Quelle est l'épine dorsale de la lettre aux Éphésiens ?
mis en ligne le 15 mars 2017
modifié le 16 décembre 2019
Note :
Mon analyse s'inspire largement de l'article de McRAY (voir Sources).
Mais c'était déjà essentiellement ma conviction sur la théologie de la lettre aux Éphésiens.
Un fil conducteur : le jeu des pronoms
On peut suivre ce fil conducteur de la lettre de bout en bout.
L'accent de la lettre échappe en général à la lecture commune.
D'une part à cause du si grand hiatus entre la situation des destinataires (à Éphèse, ou bien à Éphèse et en plusieurs autres villes alentour s'il s'agit d'une lettre circulaire, comme c'est probable).
D'autre part parce que, pressés d'en venir aux applications, nous pouvons avoir d'autres préoccupations en lisant que de comprendre la lettre en elle-même.
Parfois aussi, la lecture de toute la lettre n'est pas ce qui nous préoccupe, et une lecture atomisée nous suffit amplement pour la piété.
Aussi, notre grande ignorance de la situation de l'Église des premiers temps – idéalisations mises à part – peut conduire à faire l'économie de l'effort consistant à nous mettre dans la peau de Paul et de ces croyants.
Enfin, nous pouvons avoir déjà en tête, avant de venir vers cette lettre, notre propre théologie de l'Église, d'Israël, du plan de Dieu. Pour qui sait, il est difficile d'apprendre. Et une théologie bien "calée" n'est pas le terrain le plus propice pour se laisser "décaler."
Cela étant aussi lié à la notion que nous avons de l'inspiration et de la nature de l'Écriture – encore et toujours – consciemment ou non.
Une lecture rapide, qui donne une vue d'ensemble de la lettre, puis une lecture minutieuse, nous permettront de voir la pensée maîtresse de la lettre. Un bon indice de celle-ci est le jeu, l'alternance des pronoms.
Mais pour mieux comprendre, un détour par Rome
Avant cela, une mise en rapport de cette lettre avec celle adressée aux Romains sera utile pour aider à mieux discerner l'accent particulier d'Éphésiens.
Romains est une lettre toute entière motivée par une situation critique dans la communion des Juifs et des Gentils au sein de l'Église de Rome (c'est-à-dire, des Églises de Rome). C'est pour apaiser les frictions entre les deux parties (les deux partis !) que Paul veut apporter une plus grande intelligence du dessein de Dieu de les réunir ensemble.
Éphésiens au contraire ne semble pas du tout liée à des circonstances particulières à Éphèse (et alentour). Les exhortations sont générales, et on ne perçoit pas vraiment de difficultés particulières qui motiveraient une médiation de l'apôtre.
Dans Romains, Paul se place comme un tiers médiateur, extérieur aux deux parties, pour les réconcilier par l'exposition des Écritures et la re-présentation de l'Évangile dans toute sa nouveauté et sa puissance.
Se plaçant comme réconciliateur des deux parties, il s'adresse tantôt à l'une ("Toi qui te donnes le nom de Juif"), tantôt à l'autre ("sache que ce n'est pas toi qui portes la racine"), tantôt aux deux ("Ô homme, qui que tu sois").
C'est ainsi tout naturellement que son enseignement débouche sur des préceptes de tolérance mutuelle (entre Juif et Grec) sur les choses de l'ancien temps. Mais maintenant, c'est le temps de l'Évangile, puissance de Dieu pour la justification et le salut, du Juif qui croit premièrement, puis du Grec qui croit. Cette vérité première est au cœur même des termes du verset le plus connu de Romains : Ro 1:16.
Dans Éphésiens, Paul se considère comme membre du peuple juif, Israël – le peuple de Dieu – , et il s'inclut dans le "nous" qu'il utilise quand il en parle, par rapport au "vous", les Gentils.
Dans Romains, la réunion des deux peuples, le peuple juif et le peuple des nations (considérées comme un seul groupe) est présentée comme la greffe d'un plant sauvage sur un olivier franc qui, lui, porte les racines.
De même que la greffe est un geste humain, ainsi l'agrégation des Gentils au peuple de Dieu comme d'un greffon sur un porte-greffe est-elle un geste de Dieu, et c'est ce geste de Dieu que Paul cherche à exposer à tous les croyants de Rome (Ro 11).
Dans Éphésiens (Ep 2), l'imagerie utilisée est différente : c'est celle de deux peuples ennemis, séparés par un mur – le mur de l'inimitié, la séparation – mur que Dieu, par son geste à nouveau, va anéantir (noter la force du terme).
Dans Romains, l'accent est mis sur l'Église à Rome (les assemblées locales là, essentiellement dans les maisons), sa situation, ses circonstances, ses difficultés, etc. Le plan global de Dieu est exposé pour que son intelligence soit mise au service de la résolution des conflits liés à la condition de cette Église.
Dans la lettre aux Éphésiens (écrite plus tardivement), l'accent est mis sur l'Église "universelle" (comme on dit, mais ce terme n'est pas employé par Paul, c'est la théologie postérieure qui l'a forgé). Paul la décrit en des termes élevés : épouse de Christ, sa plénitude (on peut comprendre cette expression de deux manières, peut-être), corps bien assemblé, maison de Dieu, édifice bien coordonné, mystère caché maintenant révélé, peuple de Dieu, témoin céleste et cosmique contre les puissances obscures (Ep 3:10 ; Ep 6:12).
Dans Romains, sont envisagés les rapports des croyants avec le monde extérieur.
Voir Ro 13, par rapport aux autorités impériales.
Voir Ro 10, par rapport à la foule de Juifs qui n'ont pas cru.
Voir Ro 16:26, pour la préoccupation missionnaire vers les nations (aussi Ro 15:17-21).
Voir Ro 14, pour la vie au contact d'un univers d'idoles (à qui l'on sacrifie des viandes // 1 Co 8 ; cf. aussi Ro 2:22).
Dans Éphésiens, prédomine la pensée de l'Église considérée en soi, en interne. Le monde extérieur est peu, ou pas, mentionné.
Dans Romains, le ton est plus personnel : de très nombreux croyants sont cités par leur nom (et donc bien connus de Paul), on sent le cœur battant d'une communauté particulière.
Alors que dans Éphésiens, l'adresse reste générale, avec la seule mention finale de Tychique que Paul leur envoie, mais rien de personnel qui concerne les destinataires.
D'ailleurs, cette distance de Paul par rapport aux Éphésiens, cet anonymat, rendent plus vraisemblable l'hypothèse qu'il s'agisse d'une lettre-circulaire. Sinon, il ne serait pas resté si neutre envers des croyants chez qui il avait tout de même passé deux ans (Ac 19:10) !
Lire tout Ac 19, puis le passage d'Ac 20:17-38, où l'on voit le grand attachement mutuel de Paul et des Éphésiens.
Sans doute peut-on trouver encore d'autres contrastes et différences de perspective.
Malgré ces différences, il y a une similitude : la construction des deux lettres selon un schéma en deux blocs : une partie didactique (Ro 1-11 // Ep 1-3), suivie d'une partie exhortative (Ro 12-16 // Ep 4-6).
En conclusion de ce détour par Rome
Que ce soit dans Romains, que ce soit dans Éphésiens, au cœur de la capitale du monde romain (Rome même) ou au cœur de l'univers grec (l'Asie d'alors), il y a une constante dans les épîtres de Paul, qui a eu partout la même configuration des mentalités à affronter et à confronter avec l'Évangile. La diaspora juive a été le terreau des premiers croyants, car c'est là que commençait généralement la prédication, dans leurs synagogues, avant de se propager alentour, notamment par le truchement des craignants-Dieu. Et elle a été aussi le terreau d'une nouvelle inimitié, celle des Juifs qui ne crurent pas contre les Juifs qui crurent. C'est à Jérusalem, la ville sainte si rassasiée de sang, que Paul aura à souffrir de cette inimitié-là. Elle lui coûtera d'ailleurs la vie.
Pour en revenir au fil conducteur...
En lisant de près la lettre, ce fil conducteur finit par sauter aux yeux.
Par endroits irréfutable, en d'autres endroits sans doute moins clair ou moins évident, le jeu entre le "nous" et le "vous" scande la première partie de la lettre (l'instruction, Ep 1-3). Mais même dans la seconde partie (l'exhortation, Ep 4-6), il reste présent lorsque Paul s'adresse plutôt à l'un ou à l'autre.
Lisons ce que le Juif Paul écrit à des Gentils.
Il faut d'abord avoir conscience que tout le monde, dans la vie courante, pour les choses graves comme anodines, parle dans les catégories du "nous" et du "vous." Personne n'appartient à rien ni personne ! Nous sommes toujours "dans" quelque chose et "hors" d'autre chose. Surtout pour ce qui concerne la foi (ou la religion, comme on voudra), cela transparaît si clairement ! Tantôt avec bienveillance (lorsqu'on connaît ou voit mieux la valeur de l'autre et les limites de soi), tantôt avec arrogance (quand c'est l'inverse). Cela se voit surtout lorsque ces catégories sont employées presque inconsciemment, reflétant dans la simple conversation des perspectives théologiques entièrement intégrées, et depuis lesquelles l'on réfléchit et l'on parle, pour le meilleur ou le pire.
Il n'y a là rien de surprenant !
Ce qui est surprenant, c'est lorsque ces catégories sont "conscientisées", c'est-à-dire reconnues (avec peine et effort, souvent) et prises en compte.
Cela ne signifie certes pas que ces cadres dans lesquels on pense (naturellement ou après les avoir acquis) sont forcément faux ou néfastes. Il se peut parfaitement qu'ils soient ceux de l'Écriture.
Ici, la perspective dans laquelle Paul écrit me paraît manifeste : il écrit comme Juif d'Israël ("nous"), à des Églises essentiellement (maintenant) composées de Gentils convertis ("vous").
Il pense donc et écrit comme Juif.
Son usage systématique et alterné des catégories du "nous" et du "vous" correspond en réalité à sa vision théologique concernant Dieu, son plan de salut, le monde, Christ, l'Église, la vie dans la foi nouvelle en Christ.
Passage clé de la lettre, et illustration par excellence : Ep 2:11-19
(je le cite en entier, selon la Bible À la Colombe, et en surlignant)
11 Souvenez-vous donc de ceci : autrefois, vous, païens dans la chair, traités d'incirconcis par ceux qui se disent circoncis et qui le sont dans la chair et par la main des hommes,
12 vous étiez en ce temps-là sans Christ, privés du droit de cité en Israël, étrangers aux alliances de la promesse, sans espérance et sans Dieu dans le monde.
13 Mais maintenant, en Christ-Jésus, vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang de Christ.
14 Car c'est lui notre paix, lui qui des deux n'en a fait qu'un, en détruisant le mur de séparation, l'inimitié.
15 Il a dans sa chair annulé la loi avec ses commandements et leurs dispositions, pour créer en sa personne, avec les deux, un seul homme nouveau en faisant la paix,
16 et pour les réconcilier avec Dieu tous deux en un seul corps par sa croix, en faisant mourir par elle l'inimitié.
17 Il est venu annoncer comme une bonne nouvelle, la paix à vous qui étiez loin et la paix à ceux qui étaient proches ;
18 car par lui, nous avons les uns et les autres accès auprès du Père dans un même Esprit.
19 Ainsi donc, vous n'êtes plus des étrangers ni des gens de passage ; mais vous êtes concitoyens des saints, membres de la famille de Dieu.
20 Vous avez été édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus-Christ lui-même étant la pierre de l'angle.
21 En lui, tout l'édifice bien coordonné s'élève pour être un temple saint dans le Seigneur.
22 En lui, vous aussi, vous êtes édifiés ensemble pour être une habitation de Dieu en Esprit.
On voit ici que le salut des païens est considéré avec Israël en toile de fond (ceux qui sont près), d'avec qui le mur de séparation séculaire est détruit, Christ les ayant réconciliés en faisant la paix entre eux tel un médiateur.
Cette médiation, c'est la croix.
Ici les deux mondes sont clairement et distinctement séparés (autrefois), avant d'être réunis en un seul peuple (maintenant).
Noter bien : tantôt le "nous" est le "nous" d'autrefois (nous les Juifs, et moi Paul le Juif), tantôt le "nous" est le "nous" de maintenant (nous, Juifs et païens réconciliés en un seul peuple)
Autrefois (v. 11) – En ce temps-là (v. 12)
Ceux qui étaient près | Ceux qui étaient loin |
Circoncis | Incirconcis "vous qui étiez autrefois Gentils en la chair, et qui étiez appelés Prépuce, par celle qui est appelée la Circoncision, faite de main en la chair" (MARTIN) |
Les "avec" avecChrist, avec droit de cité, avec les alliances et les promesses, avec une espérance, avec Dieu dans ce monde | a contrario, les "sans", les "privés", les "étrangers" "vous étiez en ce temps-là sans Christ, privés du droit de cité en Israël, étrangers aux alliances de la promesse, sans espérance et sans Dieu dans le monde." |
Ceux qui sont proches | Vous qui étiez sont loin |
La famille de Dieu | Les étrangers |
Les saints, les citoyens | Des sans droit de cité, gens de passage, "forains" |
Séparés par un mur d'inimitié | Séparés par un mur d'inimitié |
Mais maintenant (v. 13)
Vous avez été rapprochés | |
Il est notre paix, lui des deux n'en a fait qu'un | Il est notre paix, lui des deux n'en a fait qu'un |
Il a renversé le mur | Il a renversé le mur |
Il a créé en sa personne, avec les deux, un seul homme nouveau | Il a créé en sa personne, avec les deux, un seul homme nouveau |
En faisant mourir l'inimitié (entre eux deux) | En faisant mourir l'inimitié (entre eux deux) |
Il les a réconciliés en annonçant la paix et en faisant la paix (entre eux deux) | Il les a réconciliés en annonçant la paix et en faisant la paix (entre eux deux) |
Réconciliés l'un et l'autre | Réconciliés l'un et l'autre |
Il a annulé la Loi séparatrice | Il a annulé la Loi séparatrice |
Un seul homme nouveau | Un seul homme nouveau |
Un seul corps | Un seul corps |
Un même accès au Père | Un même accès au Père |
Plus des étrangers, plus des gens du dehors | |
Saints | Concitoyens des saints |
La maison de Dieu | Gens de la maison de Dieu |
Tout l'édifice | Tout l'édifice |
Bien coordonné (entre eux deux) | Bien coordonné (entre eux deux) |
"C’est en lui que, vous aussi, vous êtes ensemble intégrés à la construction pour devenir une demeure de Dieu par l’Esprit."(TOB) | |
Un temple saint, une habitation de Dieu | Un temple saint, une demeure de Dieu |
Cette réunion en un seul corps, un seul temple, une seule demeure, un seul édifice, un seul Israël, un seul homme nouveau, par un seul et même accès au Père, se réalise pour les uns comme pour les autres de la même manière, et par les mêmes moyens :
- en Jésus-Christ (v. 13)
- par le sang de Christ (v. 13)
- par sa chair (v. 15)
- par la destruction du mur (v. 14)
- par l'anéantissement de la loi (v. 15)
Dans les termes forts de CRAMPON, c'est :
"ayant abrogé par l'immolation de sa chair la loi des ordonnances avec ses rigoureuses prescriptions, afin de fondre en lui-même les deux dans un seul homme nouveau, en faisant la paix"
- par la croix (v. 16)
- par la paix entre les "près" et les "loin"
- par un même accès au Père (v. 18)
- par le même Esprit (v. 18)
- par une même citoyenneté (v. 19)
- par l'incorporation dans le même temple, où Dieu habite en E/esprit
Je comprends ce verset dans la même ligne que le reste de la lettre : Juifs et païens bien coordonnés / ajustés ensemble ("En qui tout l'édifice posé et ajusté ensemble" MARTIN).
- sur le même fondement ("Jésus-Christ lui-même étant la maîtresse pierre du coin" MARTIN)
Si Ep 2:11-19 est le noyau de la lettre, avec une utilisation claire des pronoms "nous / vous" donnant une clé de la théologie sous-jacente d'Éphésiens et signalant la motivation première de l'envoi de l'épître, cela se retrouve également bien ailleurs. Et même là où on ne penserait pas à cela d'emblée dans une première lecture rapide et préoccupée d'autre chose que du texte lui-même, et là où les pronoms ne sont pas utilisés de cette manière particulière.
Mais ce passage est aussi un texte charnière.
Après ce passage clé d'Ep 2:11-19 – qui réunit les deux mondes en un seul – le "nous" semble ensuite être utilisé pour désigner l'ensemble de ce nouveau peuple composé de Juifs et de Gentils, alors que jusque là le "nous" désignait les Juifs, parmi lesquels Paul se comptait.
- 3:1
"A cause de cela [soit le message central du passage ci-dessus], moi, Paul, le prisonnier de Jésus-Christ pour vous, les non-Juifs."
Paul s'adresse ici aux "vous", les Gentils. Il est à remarquer que jamais dans cette lettre Paul ne s'adresse aux Juifs avec "vous" (au contraire de Romains – Ro 2:17 suiv. – ce qui s'ajoute à la liste ci-dessus des différences de perspective entre les deux lettres).
Revenons au début de la lettre.
1:1-12 concerne "nous" les Judéo-chrétiens
1:13 puis Paul s'adresse aux pagano-chrétiens, "vous" :
"En lui nous sommes aussi devenus héritiers...
En lui vous aussi... vous avez cru"
où il dit que "vous" comme "nous" avez été aussi scellés du Saint-Esprit de la promesse, le même Esprit :
v. 13 "En lui, vous aussi, après avoir entendu la parole de la vérité, l'Évangile de votre salut, en lui, vous avez cru et vous avez été scellés du Saint-Esprit qui avait été promis"
Au chapitre 2, la même mise en regard entre les deux peuples continue : les uns comme les autres étaient dans la mort, mais il les a ressuscités ensemble, réunion en un seul peuple qui sera le miroir de l'infinie grâce de Dieu (c'est-à-dire : non restreinte au petit nombre d'Israël) aux yeux de tous :
1 "Pour vous [païens], vous étiez morts par vos fautes et par vos péchés
2 dans lesquels vous marchiez autrefois selon le cours de ce monde, selon le prince de la puissance de l'air, cet esprit qui agit maintenant dans les fils de la rébellion.
3 Nous tous aussi [Juifs], nous étions de leur nombre et nous nous conduisions autrefois selon nos convoitises charnelles, nous exécutions les volontés de notre chair et de nos pensées, et nous étions par nature des enfants de colère comme les autres.
4 Mais Dieu est riche en miséricorde et, à cause du grand amour dont il nous [Juifs et païens] a aimés,
5 nous qui étions morts par nos fautes, il nous [Juifs et païens] a rendus à la vie avec le Christ — c'est par grâce que vous êtes sauvés —
(5 MARTIN : il nous a vivifiés ensemble avec Christ)
6 il nous a ressuscités ensemble [Juifs et païens] et fait asseoir ensemble [Juifs et païens] dans les lieux célestes en Christ-Jésus,
7 afin de montrer dans les siècles à venir la richesse surabondante de sa grâce par sa bonté envers nous en Christ-Jésus."
8 C'est par la grâce en effet que vous [Juifs et païens] êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu
À partir d'Ep 2:3, le "nous" sera utilisé de manière inclusive, et se rapportera aux Juifs et aux païens, réunis par la même grâce de Dieu.
Remarquable est l'usage de trois verbes composés, avec le même préfixe "co-" (comme dans les verbes du type "co-opérer", "co-hériter", etc. – en grec, "syn-", comme dans "syn-ergie", "sym-phonie", etc.)
Littéralement (et en charabia français : personne ne parle "littéralement", et le littéralisme est la marque des piètres traducteurs) :
et – nous qui étions morts par nos fautes – il nous a fait co-vivre avec le Christ … et nous a fait co-ressusciter et co-asseoir dans les lieux célestes avec Christ Jésus...
Dans ces trois emplois, le sens selon moi n'est pas : "ensemble avec Christ" mais : "ensemble l'un et l'autre, le Juif et le païen".
Ainsi unis, réunis, Juifs et païens forment une nouvelle entité qui, elle, est unie à Christ.
Noter qu'en Ep 3:6, on retrouve un second trio similaire :
ce mystère... c'est que les nations sont un co-héritage, et un co-corps, et un co-partage de la promesse en Christ Jésus par l'Évangile.
Puis vient le passage central d'Ep 2:11-22, vu plus haut.
Les Gentils sont maintenant inclus au nombre des descendants d'Abraham.
McRAY cite ici Ga 3:14, qui est parfaitement en rapport en effet :
13 "Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, étant devenu malédiction pour nous — car il est écrit : Maudit soit quiconque est pendu au bois —
14 afin que, pour les païens, la bénédiction d'Abraham se trouve en Jésus-Christ et que, par la foi, nous recevions la promesse de l'Esprit."
Voilà des aspects du NT qui sont rarement signalés dans la lecture courante, s'ils sont jamais aperçus !
Passés sous silence comme s'ils n'avaient rien à voir avec cette application que nous sommes toujours si impatients de retirer du texte.
De l'art de suspendre son discours...
3:1 "À cause de cela [Τούτου χάριν toutou charin], moi Paul...
vv. 2-13
si du moins...
… votre gloire – longue parenthèse
vv. 14-21 à cause de cela [Τούτου χάριν toutou charin] ... dans l'Église..." – reprise
Il faut regarder ce passage de près, pour comprendre la logique et l'argument de l'auteur.
- cette partie fait suite à la proclamation d'Ep 2:11 – la révélation plutôt – de l'intégration des païens dans le peuple des saints ("concitoyens des saints" 2:19)
- il est vraisemblable que lorsque Paul parle des "saints", il s'agisse des judéo-chrétiens. qui ont précédé les païens dans la foi
. on le voit au v. 8 : "À moi qui suis le moindre de tous les saints... aux païens"
. et au v. 18 : "afin que vous [les païens qui avez cru] vous puissiez comprendre avec tous les saints"
- la construction de la phrase est brisée : après le v. 1, le discours est suspendu avec une longue incise, une parenthèse qui va du v. 2 au v. 13, où le fil de la pensée reprend
- mais selon moi, c'est une pseudo-parenthèse : ce qu'il introduit n'est pas un accessoire du raisonnement, même s'il en donne l'impression. C'est au contraire l'élément vital du point de vue de Paul.
C'est aussi ce qui donne de la vivacité à la lettre : on s'imagine Paul dicter sa pensée au Tertius du moment, ou bien tenir lui-même la plume (le calame plutôt), qui sait, et saisir les pensées au vol tandis qu'elles surgissent et les emprisonner dans la phrase qu'il est en train d'écrire. À la vivacité d'esprit de celui qui écrit doit répondre la vivacité d'esprit du lecteur.
Et s'il n'est pas si vif – c'est mon cas – qu'il prenne le temps de lire.
Cette incise reflète une forme de pensée à rubriques imbriquées, suspendues, pour laquelle les lecteurs pressés que nous sommes, obnubilés par les mots plus que par l'organisation du discours, n'ont pas beaucoup de patience.
- dans cette fausse parenthèse, Paul redit, et quasiment dans les mêmes termes, ce qu'il vient d'exposer dans Ep 2:11-22 !
- mais cette fois-ci, il s'inclut dans la manifestation de ce plan divin, ce mystère : en Jésus-Christ, saints et païens réunis en un seul corps – l'Église – par l'Évangile
- il se décrit comme un rouage, un maillon, un instrument de la mise à exécution de ce dessein divin
- ce plan divin a un aspect "cosmique" qui donne à l'Église aussi un aspect "cosmologique" : c'est à la face des puissances célestes (mauvaises, selon moi ; voir plus loin) qu'il se réalise
- dans cette fonction de cheville ouvrière, Paul connaît la prison (3:1) et des afflictions dont il dit qu'elles doivent encourager les croyants (v. 13) !
Il vaut la peine de citer le texte et de sur-marquer l'enchevêtrement des deux aspects :
- ce qui concerne Paul (en gras)
- ce qui concerne le plan divin (en souligné).
- en italique, tous les termes et thèmes clés, déjà rencontrés en Eph 2, mais repris ici en écho, comme pour insister, insister.
2 si du moins vous avez entendu parler de la grâce de Dieu qui m'a été accordée pour que je vous en fasse part.
3 C'est par révélation que j'ai eu connaissance du mystère, comme je viens de l'écrire en quelques mots.
4 En les lisant, vous pouvez comprendre l'intelligence que j'ai du mystère du Christ.
5 Ce mystère n'avait pas été porté à la connaissance des fils des hommes dans les autres générations, comme il a été révélé maintenant par l'Esprit à ses saints apôtres et prophètes :
6 les païens ont un même héritage, forment un même corps et participent à la même promesse en Christ-Jésus par l'Évangile,
7 dont je suis devenu serviteur, selon le don de la grâce de Dieu, qui m'a été accordée par l'efficacité de sa puissance.
8 A moi, le moindre de tous les saints, cette grâce a été accordée d'annoncer aux païens comme une bonne nouvelle la richesse insondable du Christ,
9 et de mettre en lumière la dispensation du mystère caché de toute éternité en Dieu, le créateur de toutes choses ;
10 ainsi désormais les principautés et les pouvoirs dans les lieux célestes connaissent par l'Église la sagesse de Dieu dans sa grande diversité,
11 selon le dessein éternel qu'il a réalisé par le Christ-Jésus notre Seigneur,
12 en qui nous avons, par la foi en lui, la liberté de nous approcher de Dieu avec confiance.
13 Aussi je vous demande de ne pas perdre courage à cause de mes tribulations pour vous ; elles sont votre gloire.
Puis Paul reprend la pensée qu'il avait déjà exprimée au chapitre 2 : celle de l'habitation de Dieu en E/esprit.
Là, il mettait l'accent sur l'habitation de Dieu dans la maison de Dieu, nouveau corps de réconciliés en Christ.
Ici, c'est le croyant lui-même, individuellement, qui est considéré comme la maison de Dieu :
- "puissamment fortifiés par son Esprit dans l'homme intérieur " v. 16
- "habite dans vos cœurs" v. 17
- "que vous soyez remplis jusqu'à toute la plénitude de Dieu." v. 19
Au v. 14, si Paul mentionne ici le Père [pater πρὸς τὸν πατέρα] d'où tire son nom "toute famille [patria πᾶσα πατριὰ] dans les cieux et sur la terre", ce n'est certainement pas sans lien avec le contexte. Il reprend en fait la pensée de la maison de Dieu d'Ep 2:19.
Il s'agit de "famille" au sens de communauté, de peuple, ou même de communauté de nations.
(je discuterai ce point dans un article séparé)
Ici, il s'agit de la nouvelle nation, la nouvelle famille, le nouveau peuple, la nouvelle "assemblée" qui réunit les Gentils et Israël selon l'antique promesse faite à Abraham :
- "Vous êtes, vous, les fils des prophètes et de l'alliance que Dieu a conclue avec vos pères, lorsqu'il a dit à Abraham : Et en ta postérité seront bénies toutes les familles [patria πατριαὶ] de la terre." Ac 3:25
- "Joseph aussi monta de la Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David, appelée Bethléhem, parce qu'il était de la maison et de la famille [patria πατριᾶς] de David" Lc 2:4
Ce sont là les 3 seuls endroits du NT où est employé le mot patria (mais nombreux emplois dans la Septante).
Et pour l'emploi du mot "assemblée" / "église" / ecclesia ἐκκλησία / d'où le latin ecclesia, nous gagnerons à le dépoussiérer de la cendre déposée sur lui par le temps et l'usure des mots et du sens, et à le libérer de la gangue "ecclésiastique" (précisément) où le jargon pieux l'a enfermé.
Du moins ici, et spécialement dans ses deux emplois en Ep 3, il me semble clair qu'il s'agit de l'assemblée (le fait d'assembler et son résultat), l'assemblage, le rassemblement des "nous" et des "vous" : ce mystère (v. 4) , autrefois et jusqu'ici caché (vv. 5, 9), mais maintenant mis en lumière (v. 9), aux yeux des hommes (v. 5) et des autorités célestes (v. 10), "Savoir que les Gentils sont cohéritiers, et d'un même corps, et qu'ils participent ensemble à sa promesse en Christ, par l'Évangile" (MARTIN, v. 6).
C'est de ce mystère-là qu'il est déjà question en Ep 1:9 (noter l'inclusion avec 6:19, encadrant l'épître).
Et lu dans cette perspective, tout le passage "nous" d'Ep 1:3 à 12 parle du peuple élu, Israël, les Juifs, les saints, destinés dès l'origine au Messie, lequel viendra "réunir toutes choses" (réunir, assembler, rassembler), Messie (Christ) dans lequel "nous" – les Juifs – "avons espéré d'avance" les premiers (1:12).
Il faut maintenant voir en quels termes Paul parle de l'Église, dans quel cadre de pensée, et la dimension cosmique qu'il lui donne.
Cette œuvre de rassemblement, de récapitulation, de création, est décrite par Paul dans le cadre large de la communauté d'Israël, élargi au cadre plus vaste encore de la communauté des nations, et élargi plus loin encore au monde céleste.
Comme dans l'épître aux Romains, la perspective n'est pas individuelle, mais solidaire, communautaire.
C'est nous qui lisons ces épîtres dans un cadre de pensée individuel / individualiste.
(consulter l'article de blog de ENNS sur le sujet)
Cet individualisme, cette autonomie du sujet, tantôt essentielle et salvatrice, tantôt déformante pour notre lecture des textes, est une notion moderne. On l'attribue à tort à la Réforme, même s'il est bien vrai que Luther a cassé les reins à la mainmise de la religion et des clercs sur les peuples considérés comme une masse sans esprit ni pensée.
Mais même à l'époque, la foi restait moulée dans une structure de pensée collective : les sujets d'un prince protestant sont d'office protestants, les sujets d'un prince catholique restaient d'office catholiques. Cujus regio, ejus religio – "Tel prince telle religion."
Mais il ne faut pas penser que nous les "modernes" sommes dégagés de toute mentalité de groupe, quand bien même nous insisterions Bible en main sur notre absolue liberté de conscience et notre esprit de tolérance.
Ainsi donc, de même qu'en Romains Paul parle, pense, écrit en termes de groupe (par ex. Ro 8:28-30 "ceux... ceux... ceux..." 6 fois), à savoir la postérité d'Abraham (Juifs et païens réunis en Christ), de même il réfléchit ici en Éphésiens en termes de peuple, de famille, de corps, d'édifice, de maison.
Et c'est ainsi – dans ce cadre, cette structure de l'esprit – que vivaient, pensaient, agissaient les hommes du temps.
Et c'est ainsi par exemple qu'il faut parler par exemple des baptêmes de familles entières : la famille de Lydie, du geôlier de Philippe, de Crispus, de Stéphanas, d'Onésiphore.
Sans parler des églises qui sont dans les maisons et dont on peut penser que là aussi il s'agissait de maisonnées entières qui avaient été baptisées : maison de Priscille et d'Aquilas, de Nymphas, d'Archippe.
Tous des textes sur lesquels nous passons vite, gênés que nous sommes de ne pouvoir les accorder à nos conceptions de l'individu solitaire qui se convertit seul devant Dieu, et sur lesquels nous projetons maladroitement une perspective anachronique pour les faire plier à notre théologie, elle aussi – qu'on le veuille ou non, qu'on le déplore ou qu'on s'en glorifie, consciemment ou inconsciemment – moderne.
Cette esquive des textes comme ils sont est éloquente, et en dit long sur notre inaptitude à lire l'Écriture lorsqu'elle n'est pas "comme il faudrait."
Pour revenir à la conception de l'Église dans cette lettre, Paul lui donne une dimension cosmique, où les puissances célestes entrent en jeu et jouent un rôle majeur.
Ep 6:12 en est l'exemple :
"Car nous n'avons point à combattre contre le sang et la chair, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les Seigneurs du monde, gouverneurs des ténèbres de ce siècle, contre les malices spirituelles qui sont dans les lieux célestes" MARTIN
Satan habite "l'air" (Ep 2:2). Il est le diviseur, alors que toute la lettre cherche à mettre en lumière l'action du Dieu qui unit, réunit, assemble :
1 "Je vous prie donc, moi qui suis prisonnier pour le Seigneur, de vous conduire d'une manière digne de la vocation à laquelle vous êtes appelés; 2 Avec toute humilité et douceur, avec un esprit patient, vous supportant l'un l'autre en charité ; 3 Étant soigneux de garder l'unité de l'Esprit par le lien de la paix. 4 Il y a un seul corps, un seul Esprit, comme aussi vous êtes appelés à une seule espérance de votre vocation. 5 Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul Baptême; 6 Un seul Dieu et Père de tous, qui est sur tous, parmi tous, et en vous tous." MARTIN
Union par laquelle ces puissances de division savent, par la Réunion par excellence qu'est l'Église, la sagesse du plan de Dieu (Ep 3:10).
McRAY décrit les catégories de pensée du judaïsme de l'époque, qui structuraient le monde céleste en cieux multiples – sept en général – où se meuvent anges et démons.
Paul lui-même parle du troisième ciel (2 Co 12:2), et c'est dans ce cadre cosmologique que s'expriment, qu'il conçoit – et que ses lecteurs conçoivent – les réalités spirituelles et le combat spirituel. Cette organisation de l'espace terrestre et céleste en régions inférieures et régions supérieures de plusieurs cieux est aussi visible en Ep 4:10 :
9 "Or ce qu'il est monté, qu'est-ce autre chose sinon que premièrement il était descendu dans les parties les plus basses de la terre? 10 Celui qui est descendu, c'est le même qui est monté au-dessus de tous les Cieux, afin qu'il remplît toutes choses." MARTIN
Ces lieux célestes (qui ne sont pas forcément le "ciel") sont habités par Christ et Dieu, mais aussi par les puissances mauvaises :
1:3 dans les lieux célestes en Christ.
1:10 réunir toutes choses en Christ, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre.
1:20 dans les lieux célestes,
2:2 selon le train de ce monde, selon le prince de la puissance de l'air, de l'esprit...
2:6 nous a fait asseoir ensemble dans les lieux célestes
3:10 afin que les dominations et les autorités dans les lieux célestes
3:15 duquel tire son nom toute famille dans les cieux et sur la terre
4:10 Celui qui est descendu, c'est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux,
6:9 sachant que leur maître et le vôtre est dans les cieux
6:12 contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes.
On retrouve ces mêmes notions dans Colossiens (où on gardera à l'esprit que Paul prend là le contre-pied d'une gnose naissante, en utilisant son vocabulaire – avec ses étages célestes et ses êtres intermédiaires – et en le détournant au profit de la vérité) :
1:15 toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, trônes, dignités, dominations, autorités.
1:20 tant ce qui est sur la terre que ce qui est dans les cieux
2:15 il a dépouillé les dominations et les autorités
2:18 un culte des anges
Selon McRAY, cet "air" inférieur, autour de la terre, où se trouve Satan ("le prince de la puissance de l'air" Ep 2:2) est ce que la pensée apocalyptique juive appelle le firmament.
En somme, Christ – qui réunit – est plus puissant que Satan – qui divise –, et il est Seigneur non seulement de l'Église, mais aussi du cosmos.
En cherchant à désunir le corps, à briser l'unité de l'Église, à renverser l'assemblage des païens et du peuple juif, Satan cherche à anéantir la seigneurie sur l'Église et le cosmos, et le projet éternel de Dieu, lequel n'est pas un plan de dernière minute, mais a été préparé de longue date à travers l'élection-vocation d'Israël qui devait donner le Messie au monde, c'est-à-dire aux hommes, aux puissances et à l'univers.
Ce plan est ce dans quoi sont tressés le destin et la vocation de Paul, précisément, et c'est dans Éphésiens que c'est le plus manifeste.
Et c'est dans cette lettre que l'on voit le plus clairement quelle était sa compréhension de l'histoire du salut :
1 A cause de cela, moi Paul, le prisonnier de Christ pour vous païens... 2 si du moins vous [les païens] avez appris quelle est la dispensation de la grâce de Dieu, qui m'a été donnée pour vous. 3 C'est par révélation que j'ai eu connaissance du mystère sur lequel je viens d'écrire en peu de mots. 4 En les lisant, vous pouvez vous représenter l'intelligence que j'ai du mystère de Christ. 5 Il n'a pas été manifesté aux fils des hommes dans les autres générations, comme il a été révélé maintenant par l'Esprit aux saints apôtres et prophètes de Christ. 6 Ce mystère, c'est que les païens sont cohéritiers, forment un même corps, et participent à la même promesse en Jésus-Christ par l'Évangile, 7 dont j'ai été fait ministre selon le don de la grâce de Dieu, qui m'a été accordée par l'efficacité de sa puissance.
8 A moi, qui suis le moindre de tous les saints, cette grâce a été accordée d'annoncer aux païens les richesses incompréhensibles de Christ, 9 et de mettre en lumière quelle est la dispensation du mystère caché de tout temps en Dieu qui a créé toutes choses, 10 afin que les dominations et les autorités dans les lieux célestes connaissent aujourd'hui par l'Église la sagesse infiniment variée de Dieu, 11 selon le dessein éternel qu'il a mis à exécution par Jésus-Christ notre Seigneur, 12 en qui nous avons, par la foi en lui, la liberté de nous approcher de Dieu avec confiance. 13 Aussi je vous demande de ne pas perdre courage à cause de mes tribulations pour vous [les païens] : elles sont votre gloire.
En réalité, tout était déjà contenu en germe dans sa rencontre violente avec Christ sur la route de Damas, mais telle qu'il la raconte plus loin, en Ac 26, dans sa défense devant Agrippa, qui n'y comprendra rien :
Je suis Jésus que tu persécutes. 16 Mais lève-toi, et tiens-toi sur tes pieds; car je te suis apparu pour t'établir ministre et témoin des choses que tu as vues et de celles pour lesquelles je t'apparaîtrai. 17 Je t'ai choisi du milieu de ce peuple et du milieu des païens, vers qui je t'envoie, 18 afin que tu leur ouvres les yeux, pour qu'ils passent des ténèbres à la lumière et de la puissance de Satan à Dieu, pour qu'ils reçoivent, par la foi en moi, le pardon des péchés et l'héritage avec les sanctifiés. SEGOND
17 te tirant du milieu de ce peuple et des Gentils, vers lesquels... CRAMPON
17 En te délivrant du peuple, et des Gentils, vers lesquels... MARTIN
17 Je te délivre déjà du peuple et des nations païennes vers qui je t’envoie TOB
17 Je te délivrerai de ce peuple et des non-Juifs, vers qui, moi, je t'envoie BFC
Toute la vie de Paul, apôtre, missionnaire, berger, écrivain, esclave, soldat, martyr, se trouve là, déjà.
On le voit par exemple dans Ga 1 :
15 Mais, lorsqu'il plut à celui qui m'avait mis à part dès le sein de ma mère, et qui m'a appelé par sa grâce, 16 de révéler en moi son Fils, afin que je l'annonce parmi les païens, aussitôt, je ne consultai ni la chair ni le sang, 17 et je ne montai point à Jérusalem vers ceux qui furent apôtres avant moi, mais je partis pour l'Arabie.
Ou encore dans Ro 15 :
… à cause de la grâce que Dieu m'a faite 16 d'être ministre de Jésus-Christ parmi les païens, m'acquittant du divin service de l'Évangile de Dieu, afin que les païens lui soient une offrande agréable, étant sanctifiée par l'Esprit-Saint.
Et ici, s'ajoute l'image d'un Paul prêtre, apportant les païens en guise d'offrande à un Temple nouveau (cf. Ep 2:21 "un temple saint").
À chaque fois, c'est le thème du Juif Paul envoyé vers les Gentils.
On peut donc dire que dans Éphésiens, il y a deux concepts clés, noués l'un à l'autre (je reprends ici McRAY) :
1. le rôle historique et "cosmique" du peuple hébreu dans l'histoire de la rédemption, dès le temps d'Abraham
2. le rôle clé de Paul dans la mise à exécution de ce plan, c'est-à-dire celui d'amener les Gentils comme participants à part entière dans le Royaume, ce que les forces mauvaises du "cosmos" ont cherché à empêcher, voulant détruire l'œuvre de Christ
C'est là l'Église.
Les chapitres 4 à 6 constituent la seconde partie de la lettre, partie exhortative basée sur l'instruction de la première partie (chapitres 1 à 3), dans une composition en 2 parties, similaire à celle de Romains.
Dans cette partie, la recherche de l'unité occupe une grande place.
Car si le plan divin était de réunir (tout le thème de la 1ère partie), le danger est celui de la désunion, de la rupture, de la désintégration.
Notamment Ep 4:2-6
"Supportez-vous les uns les autres, dans l'amour,
3 en vous efforçant de conserver l'unité de l'Esprit par le lien de la paix.
4 Il y a un seul corps et un seul Esprit, tout comme vous avez aussi été appelés dans une seule espérance, celle de votre appel ;
5 il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême,
6 un seul Dieu et Père de tous,
qui est au-dessus de tous, par tous et en tous."
Et
4:12-13 "l'édification du corps de Christ... l'unité de la foi"
4:16 "tout le corps..."
4:24 "l'homme nouveau" // 2:15 "un seul homme nouveau..."
4:25 "… tous les membres les uns des autres"
5:21 "vous soumettant les uns aux autres..."
5:30 "nous sommes membres de son corps"
En guise de conclusion
On peut très bien lire cette lettre sans jamais discerner ni mentionner cette ligne directrice, qui pourtant saute aux yeux.
Si nous sommes empêchés de la voir, c'est que notre situation a totalement changé : nous ne vivons plus dans le même monde.
Nous sommes surtout intéressés par la seconde partie, qui se prête mieux à l'exhortation.
Mais est-ce là tout ?
À quoi bon ces trois premiers chapitres, s'ils sont couverts de poussière comme des vieilleries qui ne servent plus ?
Si Paul éprouve le besoin d'écrire ces trois chapitres, c'est que leur vérité centrale était difficile à comprendre, à admettre, à conserver.
On peut même dire qu'à la longue, il a échoué.
Le temps n'est pas loin, peu après sa disparition, où l'Église, qui va devenir majoritairement païenne, et les Juifs vont connaître un divorce séculaire qui dure encore, avec la disparition des gens de la frontière – les Judéo-chrétiens – rejetés des deux côtés.
Il y a le risque d'une lecture décontextualisée de la lettre, aveugle sur la situation inédite qu'a créée alors et que constituait en elle-même l'Église – un dérangement de la pensée tant chez les Juifs que chez les Gentils – lecture dépourvue donc de son sel. Un bouleversement que nous ne voyons plus, ou que nous ne voulons pas voir, sinon à l'état d'idée sur le papier.
Il n'en reste plus parfois que l'idée générale, consensuelle et sans risque, de l'acceptation de l'autre, des différences entre gens somme toute bien semblables.
Mais est-ce bien de cela, seulement de cela, que parlait Paul dans Éphésiens 1 à 3 ?
Est-ce là le "mystère caché de tous temps en Dieu" dont il parle avec une telle passion, et dont il a eu la révélation ?
Il faut revenir sur "le mystère."
Dans les termes de DETTWILER (Le Nouveau Testament commenté, p. 847) :
Ensuite, il [l'auteur] propose une réflexion dense sur l'œuvre de réconciliation du Christ à travers sa mort, œuvre qui dépasse l'opposition d'autrefois entre les Juifs et les « païens », afin de créer une nouvelle entité : l'Église universelle (2,11-22). Enfin, l'auteur fournit une anamnèse de « Paul », dans laquelle son rôle constitutif dans le processus de révélation du « mystère » du Christ (3,1-13) est rappelé.
(DETTWILER met "Paul" entre guillemets car il pense, avec beaucoup d'autres, que cette lettre n'est pas directement de la main de Paul)
Quant à l'application...
Il manque l'application, pour laquelle cette tentative d'exégèse personnelle ne donne que les ingrédients.
Le lecteur restera sans doute sur sa faim, mais elle reste à écrire.
Sources
CRAMPON
Bible d'Augustin Crampon (1923), domaine public, en ligne.
DETTWILLER
Dettwiler, Andreas. 2012. Épître aux Éphésiens. Nouveau Testament commenté. Bayard & Labor et Fides.
ENNS
Enns, Peter. 2016. Paul, Adam and Salvation.
Voir aussi l'article de Traditio Deformis de D. H. (théologien orthodoxe) auquel il renvoie.
MARTIN
Bible de David Martin (1744), domaine public, en ligne.
Cette Bible dans l'ancienne langue est souvent d'une belle expressivité.
McRAY
McRay, John. 1996. Ephesians, Theology of. Baker Theological Dictionary of the Bible. Grand Rapids : Baker.
pp. 205-208.
Cet ouvrage est maintenant en ligne !
(sous le nom de Baker's Evangelical Dictionary of Biblical Theology)
F. Giannangeli
mars 2017