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Citations extra-bibliques

version du 23/12/16


Exemples de citation par l'Écriture de sources ou de traditions extérieures à l'Écriture


Le phénomène de l'Écriture citant l'Écriture interroge le lecteur attentif.

Celui de l'Écriture citant des sources extérieures à l'Écriture, d'autant plus.


Il y a selon moi diverses façons, dans l'Écriture, de citer l'Écriture ou un texte hors de l'Écriture :


. des citations pour prouver : citations démonstratives

. des citations pour appuyer : citations affirmatives

. des citations pour illustrer : citations illustratives

. des citations pour situer : citations contextuelles

. des citations pour suggérer : citations suggestives


Chacun des cas suivants peut être rattaché à l'une ou l'autre de ces formes de citation.

Ils ont tous pour point commun d'être tirés de textes ou de traditions externes à l'Écriture.


. Jannès et Jambrès : 2 Timothée 3:8 – cités dans le Document de Damas (un rouleau des grottes de Qumran), dans un targum sur l'Exode (le Targum Pseudo-Jonathan), dans un midrash sur Ex 9:7, et dans Pline l'Ancien (auteur latin du 1er siècle, dans son Histoire naturelle, où il les appelle Jamnès et Jotapès).


. Noé "prédicateur de la justice" (2 Pierre 2) : jamais désigné ainsi dans la Genèse


. la dispute sur le corps de Moïse (Jude) : épisode inconnu de l'AT


. la prophétie d'Énoch : Jude le juif lui-même cite formellement le premier livre d'Énoch, un apocryphe juif !


. la loi donnée par des anges : Galates 3:19; Actes 7:52-53; Hébreux 2:2-3


. le "puits mobile" de 1 Corinthiens 10:4


. l'éducation de Moïse "instruit dans toute la sagesse des Égyptiens" : c'est suggéré par Exode 2, mais pas dit explicitement comme dans Actes 7:22 (discours d'Étienne)

En Hébreux 11:24, on lit : "Moïse étant déjà grand, refusa d'être nommé fils de la fille de Pharaon. Choisissant plutôt d'être affligé avec le peuple de Dieu, que de jouir pour un peu de temps des délices du péché. Et ayant estimé que l'opprobre de Christ était un plus grand trésor que les richesses de l'Égypte; parce qu'il avait égard à la rémunération."

Rien de cela n'est dit de cette manière dans l'Exode. Étienne semble se faire l'écho d'un background péri-biblique commun à lui et à ses auditeurs, pour qui cela était chose sue et entendue.

D'ailleurs – curieusement et dans une épître toute juive – Hébreux 11 cite encore d'autres traditions extra-bibliques :

. Hébreux 11:5 avant son enlèvement, il (Hénoc) avait reçu le témoignage qu'il était agréable à Dieu.

. v. 10 il (Abraham) attendait la cité qui a de solides fondements...

. v. 11 elle (Sara) crut à la fidélité de celui qui avait fait la promesse

. v. 21 il (Jacob) adora appuyé sur l'extrémité de son bâton

. et vv. 32 à 40, toute une série d'événements plus ou moins localisables dans l'AT, et provenant pour beaucoup de chroniques extra-bibliques.


Et l'on peut aussi mentionner les livres "non bibliques" que citait déjà l'AT à foison : le Livre du Juste (ou livre de Jasher), les Chroniques des rois d'Israël et des rois de Juda (rien à voir avec 1 et 2 Chroniques, bien entendu !), le livres de Guerres du Seigneur, le livre de Nathan, d'Achija de Silo, de Jéédo, de Schemaeja, d'Iddo, le livre des actes de Salomon, le livre de Hozaï.

Il y a aussi ce livre mystérieux, où Samuel écrivit "le droit de la royauté".

Et aussi le livre des Complaintes.


Un listing impressionnant !

Sans parler de Paul, qui cite un poète païen (Épiménide, Tite 1:12) pour "prouver" des choses pas vraiment sympathiques sur tous les Crétois en bloc, ce qu'un Crétois dans l'assistance aujourd'hui n'apprécierait pas forcément...


Pour revenir sur le cas de Jannès et Jambrès, on peut citer G. FEE :


Dans l'AT les magiciens ne sont pas nommés, mais tant la tradition juive que la tradition chrétienne tendent à donner des noms à ceux qui ne sont pas nommés. Dès 150 av. J.-C., les magiciens égyptiens avaient été ramenés à deux frères, et avaient reçu les noms de Jannès (une forme de "Johanna" encore trouvée dans certaines sources) et Jambrès (ou "Mambrès" dans d'autres sources). À l'époque de Paul cette tradition allait de soi et était devenue chose commune [FEE dit : "common stock"]. (cf. le même usage d'une telle tradition en 1 Co 10:4). Pour le phénomène consistant à donner un nom aux sans-nom dans la chrétienté primitive, voir B. M. Metzger [son article "Des noms pour les sans-nom"].Les noms de Jannès et Jambrès étaient tellement répandus dans l'antiquité – tant juiveque païenne – qu'il est fort possible que ce soit le résultat de l'élaboration de légendes juives sur Moïse. Les noms sont mentionnés dans le Document de Damas, le Targum Pseudo-Jonathan, Pline. Dans le Targum sur No 22:21-22, ils sont appelés fils de Balaam !


Conclusion

Par conséquent, la citation de sources extra-bibliques par la Bible elle-même n'est pas chose exceptionnelle.

Cela ne signifie pas que les auteurs du NT avaient une moins haute idée de l'Écriture et de son inspiration que nous !

Cela signifie juste qu'ils n'avaient pas une idée magique de l'Écriture, comme d'un morceau de comète tombé du ciel !

Enfin – est-il vraiment besoin de le dire ? – citer un texte, un fait, une tradition, ne signifie certainement pas endosser tout ce que dit ou rapporte le livre qui le contient, ou la simple tradition orale qui les véhicule.

Toutefois, ce phénomène de citation – ce besoin de citer pourrait-on dire – par l'Écriture de sources extra-bibliques doit donner à penser, même – et surtout – si l'idée nous en est inconfortable.


Sources

Enns, Peter. 2005. Inspiration and Incarnation: Evangelicals and the Problem of the Old Testament. Baker Academic (2005).

Je dois beaucoup à cet ouvrage – qui a coûté à l'auteur son poste au Westminster Theological Seminary, et c'est surtout de là que sont tirés les exemples de citation (pp. 142 à 151).


Fee, Gordon D. 1988. 1 and 2 Timothy, Titus. Peabody, Mass: Hendrickson Publishers.

Un commentateur lucide de Paul, qui n'esquive pas les difficultés. Les passages cités se trouvent p. 272 et p. 274.

L'article de METZGER qu'il cite est consultable sur Google Books.


Metzger, Bruce M. 1970. Names for the Nameless in the New Testament. A Study in the Growth of Christian Tradition.” Kyriakon: Festschrift Johannes Quasten, 79–99.

Illustre avec de nombreux exemples (sans traiter spécifiquement le cas de Jannès et Jambrès) le phénomène de nomination des sans-nom, la nature ayant horreur du vide, et la tradition, des silences de l'Écriture.


Consulter également les articles en français (et en anglais, plus riche) de Wikipedia sur Jannès et Jambrès.



Mots-clés

Citation, tradition, littérature juive



F. Giannangeli