insupportable grâce, puis lui donner le coup de grâce !


Il y a ici de quoi être attentif à la lecture :

- Ga 5:1 est la conclusion de ce qui précède : Paul vient de renverser l'interprétation de l'Écriture à propos d'Abraham, Sara, Agar, etc.

- les légalistes et rigoristes circonciseurs veulent faire des croyants de "vrais" enfants d'Abraham, celui qui s'est circoncis lui-même déjà, avant de circoncire son fils et tous les mâles de toute sa maison sans exception (Ge 17) !

En effet, les Galates ne sont pour le moment – à leurs yeux – que "chrétiens à moitié".

On connaît les accents de cette mâle rhétorique.

- Paul vient, prend leurs Écritures, et renverse les tables où elles étaient posées !

Vous avez lu ? Eh bien, relisez : les enfants de l'esclave, c'est vous, et tout Jérusalem avec vous !

Vous vous pensez les enfants libres d'Abraham ? Grossière erreur : vous êtes les esclaves fils d'esclave !


On comprend qu'un tel homme reçoive des pierres...

Ce n'est pas ainsi qu'on lit l'Écriture, Paul.


Quelle est donc la différence entre l'interprétation de Paul et celle des circonciseurs ?

Elle est simple : celle de Paul scandalise les évidences confortables, celle des circonciseurs les confortent : revenir au confort de la niche rassurante.

Quand l'Évangile n'est pas scandale, on peut douter que ce soit encore l'Évangile. Mais cela ne se voit pas tout de suite. Et personne n'est à l'abri de cette scandaleuse bien-pensance.


Paul finit sa ré-interprétation des Écritures par un appel impérieux aux Galates envoûtés par le purisme radical des gens du couteau qui en fait les harassent :

Christ vous a déliés pour aller libres, alors ne vous laissez pas encore une fois vous attacher.


Il faut percevoir ici la violence de Paul :

- violence dans son exégèse : résister aux asservisseurs

- violence dans son interprétation : subversive quand elle renverse les évidences suprêmes (ils sont fils d'Abraham ! cf. le dialogue avec Jésus en Jn 8)

Elle subvertit la subversion de l'Évangile : lit-on et voit-on cela, nous autres lecteurs pressés ?


Cf. aussi la violence (c'en est bien une : ne cherchons pas à l'émousser ou à "l'excuser" !) de Jésus

- dans le temple

- dans Mt 23


Vouloir gommer cette violence tient d'une religiosité sirupeuse qui ne comprend rien à la violence religieuse et ses subtils déguisements. C'est en fait prendre parti contre l'Évangile.

L'Évangile est une violence contre ceux qui violentent les simples et les petits, à commencer par la violence spirituelle, celle où ces violenteurs d'âmes mettent le cou des petits sous leur pied de la part de Dieu.

Cette violence est notre liberté – c'est de cette liberté-là qu'il est question ici, pas d'une autre –

S'il est question dans ce texte de liberté, c'est de la liberté d'avec les ultras et les radicaux, qui donnent une impression de virilité mais qui en réalité capturent les croyants en leur serrant les ailes.

Il n'est pas question ici de la liberté en général (quoi au juste ?), ni de la liberté des passions, de la chair et de ce tout qu'on entend généralement par là. Ga 5:1 n'a rien à y voir pour le moment.

Si Paul en parle, c'est plus loin, pas ici.

Cessons de "tout mélanger" en versant tous les versets qui ont le même mot dans un grand sac qu'on secoue.


- violence de l'interprète Paul contre les interprètes anonymes

Ils veulent vous couper ? Qu'ils se coupent donc – eux – tout-à-fait.


À la base de la situation des Galates et de la lettre de Paul, il y a un malentendu sur l'Évangile, lequel a entièrement échappé aux destinataires.

Ga 1:6-8, rapide entrée dans le vif du sujet sans autre introduction comme ailleurs, donne l'impression que toutes les églises et tous les croyants de la Galatie ont été atteints pour ces nouveaux évangélistes de la mauvaise nouvelle.

En lisant ce brusque préambule, nous prenons joyeusement le parti de Paul et nous sentons évidemment plus "intelligents" que ces Galates.

Mais qu'aurait fait Pierre sans vision céleste ?

Soit il ne serait jamais allé chez Corneille.

Soit, s'il y était allé, il aurait imposé lui aussi la circoncision.

Que nous sachions, jamais Jéus dans son enseignement à ses disciples n'a abordé le sujet ni donné la consigne de ne pas imposer la circoncision aux futurs disciples !


Nous sommes "intelligents" à nos yeux parce nous sommes maintenant dans l'évidence, et que cette histoire est une histoire d'un lointain passé.

Si bien qu'on ne lit pas la lettre aux Galates pour elle-même, mais que nous en prenons un mince "canon dans le canon", soit les quelques versets qui nous semblent encore pertinents, notamment le passage sur le fruit de l'Esprit.

Mais la cohérence de l'ensemble, la lecture de toute la lettre et l'articulation des ses parties nous laissent généralement indifférents.


La lecture de BOER me suggère aussi deux axes de réflexion supplémentaires :

- la Loi mise au rang des "enslaving powers", des puissances d'asservissement (BOER, p. 384)

- l'ambivalence de Jacques ou du moins de la référence à Jacques


L'exégèse de Paul nous surprendra, mais avant nous, elle aura scandalisé bien des judéo-chrétiens.

Que Paul – l'ancien Pharisien – ait mis la Loi sur le même plan que les "pauvres principes élémentaires" auxquels étaient asservis les Galates avant de connaître Dieu, le Dieu d'Israël, vaut bien une lapidation !


Quant au rôle de Jacques, voilà un point mis en général en sourdine. Le texte biblique n'est pas trop explicite, mais il n'est pas non plus assez clair pour dissiper tout soupçon sur la question.

L'apparition de la prééminence de Jacques est laissée sans détails, et on constate son influence grandissante en passant.

Ainsi, lors de la polémique (sur la circoncision – nous ne quittons pas le sujet) d'Actes 15, c'est lui qui prend la parole et qui donne le dernier mot.

Naturellement, il prend la position de favoriser la venue des païens à Dieu ("Je suis d'avis qu'on ne crée pas de difficultés à ceux des païens qui se convertissent à Dieu" Ac 15:19), mais on sent néanmoins dans la tonalité générale de la fin de ce chapitre une attitude de concession, sans que tout l'enjeu soit entièrement pensé.

De même, dans le chapitre 2 des Galates, nous ressentons cette même ambivalence : il donnera bien la main d'association à Paul, mais la querelle déclenchée par l'arrivée de quelques personnes "de l'entourage de Jacques" laisse un malaise au lecteur.

Finalement, que ces "quelques personnes" se soient recommandées à son insu de Jacques ou non, il n'en demeure pas moins qu'il est difficile de nier que ce christianisme-là soit dans l'air.


Il n'est pas donc pas si surprenant que théologiens et biblistes ne soient pas d'accord sur l'interprétation de Galates.


Concernant la parole catégorique du v. 30 :"Chasse l'esclave et son fils", il ne convient pas de lui surimposer une règle de morale.

Déjà dans le récit de Ge 21, c'est Dieu lui-même qui dit à Abraham d'accorder à Sara ce qu'elle demande : rien moins que l'expulsion au désert d'une mère et de son fils, et fils d'Abraham de surcroît !

Moralement, Abraham n'est pas d'accord : la requête amère de sa femme jalouse lui déplut fort, à cause de son fils (Ge 21:11).

Mais le texte de Genèse se place sur un autre registre que la morale, et Paul accentue cela davantage encore : il est question, dans sa relecture adaptée à la situation particulière avec laquelle il est aux prises, de chasser les missionnaires judaïsants des communautés de la Galatie.

Et quand Paul reprend le texte, les paroles de Sara deviennent celles de l'Écriture : "Que dit l'Écriture ? Chasse l'esclave et son fils."

On voit donc que partant du récit originel, Paul le réécrit et le réinterprète en lui donnant une nouvelle portée, à la fois plus large (par rapport au récit d'origine), et plus restreinte (appliquée au cas particulier de ces Galates).

En passant, on peut se demander comment les chrétiens d'origine païenne, pour la plupart d'origine bien modeste ou esclaves, et qui ne connaissaient pas les Écritures hébraïques, sinon peut-être pour quelques-uns à travers des contacts avec les synagogues de la diaspora et la Septante (cf. les craignant-Dieu), ont perçu cette gymnastique exégétique toute juive. Mais comme déjà signalé, les arguments de Paul visent autant à convaincre les Galates qu'à servir de contre-arguments scripturaires à l'argumentaire – des plus bibliques – des infiltrés de Jérusalem qui ont influencé les croyants sans peine (Ga 5:8 "Cette influence...").

L'exégèse de Paul dans ce passage est donc à la fois un paradoxe et un tour de force. Elle est en général passée sous silence, soit qu'elle provoque une gêne inavouée, soit qu'on y passe rapidement pour aller à la conclusion avec laquelle nous sommes bien d'accord d'avance : non, il ne faut pas que les Galates incirconcis se fassent circoncire, évidemment.

Mais en court-circuitant la démarche de Paul, on passe à côté du drame qui s'est joué là, et que nous réduisons à une anecdote.

Peut-être notre Paul est-il un Paul canonisé, qui ne peut dire que des choses correctes et dont nous émoussons plus ou moins consciemment les paroles et l'interprétation.


On notera aussi que Paul ne se sert jamais de catégories que nous aurions – nous – très probablement convoquées si nous avions été confronté à la situation : O Galates, il y a la loi cérémonielle (elle est abolie en Christ) et la loi morale (elle est accomplie en Christ, et même renforcée). Donc ne vous faites pas circoncire !

Rien de cela chez Paul !

Pour lui, la Loi est considérée en bloc, ou bien résumée en une seule parole (Ga 5:14 // Lé 19:18).

On notera que là aussi, Paul reprend son leitmotiv binaire "liberté / esclavage" : "Vous avez été appelés à la liberté... servez-vous / soyez esclaves les uns des autres" ! Un dernier renversement !

On perçoit néanmoins en filigrane ce qu'on pourrait appeler une histoire de la rédemption intériorisée : Abraham (avant la Loi), le Sinaï (la Loi), l'échec de la Loi avec l'exil et le retour d'exil (Es 54), la perspective eschatologique (Christ).

Peut-être l'allégorie est-elle plus large qu'on ne pense dans l'esprit de Paul, et porte-t-elle bien au-delà de l'épisode Agar / Sara.


Galates, une épître dangereuse ?

À vraiment mettre entre toutes les mains ?

Dans un temps où l'on redécouvre la judéité de Jésus

(mais comment a-t-on donc pu la perdre de vue ?)

Après Auschwitz et la compromission d'un certain christianisme avec le toujours rampant anti-sémitisme.

Dans un temps où à propos d'Israël chacun tire les prophéties à soi, et où les malentendus se nourrissent les uns des autres.

Devant une Loi capable d'être sublimée hors Christ.

Devant des christianismes sans histoire et sans mémoire.

Cette épître porte-t-elle des germes de violence qui pourraient mal éclore dans certains terrains ?


Une question de pouvoir et de joug

C'est triste à dire et à constater, mais l'affaire est pour finir assez banale. La banalité de ce mal-là est affligeante : derrière les grands textes bibliques, derrière les grands mots et les grands thèmes, on ne trouve que la si banale propension de l'être humain à disposer de son prochain.

La pire manifestation de celle-ci est la religieuse, et la pire encore est celle bible en mains.

Rien de très juif, rien de bien chrétien là-dedans. Juste des choses bien ordinaires.

Paul ponctue sa lettre en pointant les motifs cachés et inconscients des missionnaires de la tristesse, et qui brouillent la réflexion, le discernement, la capacité de s'y retrouver :


- 1:7 il y a des gens qui les troublent (cf. aussi 5:10, 12)

- 2:4 des faux frères, furtivement faufilés pour asservir, des espions de la liberté

- 2:12 des gens "de l'entourage de Jacques" (ce que chacun comprendre comme il voudra)

- 3:1 des prédicateurs fascinants

- 4:17 des missionnaires apparemment zélés mais à l'ego en mal de gratification

- 5:1 des poseurs de jougs

- 5:8 d'une influence subtile

- 6:12 et qui jouent sur la contrainte pour leur propre satisfaction naturelle


Comme disait quelqu'un dans un autre registre : ceux qui les maîtrisent et les dominent sont appelés bienfaiteurs.


L'herméneutique juive du temps

Cette idée que Paul ait pu utiliser dans ses lettres des formes d'exégèse rabbinique, et ait hérité de ses maîtres en judaïsme un univers herméneutique juif en dérangera plus d'un.

C'est pourtant une évidence à laquelle il faut se rendre.

Paul était l'élève de Gamaliel, qui était le petit-fils du grand Hillel, connu pour ses fameuses treize règles d'interprétation.

Certains estimeront que cette idée même porte atteinte à la notion commune de la nature de l'inspiration : certes, mais elle porte atteinte avant tout à l'idée qu'ils s'en font.

Il est préférable de ne pas définir soi-même ce que doit être l'inspiration et quelles formes elle doit prendre pour plaquer ensuite sa propre conception sur les textes, mais de regarder comment ces lettres ont été inspirées.

Ce sujet est trop vaste pour l'approfondir ici.


Une lettre circonstancielle ?

Comme toutes les lettres de Paul, celle-ci aussi est une lettre de circonstance. Ce n'est certes pas un traité (!) de théologie systématique sur la grâce et la loi.

Elle est pleine de passion, par endroits de fureur. C'est la lettre d'un homme, pas d'un ange. Et aussi d'un guerrier : l'auteur ne recule pas devant l'affrontement. S'il aime ses correspondants pour qui il est encore dans les douleurs de l'enfantement, c'est avec l'énergie du berger devant le loup. Il forcit les traits que les Galates ne distinguent pas bien. Il les place pour finir devant un choix. Il n'use d'aucune concession envers les évangélistes fantômes qu'il ne nomme même pas, qui ont réussi le tour de force de faire retourner en un instant les croyants à un état similaire à celui qui était le leur avant leur conversion !

La situation en Galatie a fourni l'occasion à Paul d'un développement qui allait beaucoup plus loin que la seule résolution des troubles dans ces églises.

Il est destiné aux pagano-chrétiens et aux judeo-chrétiens de Galatie, mais aussi aux missionnaires téméraires en coulisses.

En fait, la polémique sur la circoncision entre les fauteurs de trouble – dont l'enjeu est la vérité de la nouvelle alliance et l'âme des croyants – a des enjeux qui vont bien plus loin que la circoncision ; elle a manifesté au grand jour ce qui n'était pas encore clairement perçu chez beaucoup, notamment chez les judéo-chrétiens : le temps eschatologique est arrivé, l'ancienne alliance doit laisser la place à la nouvelle.

Nous qui lisons cette lettre à si grande distance, nous sommes instinctivement et machinalement "du côté de Paul"... et contre ces "nigauds" de Galates qui ne voient pas les évidences.

Pour que cette lettre nous interpelle, nous déplace, nous interroge sur nous et non sur eux, il faut faire tout son possible pour se défaire de cette attitude réflexe intérieure.

Pour ce faire, il faut tâcher autant que nous en sommes capables, de nous mettre dans la peau des Galates.

Puis, nous parlerons de nous...


Une question tout de même...

Cette lettre recèle donc des difficultés, des interprétations et des paradoxes inattendus.

Notre lecture court le risque inverse de la simplification ou de l'esquive : celui d'être plus sophistiquée que l'argument de Paul lui-même, dont on peut s'étonner qu'il ait été naturellement reçu par de simples païens qui s'approchaient de l'Écriture, via la LXX de surcroît.


En filigrane, la partition et l'échec de l'Évangile de Paul ?

Pourquoi Dieu a-t-il donc choisi cette pédagogie, qui portait en germe en elle le risque de la pérennisation du temporaire ?

"Non, Seigneur !" lui dira un Pierre (Ac 10:14).

Ce dont je suis persuadé, néanmoins, est que le plan de Dieu n'était pas la partition.


Allégorie ou typologie ?

Je ne prends pas le temps d'examiner plus loin les mérites respectifs de la typologie vs. l'allégorie.

Tout l'article de DI MATTEI est dévolu à montrer que Paul parlait bien de ce dont il parlait : d'une allégorie, selon ses propres termes.

D'autre part, il me semble que Paul n'était guère intéressé par l'histoire des deux femmes et des deux fils au sens où nous le sommes.

C'est une réécriture de l'histoire qui est à la base de son argumentaire.

Pourtant, je ne peux me résoudre personnellement à laisser là le récit, et passer aussitôt à l'allégorie (je ne suis pas Paul, je ne suis pas juif, je vis ici et maintenant).

Même si elle y est inscrite dès l'origine : Dieu seul le sait, et difficile de dire ce que Dieu seul sait...

Sauf à penser qu'il s'agit d'un réécriture désincarnée, une théologie mise en scène, ou une fiction littéraire post-exilique, l'histoire d'Abraham, de ses deux femmes et de ses deux fils est une histoire.

Donner d'emblée à cette narration un statut d'allégorie en germe c'est passer à côté, voire chasser le drame de cette famille.



Pour conclure vraiment

Cette lettre est laissée à l'abandon. La lecture qu'on en fait est bien souvent démembrée,

On y grappille un mot ici, un mot là, ou on n'en cite que les passages connus.

Mais comment ne pas prendre cette lettre dans son ensemble ?

Et sans se replonger dans son monde ?

Et sans se glisser dans la mentalité interprétative du juif Paul ?

Il faut aussi tenir à l'esprit que l'argumentation sur l'histoire sainte (cf. NBS, Introduction) était le pendant et la réplique au stratagème de persuasion des fauteurs de trouble, juifs ou hellénistes.

Paul les affronte sur leur propre terrain, pour leur montrer qu'il ne connaissent pas même l'Écriture qu'ils brandissent, et qu'ils sont portés par des automatismes identitaires tout humains et des réflexes de survie.

Paul met en désordre toutes leurs évidences.


Ce sont des mécanismes identitaires qui sont déjà à l'œuvre dans les églises de Galatie, alors que les Galates viennent tout juste de se convertir (Ga 1:6). Ces réflexes identitaires viennent donc de plus loin. Paul incrimine sans ménagement des challengers, des "propagandistes attardés" (NBS) qui sont passés après la conversion des Galates, et qui n'ont visiblement pas "souffert les douleurs de l'enfantement" pour ces nouveaux croyants.

Les judaïsants vivent toujours dans le monde ancien et veulent y ramener les Galates (TOB) ; ils ruinent ainsi l'Évangile, en se réclamant de l'Ancien Testament.


Entre leur Évangile et celui de Paul, l'ambiguïté est grande aux oreilles des Galates.

Il peut arriver aussi aujourd'hui que l'équivoque entre deux formes d'Évangile, similaires de loin, soit aggravée par le simple fait que la ligne de frontière entre l'Évangile de la liberté et l'envoûtement d'une certaine intransigeance ne passe plus par des bornes obsolètes (alors la circoncision, hors sujet maintenant dans notre christianisme latinisé depuis belle lurette), mais par de nouveaux points de repérage d'une orthodoxie / orthopraxie tranquille.

Mais qui criera la morbide et pernicieuse séduction du cœur humain par la surenchère de décrets, dogmes, ordonnances, principes ?

Ici, les docteurs de l'ancien authentique auront chacun leurs nouvelles trouvailles bibliques.

La liberté de l'Évangile est décidément un liberté difficile.


Concernant l'exégèse et l'herméneutique de Paul, il y a aussi beaucoup à dire.

"... les procédés exégétiques employés au chapitre 4 surprennent souvent les modernes" commente NBS, Introduction.

C'est peu dire !

Mais certains ne sont surpris de rien : ils imitent même l'apôtre sans retenue et le surpassent en versant dans une fantaisie cautionnée par des mots de la Bible.

Je ne peux approfondir le sujet dans une conclusion, mais selon moi, nous ne pouvons nous autoriser si librement l'interprétation créative de Paul.

Ce sera déjà beaucoup si nous cherchons à comprendre l'argumentation de Paul, le contexte, les enjeux.

Nous sommes ici en terrain glissant, je le sais, mais l'interprétation charismatique a besoin de sérieux garde-fous.

L'Écriture n'est pas destinée à la griserie lexicale d'une exégèse sauvage. Ou des outrage au sens et à la parole que nul ne se permettrait avec tout autre livre, où la Bible est transmuée en caution d'un délire verbal auto-référant et auto-justifiant, même si cela finit sans risque par des conclusions des plus orthodoxes, et des applications bien prévisibles.


L'essentiel n'est-il pas qu'on entende l'Évangile ?

Et non seulement l'interminable catalogage de tout ce qu'on ne fait pas et de tout ce dont on reste redevable (Luther).

Le pseudo-Évangile d'un dieu insatiable qui a plus de traits communs avec les divinités archaïques qu'avec le visage de Christ. Ces dieux hideux jamais assouvis, réclamant de leurs dévots prosternations et anéantissements, nourriture sans aucune cesse, libations à l'infini, servant au subtil contentement de leurs prêtres aux dépens des adorateurs innocents. Ces pontifes-là, plus que servir Dieu comme il y paraît, servent leur sacerdoce, qui est leur seule définition.


Les Galates, comme les Colossiens, ont eu affaire à ces virtuoses du religieux, qu'ils n'ont pas reconnus, tellement leur Évangile ressemblait au véritable et avait les mêmes mots, et qui leur ont, à leur gré, ravi le véritable, du moins pour un temps.


Il me semble avoir lu quelque part que Luther disait que tout chrétien devrait lire toute l'épître aux Romains chaque jour.

Qu'il y ajoute donc celle aux Galates.


Abréviations

BFC                    La Bible en français courant, 1997

CRAMPON        Bible d'A. Crampon, 1923

La Colombe       Bible À la Colombe, 1978

LXX                     la Septante

MARTIN             Bible de D. Martin, 1707

NBS                    Nouvelle Bible Segond, 2002

NEG                    Bible Nouvelle Édition de Genève, 1979

TOB                    Traduction Œcuménique de la Bible, 2004


 Bibliographie commentée

Toutes les sources ci-dessous ont été effectivement consultées, et m'ont influencé, cela va de soi, même si je ne les cite pas servilement à chaque fois.

La lecture d'un texte farci de renvois et de citations de citations finit par être laborieuse d'ailleurs...

Beaucoup sont gratuitement accessibles en ligne, mais certains articles ne le sont que depuis une institution ou bien sont payants.

On peut regretter qu'il faille payer deux fois (d'abord par l'impôt, et une seconde fois en payant encore) le fruit de la recherche, surtout lorsqu'il s'agit de travaux effectués en France.

Il ne s'agit que de quelques références à portée de ma main. On y trouvera le renvoi à une bibliographie des ouvrages et articles les plus cités.

Mais la littérature sur Galates, et sur ce passage en particulier, est un océan.

Paul serait sans doute un peu étonné d'avoir déclenché un tel flot d'encre pour un passage de lettre qu'il a écrit ou dicté spontanément dans sa passion (et sa colère ?).

Il faudrait plusieurs vies pour tout lire...



Davis, Anne. 2004. « Allegorically Speaking in Galatians 4: 21-5: 1 ». Bulletin for Biblical Research 14: 161-74.

Article riche et difficile à résumer. Pour DAVIS, Paul n'use ni de typologie, ni de l'allégorie narrative de la littérature classique grecque, mais de procédés littéraires destinés à produire une réaction de surprise, d'indignation, voire de scandale. Paul termine son argumentation par une dernière ironie destinée à choquer : le vénérable "joug de la Loi" est un joug de servitude (Ga 5:1). Par une sorte d'abus de langage, il recourt à des associations inattendues (Hagar / Sinaï ; deux femmes / deux alliances) qui vont à l'encontre de la compréhension conventionnelle des textes, des personnages, ou des événements. En utilisant des métaphores sans signification apparente, en usant de concepts qui contredisent le récit biblique, en associant l'alliance de Dieu avec Israël à la servitude d'Agar, il alerte le lecteur dérouté par ces affirmations allégoriques et le conduit à chercher dans les Écritures une plus grande compréhension de termes-clés et de concepts tels que liberté, esclavage, Loi, héritage, promesse. Au conflit avec ses rivaux juifs au sujet de la circoncision et de l'étude de la loi, il ajoute – au moyen d'un stratagème allégorique destiné à prendre par surprise – un autre conflit au sujet de l'héritage : tout ce qui mène à l'esclavage – et ce n'est pas le fait de descendre d'Agar, vu que Paul parle allégoriquement – ne pourra hériter de la promesse.


Di Mattei, Steven. 2006. « Paul’s Allegory of the Two Covenants (Gal 4.21-31) in Light of First-Century Hellenistic Rhetoric and Jewish Hermeneutics ». New Testament Studies 52 (01): 102-22.

Article important, qu'il serait trop long de résumer correctement. Il faut le lire ! J'en traduis d'abord le court abstract, puis le passe en revue avec plus de détails.


Galates 4:21-31 commence par une brève allusion aux événements rapportés en Genèse 16-17, assortie de ce commentaire : ἅτινά ἐστιν ἀλληγορούμενα (4:24). En réexaminant la signification de ἀλληγορέω et en replaçant la méthode de Paul dans le contexte des normes herméneutiques du 1er siècle, l'article défend l'idée que l'allégorie paulinienne des deux alliances reflète davantage les pratiques juives de lecture qui eschatologisaient la Torah – comme Paul le fait en lisant Genèse 16:1 à travers sa haftarah (Es 54:1) – qu'une typologie chrétienne.


Le sentiment de l'auteur est que nous n'avons pas encore vraiment saisi la méthode exégétique de Paul. En s'appuyant sur l'usage du terme ἀλληγορία chez des auteurs comme Tryphon et Héraclite (tous deux d'Alexandrie), il conclut qu'il s'agit d'une figure qui dit une chose (παιδίσκη et ἐλευθέρα) pour en signifier une autre (deux alliances). λληγορέω est utilisé chez ces auteurs au sens de "parler allégoriquement" (et non pas "interpréter allégoriquement"). La forme participiale de Paul (ἀλληγορούμενα ) ne peut guère signifier autre chose que "ces choses sont dites allégoriquement", malgré l'opinion contraire de LONGENECKER, DUNN et HAYS, dont les préjugés typologiques (l'Écriture préfigurerait les événements de Galatie) interfèrent avec leur interprétation.

L'usage du participe de ἀλληγορέω pour modifier un élément dont il vient d'être question se retrouve d'une manière exactement similaire chez Héraclite (τὰ περὶ θεῶν – ἠλληγορημένον τὸν μῦθον) et chez Démétrius (de Phalère – γραῦν ἀλληγοροῦν). Hagar et Sara sont donc allégoriquement deux alliances. Cela n'enlève rien de l'histoire du passage de la Genèse : Paul dit simplement que Genèse 16-17, en parlant d'Agar et de Sara, parle allégoriquement de deux alliances. L'idée que l'alliance du Sinaï exigeait la soumission n'est pas étrangère au judaïsme.

DI MATTEI traite aussi les sérieux problèmes de texte des vv. 24-25. Il traduit : 'Le nom "Hagar" désigne une montagne en Arabie, à savoir le Sinaï'. L'allégorie est donc construite sur un jeu de mot et non sur un personnage historique, comme l'exigerait la typologie. Une tradition targumique mentionne l'existence d'un jeu de mot entre הגר et חגרא, la région montagneuse où Agar fut dans la servitude avec ses enfants, Hagra en Arabie : les enfants d'Agar parlent allégoriquement "des enfants qui viennent de Hagra (c.-à-d. du Sinaï)". L'allégorie ne repose pas sur un type historique mais plutôt sur des allusions verbales et thématiques déjà présentes en Ésaïe 54:1. La clé herméneutique de l'exposé allégorique que fait Paul du récit de Genèse 16-17 (qu'il paraphrase plus qu'il ne cite) se trouve dans sa haftarah (Es 54:1) selon le cycle trisannuel palestinien. Il y a dans cette lecture liturgique une connexion implicite entre la stérile Sara et la stérile Jérusalem. Paul utilise la haftarah pour justifier son parallèle entre la stérile Sara de Genèse 16:1 et la stérile Jérusalem d'Ésaïe 54:1, les deux étant d'ailleurs désignées par le même terme, ἐλευθέρα. La citation d'Ésaïe 54:1 appuie l'allégorie de Paul, allégorie que l'allusion d'Ésaïe à Sara comme "la femme stérile" prépare déjà. Paul est donc en accord avec son héritage juif et les pratiques exégétiques juives. En accord avec le message du prophète, Paul – qui, avec sa communauté, pensait vivre dans les derniers jours – voit les Nations justifiées et rassemblées, les justes (Es 51:1) selon la foi (οἱ ἐκ πίστεως – Galates 3:9). L'herméneutique de Paul lit allégoriquement la Jérusalem céleste d'Ésaïe dans la Sara de la Genèse.

Ainsi, sa lecture allégorique du récit abrahamique vient de l'influence des pratiques juives de lecture (la haftarah eschatologise la Torah) et de l'usage que fait Ésaïe du même récit. Paul considère donc que Genèse 16-17 proclame allégoriquement, et comme Ésaïe le prophétise, l'accomplissement des promesses faites par Dieu à Abraham et à sa descendance.

L'unique citation de la Genèse est celle de Genèse 21:10 en Galates 4:30 ("Chasse l'esclave et son fils..."), par laquelle Paul fait une analogie temporelle ("alors" / "maintenant" v. 29), suivant en cela les normes exégétiques juives du temps, où l'Écriture est lue comme dévoilant les événements eschatologiques qui surviennent. "Chasse la servante et son fils" signifie pour Paul "chasse l'alliance du Sinaï et ses fils" !

Quoiqu'apparemment choquant, ce sens allégorique est inévitable. La théologie paulinienne de la Loi reflète – allégoriquement – ce récit. L'héritage de la vie éternelle dans la Jérusalem céleste ne peut venir de la Loi et de l'alliance du Sinaï.

En conclusion, la méthode exégétique de Paul lit Genèse 16-17 et 21:10 comme parlant allégoriquement de ce qui arrivera à ceux qui vivront dans la génération finale et ce, à travers la parole divine et non à travers des "types" historiques. C'est cette substitution rhétorique (ceci est dit pour dire cela – "ces choses sont dites allégoriquement", ἀλληγορούμενα), et les pratiques juives de lecture qui eschatologisent les passages de la Torah en les lisant à travers des passages des Prophètes, qui permettent de rendre compte le mieux de la méthode exégétique de Paul en Galates 4:21-31.


Gerber, Daniel. 2002. « Ga 4,21-31 ou l’indéfinissable méthode ? » dans : Raymond Kuntzmann (éd.), Typologie biblique. De quelques figures vives. Paris : Cerf (Lectio divina. Hors série), p. 165-176

Très utile analyse qui laisse ouverte la réflexion sur un passage qui a résisté "aux assauts répétés et acharnés des commentateurs". Le titre même du chapitre renvoie à l'étrangeté de l'argumentaire de Paul : quelle est donc sa méthode ? Allégorique ? Typologique ? La réaction vigoureuse de Paul nous est présentée de façon unilatérale et dramatisée. Il pousse à leur paroxysme les implications d'être sous la loi pour appeler les Galates à se décider.

L'objectif est clair, mais la "logique" est déroutante. La phrase hatina estin allègoroumena est ambiguë, la correspondance entre le peuple juif et la figure d'Agar est hardie. Pour GERBER, malgré l'emploi du verbe allègoreô. la méthode relève globalement de la typologie, mais sur un fondement allégorique aléatoire (une "construction typologique sur un arbitraire allégorique") qui a permis la production de correspondances. L'insistance est placée sur l'héritage réservé aux seuls "fils de la femme libre", mais au prix d'un tour de force exégétique plus imputable à la colère qu'à la raison.


Greer, Rowan A. 1986. "Christian Transformations of the Hebrew Scriptures" dans

Kugel, James L., and Rowan A. Greer. 1986. Early Biblical Interpretation. Philadelphia: WestminsterPress.

Greer analyse les différences entre allégorie et typologie, notamment leur ambiguïté parfois. Pour l’histoire primitive de l’exégèse de l’épisode d’Abraham et de ses deux fils en Galates 4, voir les pages 134, 136, 140, 181. "Il est difficile de dire si Galates 4 est un type ou une allégorie" (p. 136). Et voir p. 181 pour l’opposition d’Antioche (Diodore de Tarse, Théodore de Mopsueste) à l’allégorisme d’Origène ; l’argument de Théodore est que Ga 4:24 n’est pas une caution pour la méthode allégorique, car Paul n’abolit pas le signification du récit de la Genèse, mais au contraire insiste sur les faits de l’histoire d’Abraham.


Hays, Richard B. 1993. Echoes of Scripture in the Letters of Paul. Yale University Press.

Pour HAYS, l’herméneutique de Paul n’est pas christocentrique mais ecclésiocentrique (p. 86). Il n’utilise pas les Écritures pour prouver que Jésus est le Messie mais pour comprendre ce qu’est l’Église, la communauté chrétienne eschatologique composée de Juifs et de païens réunis. Cette herméneutique ecclésiocentrée se voit en particulier en Galates 4:21-31. On voit que son souci n’est pas christologique en ce qu’il s’abstient de toute identification d’Isaac – celui qui a été offert en sacrifice – avec Christ, qui n’est pas même mentionné. Au contraire, Paul voit Isaac comme une préfiguration de l’Église (Ga 4:28).

HAYS consacre 10 pages à Ga 4:21-31 (pp. 111-121).

Paul se livre à une lecture ecclésiocentrique subversive du passage de Genèse 21, le texte qui précisément aurait pu être une menace pour sa mission vers les païens, et que les opposants ont sans doute triomphalement brandi comme la réfutation définitive de l’Évangile anti-circoncision de Paul. Dans un "ju-jitsu herméneutique", Paul détourne à son propre avantage, par une contre-lecture, la force de leurs arguments.

HAYS fait remarquer la subtile modification du texte de la Septante de Ge 21:10 ("avec mon fils Isaac") en Ga 4:30 ("avec le fils de la femme libre"), en fonction de son argumentaire qui repose sur le contraste esclave / libre. Les deux fils ne sont pas caractérisés par leur circoncision ou non-circoncision, mais par la condition (esclave / femme libre) de leurs mères.

C’est Paul qui introduit dans le récit la Sarah "femme libre", qui n’est jamais appelée ainsi dans le texte de la Genèse. Paul opère un renversement frappant quand il associe le complexe symbolique Agar / Ismaël /esclavage non avec les païens mais avec le Sinaï et la la Loi. Pour Paul, la Loi de Moïse avait un rôle intérimaire. Son interprétation innovante lui permet de relier l’alliance abrahamique à la réalité présente de ses églises de Gentils, en passant par dessus l’alliance du Sinaï.

Les deux alliances de Ga 4:24 ne sont pas l’ancienne alliance au Sinaï et la nouvelle alliance en Christ. Il s’agit plutôt d’une mise en contraste entre l’ancienne alliance du Sinaï et l’alliance plus ancienne encore avec Abraham, alliance qui dans la relecture de Paul trouve son véritable sens en Christ. On notera en passant comment cette stratégie est éloignée d’une interprétation supersessioniste de l’Écriture.

Pour Paul, la liberté et l’héritage des communautés chrétiennes des Gentils ne sont pas des nouveautés, mais des vérités plus anciennes encore qui étaient déjà implicites en Isaac, dans la promesse faite à Abraham. Cette association par Paul de la Loi avec un esclavage est choquante et hérétique, mais elle permet à Paul de considérer le récit de la Genèse comme une préfiguration voilée de ce qui se passe maintenant dans l’Église des Gentils. C’est la raison pour laquelle certains commentateurs considèrent que nous avons affaire à de la typologie (la correspondance entre des figures passées et présentes) et non à de l’allégorie (qui concerne des vérités spirituelles intemporelles) et ce, malgré l’usage par Paul du mot allêgoroumena.

Mais notre distinction entre allégorie et typologie n’était pas le souci de Paul : il voulait juste dire qu’il ne fallait pas prendre ce passage au pied de la lettre comme un simple récit, mais que ce récit contenait de façon latente une autre signification, laquelle est dévoilée lorsque ledit récit est mis en relation avec l’expérience présente de la communauté à laquelle Paul s’adresse. On ne peut comprendre le sens figuré de l’histoire d’Abraham, Sara, Agar, Isaac et Ismaël qu’en lien avec les préoccupations pastorales et théologiques de Paul à ce moment-là.

La seule citation directe que fait Paul de Genèse 21 est la demande de Sara à Abraham ("Chasse l’esclave car…"), qui n’est plus sous sa plume la parole de Sara à Abraham mais celle de la graphê, l’Écriture, au lecteur. Noter comment Paul change "n’héritera pas avec mon fis" (formule que Paul aurait pu saisir comme exprimant les droits d’héritage exclusif de Christ, si son souci avait été christologique) en "n’héritera pas avec le fils de l’esclave", par quoi il exhorte les destinataires de sa lettre à exclure les circonciseurs du milieu d’eux.

Cette lecture ecclésiocentrique est confirmée par la mise en rapport de la suite du récit avec la présente persécution des chrétiens par les Juifs. Ismaël persécutant Isaac correspond aux tenants de la Torah persécutant les chrétiens qui ne l’observent pas.

(en passant, on peut se demander, avec l’héritage d’une histoire de persécution infatigable des Juifs par les chrétiens : qui est "Ismaël" aujourd’hui?)

Le seul problème est que le texte de la Genèse ne dit pas qu’Ismaël persécutait Isaac. Paul entre ici dans une longue tradition juive qui cherchait à exonérer Sara de toute jalousie malveillante. Ainsi, un détail mineur et assez obscur du récit reçoit un développement extraordinaire à cause de la persécution des missionnaires d’un Évangile sans Torah pour les Gentils par les tenants de la circoncision.

Le second passage que Paul cite explicitement est Es 54:1. Il n’est pas clair de prime abord comment ce passage peut servir le propos de Paul. Mais une fois que Paul a identifié les croyants comme les enfants de la Jérusalem eschatologique, qui existe déjà dans le ciel, l’utilisation de la prophétie d’Ésaïe – dont les paroles de consolation s’adressent à la Jérusalem d’après l’exil – s’explique. Jérusalem n’est pas formellement citée dans le passage d’Ésaïe en question, mais tout lecteur familier de cette section du Deutéro-Ésaïe reconnaîtra d’emblée que c’est de Jérusalem qu’il est question, et non seulement dans Es 54, mais aussi dans le contexte large, depuis au moins Es 51:17.

Pour comprendre la portée de la citation, le lecteur doit avoir à l’esprit ce contexte large. La citation de Paul est chargée de ces échos de l’Écriture. Ainsi, c’est dans Es 51:1-3 qu’est mentionnée Sara "qui vous a enfantés". Il y a donc dans ces textes un écho interne qui met en correspondance la désolation de l’exil avec la situation de Sarah la stérile. Les promesses des derniers chapitres d’Ésaïe annoncent que la bénédiction eschatologique de Jérusalem sera l’instrument de l’extension du salut aux Gentils, qui seront ainsi inclus – dans l’interprétation de Paul – dans les "nombreux fils de la délaissée".

Paul a donc opéré une transformation majeure du sens du texte en faisant s’adresser Es 54:1 à une Église de Gentils. Cette extraordinaire inversion herméneutique est analogue à celle de Romains 9:25-26, où de la même façon les paroles d’Osée – adressées à Israël – deviennent la promesse que Dieu appellera ceux "qui ne sont pas mon peuple", c.-à-d. les païens. Cette lecture déroutante de Paul est basée sur la conviction exprimée dans Galates 3:29 : ceux qui sont à Christ sont la semence d’Abraham, et héritiers selon la promesse. Par l’acte de Dieu en Christ, la bénédiction d’Abraham a atteint les païens (Galates 3:13-14).

Son herméneutique ecclésiocentrique – qui a bien comme présupposé théologique sa christologie – devait déconcerter le lecteur juif centré sur la Torah et échapper au lecteur chrétien à la recherche de textes prouvant que Jésus est le Christ.

La préoccupation principale de Paul est de montrer que l’Église est préfigurée dans l’Écriture. C’est pourquoi il ne voit pas en Isaac un type de Christ mais un symbole de la communauté chrétienne.

Son interprétation inventive vient de sa conviction centrale que ses lecteurs et lui sont le peuple eschatologique de Dieu, parvenu à la fin des âges.


Le Boulluec, Alain. "De Paul à Origène : continuité ou divergence ?", notamment la partie « Paul, adepte de l’allégorie ? » dans : Dahan, Gilbert, et Richard Goulet. 2005. Allégorie des poètes, allégorie des philosophes. Vrin. 113-124 (accédé via Google Books, juin 2017)

Chapitre très riche, difficile à résumer. Le propos est de comparer l'usage de l'allégorie chez Paul et chez Origène. Ce passage de Paul "reste surprenant à maints égards". LE BOULLUEC traduit ainsi le v. 24 : "ces choses-là sont dites en parlant d'autre choses". Le lien entre Hagar et le mont Sina reste énigmatique, le parcours du raisonnement est étrange. Origène érigera plus tard en système d'interprétation l'instrument que Paul a utilisé une fois, dans une situation précise. Chez lui, la part de l'allégorie est restreinte. Ce n'est pas effectivement le procédé grec de l'allégorie, mais une allégorisation qui passe par des procédés propres au judaïsme, et qui se sépare aussi de ce que les biblistes appellent "typologie" et que Paul pratique en 1 Co 10:1-11.

Au v. 29, "persécutait" correspond aux gloses défavorables de targums à Ge 21:9. L'introduction d'Es 54 reflète l'usage synagogal.


Le Déaut, Roger. 1961. « Traditions targumiques dans le corpus paulinien ? » Biblica 42 (1): 28-48.

Quoique déjà ancien, cet article est des plus éclairants. Une élaboration théologique était déjà sensible dans la Septante. Les auteurs du NT, et Paul notamment, ont utilisé les traditions de leur peuple et des leçons préservées dans le Targum. LE DÉAUT analyse trois textes obscurs (Hé 11:4 et 12:24 ; 2 Co 3:16 ; et Ga 4:29-30) en les replaçant dan un contexte aggadique :


Si de pareils textes restent obscurs, c'est sans doute que leur genre littéraire même postule l'utilisation de tout un patrimoine de traditions exégétiques dont la connaissance illuminerait mainte allusion. p. 37


LE DÉAUT replace la dissension entre les deux frères presque sur un terrain "théologique" de la justification et du mérite, et la persécution d'Ismaël contre son frère sur l'arrière-plan de l'aggadah traditionnelle (dont le Targum palestinien est un témoin précieux), tradition juive plus développée que le texte biblique. Cette persécution est en lien avec la question de l'héritage.


Lee, Yongbom. 2015. Paul, Scribe of Old and New: Intertextual Insights for the Jesus-Paul Debate. Bloomsbury Publishing. Voir le chapitre 3 "Paul's Use of Scriptures", section A. "Galatians 4:21-31", pp. 59-67.

(accédé sur Google Books, avril 2017)

Article très détaillé, à lire en entier.

En quelques mots, les points principaux. Paul utilise les Écritures ainsi que les traditions exégétiques juives de l’époque. Il ne justifie pas en détail son identification des deux femmes à deux alliances. Il se sert d’un jeu de mot entre Hagar et Hagra qui existait déjà dans les communautés juives du 1er siècle. Pour ce qui est de la citation d’Es 54, il faut la considérer sous l’angle de l’utilisation des promesses abrahamiques par Ésaïe lui-même. Paul en fait une application aux circonstances des Galates. Il identifie l’hostilité entre les deux fils d’Abraham aux tensions entre les judaïsants et les Galates. Certaines traditions juives interprètent "rire" צחק tsahaq de Ge 21:9-10 dans un sens hostile. L’incorporation d’éléments libres dans la formulation de citations était une pratique littéraire répandue dans l’antiquité. Ainsi Paul incorpore des éléments extra-bibliques pertinents pour son argumentation et les applique à la situation des Galates.


Vouga, Francois. 1984. « La construction de l’histoire en Galates 3—4 ». Zeitschrift für die Neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der Älteren Kirche 75 (3-4):259-69.

Analyse la composition littéraire et la stratégie rhétorique de Galates.

Plus en lien avec le passage concerné :

- La Loi est mise en contradiction avec la Loi (v. 21)

- le point de vue n'est pas celui de l'histoire, mais ce que VOUGA appelle les structures d'existence (p. 263) : "l'existence ἐκ νόμου, chrétienne ou juive, est d'Agar. Pour elle, Christ est mort pour rien."

Les arguments de Paul, dont le développement allégorique de Ga 4:21-31, appartiennent aux controverses des judéo-chrétiens que sont Paul et ses concurrents dans leurs débats avec leur propre histoire. C'est une réévaluation de l'héritage du judaïsme et de son propre passé à partir de l'événement Jésus, cherchant à contrer la propagande à laquelle sont soumis les Galates dont il veut regagner la confiance. L'autre Évangile qu'on leur a présenté n'est qu'une variante de paganisme : l'esclavage de la Loi n'est que l'équivalent des éléments du monde païen dont ils s'étaient libérés. Paul opère une restructuration des concepts, comme avec le célèbre remodelage de la citation d'Habakuk 2:4, ou avec la figure d'Abraham, soustraite aux modèles édifiants de l'observance juive de la Loi (attestée encore en Jacques 2), et un recadrage christologique de l'histoire du salut, à partir de l'échec de la Loi à la croix.

"Paul a été crucifié avec le Christ, il est mort la Loi par la Loi, la rencontre du crucifié constitue la rupture existentielle partir de laquelle le passe se reconstruit." (p. 269).


vonEhrenkrook, Jason Q. 1998. “Galatians  4:21-31:  Hermeneutical  Gymnastics  or  Historical  Interpretation.” Calvary Baptist Theological Journal 14 (1): 50–65.

Paul a été à l’école de Gamaliel l’ancien, petit-fils de Hillel, connu pour son interprétation plus libre des Écritures. Contrairement aux Alexandrins – Philon notamment – qui par l’allégorie évitaient de tenir compte de l’histoire, Paul considère le récit historique comme significatif. Son usage de l’allégorie est enraciné dans le contexte large des Écritures.

L’essence de l’Évangile étant en jeu, la lettre de Paul aux Galates est pleine de passion et de véhémence. Le point culminant de son argumentaire se trouve en 4:30 : "Chasse l’esclave et son fils". Il renverse l’argument des judaïsants et l’application qu’eux font de l’épisode d’Agar et Sara. Ils devaient certainement faire une grande part au récit d’Abraham dans leur argumentation pour persuader les Galates de la nécessité de se soumettre à la loi mosaïque et à la circoncision. Paul la renverse complètement, en liant Hagar et la notion d’esclavage à Jérusalem. Son usage d’Es 54:1 est en fait la clé de son interprétation allégorique, car la perspective de Paul s’appuie sur un contexte bien plus large que le récit de la Genèse. Les enfants de la promesse sont ceux qui en Galatie – circoncis ou non – ont placé leur foi dans le Messie Jésus-Christ. Paul utilise Ge 21:10 pour exhorter les Galates à chasser du milieu d’eux les judaïsants et leur enseignement. Il oppose une perspective historico-rédemptrice qui prend en compte la portée plus large de l’AT, à l’interprétation atomisée et superficielle de l’herméneutique à courte visée des Judaïsants.


Autres références consultées

Bouwman, G. 1987. « ST Les deux Testaments. Une exégèse de Galates 4, 21-31 ». Bijdragen 48 (3):259 76.

Dahan, Gilbert, et Richard Goulet. 2005. Allégorie des poètes, allégorie des philosophes: études sur la poétique et l’herméneutique de l’allégorie de l’antiquité à la réforme . Vrin.

De Boer, Martinus C. 2004. « Paul’s quotation of Isaiah 54.1 in Galatians 4.27 ». New Testament Studies 50(03): 370-89.

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Emerson, Matthew Y. 2013. « Arbitrary Allegory, Typical Typology, or Intertextual Interpretation? Paul’s Use of the Pentateuch in Galatians 4: 21–31 ». Biblical Theology Bulletin 43(1):14-22.

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