- vv. 1- 6 / Dieu décide d'agir enfin
- vv. 7-12 / Le départ
- vv. 13-15 / Une transition inattendue : un indice divin
- Sources et outils
Ésaïe 52:1-6 / Dieu décide d'agir enfin
1 "revêts ta parure" NEG
Or le texte a "ta force" : עֻזֵּךְ ‘uzzekh
עורי עורי לבשי עזך
- "revêts-toi de puissance, ô Sion, revêts tes habits de splendeur" TOB
litt. les vêtements de ta splendeur
- "ni incirconcis ni impur"
NET : "For uncircumcised and unclean pagans will no longer invade you."
עָרֵל "l’incirconcis" : unique occurrence en Ésaïe (2 autres dans Jérémie, de nombreuses fois dans Ézéchiel)
On est surpris de ce langage rituel aux exilés, qui justement ont dû apprendre (de force) à abandonner le rite et le sacrifice.
C’est le prophète lui-même qui semble ranimer la vision d’une Jérusalem politique et religieuse revenue à sa gloire d’antan ("force, splendeur"). Mais la suite du chapitre, et le chapitre suivant, vont incliner cette vision dans un sens autre : le bras de l’Éternel va agir étrangement (fin Es 52 & 53:1), comme ces promesses de restauration ne le laissaient pas soupçonner.
Pour NIBC, il s’agit des incirconcis (spirituels) et des impurs d’Israël.
2 "mets-toi sur ton séant" שְּׁבִי shevi
Impératif féminin de יָשַׁב "s’asseoir".
Un peu surprenant : sens ?
NET dit :
Some interpret this to mean “take your throne”: The Lord exhorts Jerusalem to get up from the dirt and sit, probably with the idea of sitting in a place of honor (J. N. Oswalt, Isaiah [NICOT], 2:361).
NET au contraire penche pour une corruption d’un original שְׁבִיָּה sheviyyah "captive" (// fin du verset), suggérée aussi par la BHS. En effet, l’idée de s’asseoir semble décalée : "lève-toi assieds toi " !
Comme dans Colombe & NBS :
"relève-toi,
Assieds-toi, Jérusalem !"
Si au contraire on adopte la lecture sheviyyah, il y a un parallélisme dont la traduction serait :
"lève-toi, captive Jérusalem
//
relâche les liens de ton cou, captive fille de Sion"
Peut-être la forme sheviyyah a-t-elle été corrompue en shevi sous l’effet de la forme de même son final qumi (lève-toi) qui précède.
Mais elle ne se trouve dans aucun manuscrit, ce qui la rend tout de même fragile.
Par ailleurs, on peut aussi considérer que pour quelqu’un qui est couché dans ses chaînes, à même le sol de sa prison, se mettre sur son séant c’est déjà se lever.
Conclusion : je ne sais pas quel est le texte original, et personne ne sait.
TOB semble vouloir capturer le sens des deux solutions et ne renoncer à aucune :
"Hors de la poussière, ébroue-toi, mets-toi debout,
toi, la captive, Jérusalem,
fais sauter les liens de ton cou,
toi, la captive, fille de Sion."
Selon CTAT, TOB aurait traduit (dans l’édition de 1975) shevi littéralement par "toi, la capture" (nom).
"Capture" signifiant la captivité au sens subjectif de "les captifs" (// "il emmené captive la captivité" de Ps 68:19 // Ep 4:8).
CTAT2 consacre près de deux pages à ce cas, en retraçant l’histoire insoupçonnable, passionnante et aussi déroutante de l’exégèse de ce texte.Il faudrait plusieurs vies pour suivre les avatars (et parfois les passions) qui se cachent derrière les problèmes de texte comme celui de cette petite variante.
Je m’attarde sur celle-ci comme cas d’école, dont je conclurai une ou deux choses (plus loin la Note en passant).
Le texte est lourd d’histoire textuelle !
Pour faire court, BARTHÉLÉMY / CTAT2 finit par recommander de garder le TM (shevi – impératif fém.) , et propose de traduire :
"Hors de la poussière ébroue-toi, dresse-toi, trône, Jérusalem".
Mais avant cette conclusion, toute une discussion savante !
- le TM peut signifier soit "assieds-toi" (verbe à l’impératif) soit "captivité" (nom)
- beaucoup de versions ont conjecturé la leçon proposée par BHS : sheviyyah "la captive" (adjectif, comme à la fin du verset)
- certains voient dans la leçon shevi du TM une abréviation de sheviyyah
- Qa (= Rouleau d’Esaïe de la Mer Morte) préfixe un vav / "et" à shevi – ושׁבי – ce qui montre qu’il lisait un verbe à l’impératif : "… et assieds-toi"
- toutes les versions anciennes (Septante, Vulgate, Syriaque) ont compris "assieds-toi", ainsi que Rashi
- le targum paraphrase "siège sur le trône de gloire"
- mais Luther a traduit "du gefangene"
- Luther a été influencé par Nicolas de Lyre (commentateur franciscain du XVe), lequel pourtant lisait ici "assieds-toi Jérusalem".
Nicolas de Lyre explique ces mots d’une manière bien à lui (illustrant par là les mots, plus tard, de ce même Luther, à savoir que l’Écriture a un nez de cire que les interprètes étirent à leur gré) :
"installe-toi sur sur le siège d’honneur, oracle qui fut accompli lorsque Rome qui était la capitale de l’univers a été faite le siège du souverain pontife par Constantin".
I.n.o.u.ï !
On comprend que Luther ne l’ait pas suivi !
Et ait préféré la traduction d’Œcolampade (réformateur suisse) en "captivitas".
- mais autre problème : shevi au sens de "captivité" est un nom masculin ; or "lève-toi" – קוּמִי qumi – l’impératif qui précède, est au féminin
- alors qu’au sens de "trône" (impératif du verbe "trôner"), le texte forme un bon contraste avec Es 47:1 :
"Descends, assieds-toi dans la poussière,
Vierge, fille de Babylone !
Assieds-toi à terre, sans trône,
Fille des Chaldéens !"
Là , il était demandé à Babylone de descendre (de son trône) et de s’asseoir dans la poussière.
Ici, il est demandé à Jérusalem, assise à même le sol, de secouer sa poussière, de se lever, et de s’asseoir (sur le trône).
L’assonance entre shevi (début du verset, "trône") et sheviyyah (fin du verset, "captive") serait alors voulue.
Après une telle discussion, on penche pour le TM, naturellement !
Soit : "Trône, Jérusalem"
Mais il s’agit toujours d’une possibilité, pas d’une certitude absolue, et CTAT (qui conserve la plupart du temps le TM au lieu des conjectures, du moins dans ce livre) ne lui donne que la note "B" (= grande probabilité avec une certaine marge de doute).
Ici, c’est un cas de variante supposée : en effet, aucun manuscrit ne la porte, et l’ensemble des versions anciennes est unanime contre elle. De plus Qa ne l’a pas non plus.
C’est donc une conjecture, posée à cause de la difficulté du TM (soit qu’on ne puisse lui donner de sens raisonnable, soit qu’on le puisse mais que ce sens ne soit pas plausible dans le contexte).
Mais il y a des cas où il y a cette même unanimité des témoins, et où une conjecture qui n’était présente nulle part jusque là a été retrouvée par la suite dans le texte de Qa ou d’un autre manuscrit de la Mer Morte !
Il est donc possible – quoique rare – que la vraie leçon ne soit dans aucun manuscrit ou versions connus jusque là.
Par ex. les cas de Es 21:8 ("celui qui regarde") ou Es 49:17 ("ceux qui vont te rebâtir).
Cf. mon travail sur un aperçu des variantes de Qa :
http://papyrus87.zohosites.com/Qa-esaie.html
Note en passant
Il est probable que le lecteur pensera que voilà beaucoup de transpiration pour pas grand-chose.
En effet…
Cette "perte de temps" aura au moins une vertu : dissiper des illusions sur la nature de la Bible.
C’est une œuvre littéraire quoique inspirée (mais où est la contradiction ?!), complexe, exigeante, à l’histoire contournée et à la transmission confuse par endroits.
Il n'est pas possible d'ignorere cette réalité factuelle.
Sauf à se réfugier dans une image de la Bible.
- "détache"
C’est un cas de Ketiv / Qéré (deux autres cas au v. 5).
C’est une forme antique de critique textuelle, ou plutôt de refus de critique textuelle !
La règle en est que lorsque le TM semble (ou est !) défectueux, les massorètes / copistes / éditeurs, par respect de la lettre sacrée, n’y touchent pas : le texte fautif est laissé tel quel dans le texte, et la correction est indiquée dans la marge. Le mot concerné est signalé dans le texte par un petit cercle placé au-dessus, et le qéré est mis en marge, avec un ק placé dessous.
Alors, dans la lecture, on ne lit pas ce qui est écrit (le kétiv) mais ce qui est doit être lu (le qéré), et avec les voyelles du kétiv.
Évidemment, cette forme juive de "critique pieuse" est un stratagème un peu déroutant pour nous modernes et "païens".
Voir https://en.wikipedia.org/wiki/Qere_and_Ketiv
(pas de page en français, hélas)
Ici, toutes les versions anciennes suivent le qéré (hitpatehi "détache", impératif fém. sing. parallèle à "secoue" au début du verset), alors que le TM a "détachez" (hitpatehou impératif masc. plur.)
Noter qu’ici CTAT préfère garder le TM, avec Qa (mais avec un forte hésitation), lu non comme un impératif masc. plur. ("détachez"), mais comme un hitpael à la 3e pers. masc. plur. ("ils se sont détachés" – les deux formes étant identiques ! ), et traduit :
"Ils se sont détachés, les liens de ton cou, captive fille de Sion"
C’est-à-dire : Cyrus, mon messie, t’a libérée. Tu es libre, alors secoue-toi, debout.
Noter encore que la différence entre le ketiv et le qéré ne tient qu’à un "iota" !
Un yod י ou un vav ו , une différence graphique de peu.
Bien entendu, tout cela est absolument invisible dans les versions sans notes.
3 "gratuitement" חִנָּם "pour rien" – idem v. 5
BFC "sans contrepartie"
- "sans argent"
Peut signifier que "no conventional army will redeem it" HBC
4 "pour y séjourner" : c’est-à-dire temporairement, pour un temps
- "sans cause" : pourtant, les textes disent ailleurs que l’Assyrie fut le bras de Dieu !
Problème de traduction, de surcroît. Je ne vois pas d’où vient ce "sans cause".
COLOMBE et NBS traduisent comme NEG : "Puis l'Assyrien l'opprima pour rien."
(mais ce n’est pas le même mot que le "pour rien" du v. 3).
D’autres traduisent בְּאֶפֶס par "à la fin" :
"Au début de son histoire, mon peuple alla se réfugier en Égypte.
A la fin, les Assyriens le maltraitèrent" – BFC
5 "qu’ai-je à faire… ses tyrans" : sens ?
Nouveau ketiv / qéré : mi / mah = qui ? / quoi ?
Et aussi dans la 2e partie du verset ("celui qui le domine / ceux qui le dominent"), cas qui se double d’un problème de sens :
- soit on comprend comme NEG ("ses tyrans poussent des cris") : il s’agit des oppresseurs étrangers
- soit on comprend comme CTAT ("ses chefs hurlent de douleur") : il s’agit des grands d’Israël
Nous sommes dans une belle incertitude !
Pour NIBC, "qu’ai-je à faire" signifie que Dieu se dit à lui-même qu’il est temps pour lui d’agir, de sortir de son inactivité.
6 "me voici !"
Ce n’est plus Ésaïe qui dit "me voici !" (6:8), c’est Dieu !
Voir aussi 58:9 et 65:1.
FG
Août 2017