Mt 17
Remarquables différences, nuances, retouches, précisions apportées par Matthieu dans sa version et sa reprise de Marc.
1-13 / Transfiguration
Ici, Jésus est le second Moïse et l'Élie annoncé par l'Élie qui devait venir!
NIBC / MOUNCE dit que c’est pour encourager ses disciples que Jésus les emmène sur la montagne, après avoir d’abord annoncé qu’il serait mis à mort (16:21).
Que ce se soit passé sur le Mt Thabor est une légende: c’est loin de Césarée de Philippe (16:13 / 65 km à vol d’oiseau, beaucoup plus à pied), et il était surmonté d’un château et d’un fort à l’époque (ainsi MOUNCE).
Le Mt Hermon, à un peu plus de 20 km de là, est plus vraisemblable.
1 "Six jours après"
Mt = Mc
Mais Luc dit: "Environ huit jours après…".
- "prit avec lui"
Mt = Mc
Luc précise que c’était pour prier. Curieuse omission de Matthieu.
Il prend 3 hommes, comme Moïse (Aaron, Nadab et Abihu, Ex 24:9).
2 "son visage resplendit comme le soleil... comme la lumière"
// Moïse
// 13:43 "les justes resplendiront comme le soleil"
- "il fut transfiguré devant eux"
καὶ μετεμορφώθη ἔμπροσθεν αὐτῶν metemorphôthê
Litt. "il fut métamorphosé en leur présence"
C’est pour eux que cela se produit.
Mot employé seulement 3 fois dans le NT:
- ici
- en Ro 12:2 "… mais soyez transfigurés par le renouvellement de votre intelligence" NBS
- en 2 Co 3:18 "Nous tous qui, le visage dévoilé, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image, de gloire en gloire"
(à nouveau en lien manifeste avec la figure de Moïse)
3 "Moïse et Élie"
Moïse est en premier.
≠ Mc 9, où il est en 2e.
Ici, Mt = Lc.
Seul Luc précise de quoi ils parlaient: de son "exode" à Jérusalem!
Curieuse omission de Matthieu.
Pour NIBC / MOUNCE, c’est une façon de dire que le chemin vers la croix sur lequel se trouve Jésus correspond à l’intention de Dieu telle que l’AT (Moïse = la Loi, Élie = les prophètes) la révèle.
Si Moïse et Élie représentent la Loi et les Prophètes, comme on le dit communément, il y a toutefois une différence: l’un est écrivain, l’autre non.
(pour Moïse écrivain, je parle de la tradition canonique)
On pourrait trouver plusieurs parallèles entre Moïse et Élie en lien avec Jésus (symbolisme de "40", les trois sont sans tombeau).
On pourrait y voir aussi, sinon à la place, un symbolisme avec une autre perspective: les trois sont des hommes "de la montagne de Dieu".
Non seulement cela, mais les trois sont ceux qui sont descendus de la montagne de Dieu:
- Moïse pour donner la Loi et conduire le peuple
- Élie pour reprendre son chemin ("Va, reprends ton chemin…" 1 R 19:15) et aller oindre Hazaël (!) et Jéhu
- Jésus (v. 9) pour aller guérir l’enfant démoniaque
On ne se demande jamais comment Pierre les a reconnus…
Sans doute en les entendant se parler.
4 "Seigneur, il est bon que…"
Alors que dans Marc, Pierre dit cela dans son effroi!
Ici, la frayeur des disciples vient au son de la voix venant du ciel (v. 6), ensuite.
- "trois tentes"
Comme à Souccot...
5 "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon affection: écoutez-le!"
Strictement les mêmes termes qu’en 3:17 (baptême), sauf le "écoutez-le" (qu’on retrouve dans Luc et Marc).
Οὗτός ἐστιν ὁ υἱός μου ὁ ἀγαπητός, ἐν ᾧ εὐδόκησα· ἀκούετε αὐτοῦ.
6-7 "une grande frayeur… il les toucha"
Frayeur et réconfort mêlés, comme dans les récits de résurrection.
Texte absent de Marc.
- "et furent saisis d'une grande frayeur."
καὶ ἐφοβήθησαν σφόδρα.
= Mt 27:54 "furent saisis d'une grande frayeur" ἐφοβήθησαν σφόδρα
(à propos des gardes au tombeau)
8 "Ils levèrent les yeux, et ne virent que Jésus seul"
On commente parfois que par là, le texte insiste sur la centralité de Jésus, lui seul.
Mais c’est juste que l’éphémère théophanie est terminée, les sons, les voix, et les images redeviennent ceux de la simple réalité.
En même temps, la frayeur divine s’est dissipée aussi.
Pour les disciples, c’était l’avant-goût d’un Royaume imminent, à portée de main: d’où leur question sur Élie.
De plus, Jésus leur demande la confidentialité, alors que l’avènement du Royaume est censé être publié ouvertement et sans tarder.
9 "Ne parlez à personne…"
Luc omet ce qui est pourtant important pour comprendre les mouvements de l’âme des disciples: "Ils retinrent cette parole, se demandant entre eux ce que c'est que ressusciter des morts." (Mc 9:10).
C’est une question à voix basse, après quoi ils posent une autre question, à haute voix: au sujet de l’Élie manquant.
Pour NIBC, cette injonction au silence était pour prévenir tout soulèvement messianique mal informé.
10 "Les disciples lui firent cette question… pourquoi les scribes disent-ils qu’Élie..."
Étrange qu'ils aient la tête à des questions.
Et à celle-là!
Pour eux, ils pensent que Jésus va rétablir à l’instant le Royaume de Dieu dont ils viennent d’avoir le prélude. Il est même déjà là.
Il reste juste une incohérence "théologique" dans leur esprit: Élie n’est pas venu comme prévu (comme prévu par les scribes et les Écritures interprétées par eux, cf. Mal 4:5).
Encore aujourd’hui, les scénarios de la fin bien réglés courent le (grand) risque d’être démentis par un déroulement pas exactement comme prévu.
Ce qui ne décourage pas les pronostiqueurs qui racontent l’avenir...
En fait, Jésus avait déjà répondu à leur question en 11:14! ("et, si vous voulez le comprendre, c'est lui qui est l'Élie qui devait venir.").
Il faut vraiment entrer dans leur univers de Juifs pour les comprendre un peu.
Où l'on voit ici, encore et toujours,la prise de possession et la possession volontaire et allant de soi des âmes par les prêtres de tous les temps.
Ici, ce sont des scribes, mais leur prêtrise en est bien une.
Ici, par réflexe intégré et assimilation des mécanismes du groupe, les disciples pensent aussitôt et se réfèrent aussitôt à ceux qui disent que…
11 "il est vrai qu’Élie…"
Matthieu omet le jeu des questions de Marc; à leur question, Jésus répondait là par une autre question: "Et pourquoi est-il écrit du Fils de l'homme qu'il doit souffrir beaucoup et être méprisé?" Mc 9:12.
Aussi, Matthieu omet l’insistance de Marc sur ce qui est écrit:
"Et pourquoi est-il écrit du Fils de l'homme…" Mc 9:12.
"ils l'ont traité [Élie] comme ils ont voulu, selon qu'il est écrit de lui." Mc 9:13.
On peut d’ailleurs se demander à quelle Écriture Marc faisait allusion à propos d’Élie.
12 "De même le Fils de l’homme souffrira de leur part"
C'est aussi dans Marc, mais sous forme de question:
"Et pourquoi est-il écrit du Fils de l'homme qu'il doit souffrir beaucoup et être méprisé?"
On voit que Matthieu a reformulé et abrégé.
- "ils ne l’ont pas reconnu"
C’est Matthieu qui l’ajoute.
Par contre il omet le "selon qu’il est écrit de lui" de Marc.
- "de même"
οὕτως καὶ houtôs kai
TOB "Le Fils de l’homme lui aussi va souffrir par eux".
BFC "C'est ainsi que le Fils de l'homme lui-même sera maltraité par eux."
Matthieu insiste davantage sur le parallèle entre les souffrances d’Élie et celles du Fils de l’homme.
13 "Les disciples comprirent alors qu'il leur parlait de Jean-Baptiste"
Comprendre et comprendre.
Comprendre et croire.
C’est Matthieu qui explicite le texte allusif de Marc.
On peut penser qu’il veut aiguiller ses lecteurs païens dans ce langage juif, qui nomme quelqu’un pour parler d’un autre dont il est ou peut être le type ou l’annonce voilée (cf. Mt 11:14).
De même, des textes de l’AT parlent de "David" pour parler d’un autre.
14-21 / Une cruelle souffrance
HBC ici aussi passe en revue les révisions de Matthieu au texte de Marc et de Q.
Mais c'est un peu fastidieux, à la longue...
Lire Matthieu en tant que texte de Matthieu est aussi nécessaire.
14 "arrivés près de la foule"
Selon Lc 9:37, c’est le lendemain, sans qu’on sache bien s’ils sont descendus de la montagne le jour même, puis allèrent vers la foule le lendemain; ou bien s’ils restèrent sur la montagne jusqu’au lendemain.
Luc dit: "Le lendemain, lorsqu'ils furent descendus de la montagne…"
Comme pour Moïse descendant de la montagne, en bas c’est la confusion.
Matthieu fait l’impasse sur la confusion des esprits qui règne en bas (vives discussions entre les disciples et les scribes). Seul le fidèle Marc rapporte ce brouhaha de discuteurs, qui fait dire à Jésus: "De quoi discutez-vous avec eux?"!
Malgré la sobriété du texte, gageons que lesdits scribes étaient en train de sauvegarder leur bonne croyance (et leur pouvoir): si cet homme a un enfant comme cela, il doit bien y avoir une raison…
À l’heure du besoin, beaucoup de paroles, peu de puissance.
15 "qui souffre cruellement;.. dans le feu… dans l’eau"
Chaque évangile décrit les tourments de l’enfant différemment. Seuls Matthieu et Marc parlent du feu et de l’eau.
Le relevé des différences de rédaction serait fastidieux. Comme souvent, c’est Marc qui est le texte le plus long!
Les souffrances de cette famille sont impossibles à nommer. Cela donne aux "discussions" des scribes (détail omis par Matthieu! Cf. Mc 9:14-16) une tournure révoltante.
- "il est lunatique"
σεληνιάζεται
On attribuait les crises d’épilepsie aux phases de la lune; être lunatique, c’était être frappé par la lune (cf. MOUNCE / NIBC).
Nous aussi, nous attribuons parfois les raisons des malheurs d’autrui à des causes populaires ou extravagantes de notre invention ou de notre théologie toute prête.
16 "Je l’ai bien amené à tes disciples, mais ils n’ont pas pu le guérir" TOB
"L'ho fatto vedere ai tuoi discepoli, ma non sono riusciti a guarirlo." TILC
καὶ προσήνεγκα αὐτὸν τοῖς μαθηταῖς σου, καὶ οὐκ ἠδυνήθησαν αὐτὸν θεραπεῦσαι.
D'où, cette question, la nôtre, la mienne, qu'on n'ose plus même poser:
"Alors les disciples vinrent demander à Jésus, en privé: Pourquoi n'avons-nous pas pu le chasser nous-mêmes?" v. 19 NBS
- "le guérir"
C’est-à-dire: chasser le démon.
17 "Race incrédule et perverse, répondit Jésus, jusques à quand serai-je <b>avec </b>vous? <b>j</b>usques à quand vous supporterai-je? Amenez-le-moi ici."
Qui est ce vous?
Moi?
Qui Jésus regarde-t-il en disant ces terribles paroles?
Le père, aussi, le malheureux? Non, c'est trop cruel d'un Dieu qui serait Dieu.
MOUNCE / NIBC dit: les disciples et la foule en général.
Je penche plutôt pour les scribes, qui ont brouillé les idées des disciples impuissants de leurs "discussions" que Matthieu passe sous silence.
Devant un tel drame, ils ont dû agiter leur bâton de Moïse pour troubler l’eau claire de l’Évangile.
- "race incrédule et perverse"
Ὦ γενεὰ ἄπιστος καὶ διεστραμμένη
Formule imprécatoire similaire en De 32:5 ("Race fausse et perverse" LXX γενεά σκολιά και διεστραμμένη) et Ph 2:15 ("au milieu d'une génération perverse et corrompue" γενεᾶς σκολιᾶς καὶ διεστραμμένης).
On pourrait ajouter Ac 2:40 ("Sauvez-vous de cette génération perverse" Σώθητε ἀπὸ τῆς γενεᾶς τῆς σκολιᾶς ταύτης.).
18 "et l’enfant fut guéri"
Phénoménale restriction par Matthieu du récit de la guérison à un seul verset, récit qui dans Marc en prend huit (Mc 9:20-27)!
Il n’y a donc rien à commenter sur ce que Matthieu ne dit pas.
Hormis peut-être s’interroger sur le but de Matthieu: pourquoi cette drastique compression?
19 "et lui dirent en privé"
Noter que les disciples ont pris Jésus (!) à part...
Nous remplaçons nos impossibilités par des discours sur nos impossibilités.
Et nous avons recours alors, sous cette contrainte, à cette méthode antique de la spiritualisation.
Or, s'agissant ici d'esprit, précisément, c'est assez mal venu!
20 "... rien ne vous serait impossible"
Il ne s’agit pas du péché de toute-puissance!
Il ne s’agit pas non plus de rejeter sur ces "religieux" la charge de ce qui nous manque à nous.
Comme Matthieu s'ingénie à émonder le texte de Marc, il semble aussi plus probable qu'il ait supprimé aussi ce fragment de la tradition.
Que Matthieu ait taillé dans son modèle ne devait pas être, de surcroît, du goût des copistes qui, le nez sur leur calame, ne prenaient pas la distance nécessaire à apercevoir le projet de Matthieu.
Le mieux, pour eux comme pour nous, aurait été que les deux textes soient parfaitement identiques!
Et si on peut y aider...
À leur manière, ils expriment à leur insu une théologie de l'Écriture assez répandue parmi nous, et qui nous fait grand tort, à savoir: dire de la part de Dieu ce que devrait être et devrait dire l'Écriture, en face de ce qu'elle dit et est effectivement.
C'est un mal de l'homme religieux.
Il faut donc écarter jusqu'à toute notion de culpabilité pour manque de foi:
- du père
- de l'enfant (c'est évident, mais autant le redire)
Pour ce qui est des disciples, je pencherais pour l’idée similaire à celle de GREEN cité par MOUNCE / NIBC: c’est parce qu’ils se sont laissé entraîner par les scribes qui ont des discours à contre-temps et hostiles à Jésus et à ce qu’il représente.
En effet, ce n’était vraiment pas le moment des discussions!
Et aussi parce qu’ils ne pensaient pas que la puissance de Dieu pouvait agir à travers eux.
Sans doute à cause du bavardage des scribes. Peut-être aussi parce qu’ils ont jeté instinctivement la charge de la foi sur les épaules du père qui pourtant, comme on le voit dans le récit de Marc, a la foi.
L’incrédulité qu’il confesse est le signe même de sa foi!
Voir le commentaire de DAVIDS / NIBC à Ja 5:15:
"The faith lies in the elders, not in the sick person (about whose faith nothing is said). The elders' faith is critical: If something "goes wrong" it is they, not the sick person, who bear the onus."
"The relationship of faith to prayer is also important for Mark 2:5; 5:34; 10:52; and Acts 14:9. The locus of faith in most Gospel miracles and many miracles in Acts is in the person who prays (normally Jesus); only rarely is the person who is healed said to have faith. Rejection of Christ prevents healing, but the amount of faith in the patient is biblically unimportant" (Notes).
- pour ce qui est de la version de Luc/(Q?), deux choses notables:
. "sur mon fils, car c'est mon fils unique": précision capitale s'il en est (Lc 9:38)
. l'admiration et la stupéfaction de la foule (Lc 9:43)
"Détails" absents de Marc et omis par Matthieu.
On peut se demander pour quels motifs, s'il y en a.
Mais le pire serait de réécrire un autre Évangile, un Diatriton..., même virtuellement.
- "cette montagne"
Pour les anciens, les montagnes étaient des piliers qui soutenaient le ciel (ainsi MOUNCE / NIBC).
Pour la montagne signifiant un obstacle infranchissable, cf. Za 4:7 ("Qui es-tu, grande montagne, devant Zorobabel? Tu seras aplanie.") et 1 Co 13:2 ("toute la foi jusqu'à transporter des montagnes").
MOUNCE cite Es 54:10 ("Quand les montagnes s’éloigneraient..."), mais cela ne me semble pas vraiment correspondre.
21 "Mais cette sorte de démon ne sort que par la prière et par le jeûne."
Un grand nombre de manuscrits ont ce verset.
Mais des manuscrits d’un plus grand poids l’omettent.
Marc a seulement "Cette espèce-là ne peut sortir que par la prière", sans mention aucune du jeûne, sauf comme variante.
Luc ne l’a pas, vu qu’il ne rapporte même pas la conversation en privé entre les disciples et Jésus.
Les commentaires de METZGER à Mt 17:21 et Mc 9:29 devraient faire l’unanimité:
- en Mc 9:29, le texte a "par la prière"
L’ajout de "et par le jeûne" est une glose qui a pénétré de nombreux témoins en raison de l’accent grandissant mis sur la nécessité du jeûne dans la première Église.
On trouve le même phénomène en 1 Co 7:5, où les variantes "au jeûne et à la prière" et l’inverse sont des interpolations de tendance ascétique.
L’ajout du jeûne s’explique ainsi de manière plausible, et correspond bien à l’air du temps. Sa suppression, s’il avait été original, par contre ne pourrait guère s’expliquer.
- en Mt 17, tout le verset dans sa forme amplifiée a été importé dans un désir d’harmonisation avec Mc 9. S’il y figurait à l’origine, on ne comprend guère pourquoi il aurait été supprimé. Par contre, la tendance à l’harmonisation s’explique naturellement.
Tout en laissant une marge d’incertitude, on peut donc dire que:
- en Mc 9, il y avait seulement "par la prière"
- en Mt 17, le v. 21 n’est pas original
NET2
tc Many important mss (א* B Θ 0281 33 579 892* pc e ff sy sa) do not include 17:21 “But this kind does not go out except by prayer and fasting.” The verse is included in א C D L W ƒ M lat, but is almost certainly not original. As B. M. Metzger notes, “Since there is no satisfactory reason why the passage, if originally present in Matthew, should have been omitted in a wide variety of witnesses, and since copyists frequently inserted material derived from another Gospel, it appears that most manuscripts have been assimilated to the parallel in ” (TCGNT 35). The present translation follows NA in omitting the verse number as well, a procedure also followed by a number of other modern translations.
22-23 / Encore l’annonce
22 "Pendant qu’ils parcouraient"
Répétition de l’annonce du v. 12.
Hésitation du texte entre "parcourir" et "être ensemble":
συστρεφομένων (sustrephomenôn) ou ἀναστρεφομένων (anastrephomenôn)?
Ainsi NEG et Colombe (v.l. ἀναστρεφομένων δὲ αὐτῶν – sens un peu flou ici; TC / METZGER dit "abode").
TOB, NBS et BFC disent: pendant qu’ils étaient ensemble / rassemblés / réunis (passif συστρεφομένων δὲ αὐτῶν).
Le TC donne la note "C" pour le texte: personne ne sait donc vraiment ce qu’a écrit Matthieu, à cause du zèle déplacé (ou de la somnolence…) des scribes!
L’idée d’être ensemble correspond mieux avec ce qui suit: maintenant ils sont ensemble, mais – leur dit-il – bientôt ils seront séparés.
C’est d’ailleurs la suite naturelle de ce qui précède: "Alors les disciples s’approchèrent de Jésus" (v. 19).
De plus, "dans la Galilée / en Galilée" ἐν τῇ Γαλιλαίᾳ ne convient guère s’il s’agit de parcourir la Galilée; on aurait plutôt eu "à travers la Galilée" ou quelque chose de similaire.
(à vérifier)
23 "ils furent profondément attristés"
Ils ont donc compris, du moins en partie.
Dans Marc et Luc, ils ne comprennent rien.
Sans doute, comprenaient-ils ce que signifie mourir, mais pas ressusciter!
24-27 / La pêche au statère!
Ou: Le premier poisson qui viendra!
Propre à Matthieu.
Au temps où le Temple était encore debout.
Et aussi au temps où les chrétiens (des Juifs) étaient encore considérés comme faisant partie de la communauté juive.
À lire et à comparer avec Mt 22:15ss, sur l’impôt à César.
Noter que c’est une histoire pour hommes: seuls les Juifs mâles de plus de 20 ans devaient prendre de leur salaire pour payer l’impôt du Temple, pour son entretien et son service.
Il n’y a d’ailleurs ici que des hommes: les percepteurs, Pierre, "votre maître", les rois, les fils des rois, les étrangers.
Pour ce qui était de la gestion du Temple et du culte, l’idée que cela puisse concerner des femmes ne pouvait tout bonnement pas se concevoir: elle ne pouvait pas même les effleurer!
C’est la seule raison l n’est pas fait mention de femmes: une affaire d’hommes!
Ce n’est certes pas que "la Bible dit" que les femmes… (etc.)
Ici, la Bible ne "dit" rien: elle rapporte.
25 "Oui, dit-il"
Il faudrait: "Si, dit-il".
Refuser de payer le didrachme, c’est sortir du judaïsme institué.
Et même du judaïsme tout court: NIBC signale que même les dissidents de Qumran –
qui s’étaient retirés du Temple et de ses prêtres – le payaient.
L’exclusion, comme dans tout système fermé, est l’ultime porte.
Voir ces références (toutes dans Jean!): Jn 9:22; 12:42;16:2.
Être exclu de la communauté, c’est être seul.
- "Jésus le prévint"
Au sens de devancer, bien entendu.
Il n’est pas certain que tous les lecteurs entendent ici ce vieux mot.
Gr. προέφθασεν, de προφθάνω "devancer, prendre les devants".
Pierre n’a pas le temps d’ouvrir la bouche, et d’expliquer que les percepteurs attendent sur le seuil, que Jésus saisit l’occasion pour renverser la logique de l’histoire!
En bon maître, il enseigne en posant des questions, en faisant en sorte que Pierre se pose la question.
Le sens des choses est souvent un sens de seconde main, hérité, irréfléchi, automatique.
- "de leurs fils"
Pour BFC, c’est "les citoyens de leurs pays".
// GNB "The citizens of the country or the foreigners?"
Sens peu probable:
- ce serait le seul endroit où les citoyens d’un roi de la terre (donc pas d’Israël) sont appelés ses "enfants"
- les rois perçoivent bien l’impôt de leurs "enfants" dans ce cas (c’est-à-dire de leurs sujets), autant que des étrangers (après les avoir conquis, par ex.: c’est le tribut des soumis, une constante de l’Orient Ancien; et même dans les pays islamisés de force: c’est la capitation)
- la pointe de l’argument est donc perdue
Noter toutefois que selon HBC, les citoyens romains étaient exemptés de l’impôt: seuls les peuples soumis payaient des taxes à Rome. Point d’histoire à vérifier.
Ce n’est pas ce que dit en tout cas cet article détaillé:
Ni celui-ci:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Finances_publiques_sous_la_R%C3%A9publique_romaine
Ici, on lit:
"même s'ils ne payent plus l'impôt sur la fortune et la propriété (tributum), ils [les citoyens] doivent payer un impôt sur les successions;"
Et ici:
"Être citoyen romain, c'est également avoir des obligations:
- devoir fiscal. Le citoyen romain ne paye pas le tributum (l'impôt proportionnel à la fortune sur les terres et sur les biens), mais il doit s'acquitter d'autres impôts, notamment les 5 % sur les successions."
http://yann.lamezec.pagesperso-orange.fr/EPsecondecitrome.htm
Je ne vais pas passer plus de temps sur ce point d’histoire.
D’autant plus que Jésus parle des "rois de la terre" en général, pas spécialement de l’empereur.
Peut-être même pense-t-il aux rois d’Israël, dont certains ont écrasé leurs concitoyens d’impôts et de travaux.
Cf. 1 R 12:10 "ton père a rendu notre joug pesant" (Salomon).
Ce que veut dire Jésus, c’est donc plutôt: les fils d’un roi – des princes – ne paient pas d’impôt à leur père roi.
(l’image est celle des vieilles monarchies, pas de nos républiques!)
Mais cela n’a rien à voir avec les "vrais" impôts (et les facéties sur les impôts), qu’ils soient dus à Rome ou à Jérusalem.
Il faut rendre l’impôt à qui il est dû, sans rapport aucun avec le fait d’être à Christ ou pas ("Rendez à tous ce qui leur est dû: l'impôt à qui vous devez l'impôt…" Ro 13).
Il faut lire ces paroles sur d’autres niveaux, par quoi Jésus veut en fait dire (et apprendre à son disciple) deux ou trois choses d’un autre ordre:
- l’impôt pour le Temple n’est plus dû dans un Royaume sans Temple
Il est peu probable que Pierre ait pu concevoir sur le moment un tel royaume; ce ne sera plus le cas quelques années plus tard: cf. 1 Pi 2:9 "Mais c’est vous qui êtes un sacerdoce royal", c’est-à-dire une communauté sacerdotale, les sacrificateurs du roi, paroles que Pierre adressait à la diaspora, qui vivait sans Temple.
["sacerdoce" fait partie du jargon religieux naturel dont on ne sait plus trop le sens – cf. la rubrique (à venir) "Jargons chrétiens et religieux" sur Papyrus87]
L’idée avait pourtant déjà surgi dès Ac 7:48: "le Très-Haut n'habite pas dans ce qui est fait de main d'homme".
Ce n’est pas tant que l’antique ordonnance mosaïque (Ex 30, le don pour le "rachat de sa personne") tombe: c’est le Temple qui va tomber, et il est pour ainsi dire déjà tombé quand Jésus parle!
(cf. "il ne restera pas ici pierre sur pierre" Mt 24)
- l’offrande annuelle pour le rachat de la personne et servant de souvenir devant l’Éternel (Ex 30) était devenue comme une taxe profane, avec ses percepteurs et leurs tournées, au bénéfice des "rois du temple" et d’un système religieux tournant sur lui-même et se paissant lui-même.
Cf. l’offrande sainte (aux yeux de Dieu) de la pauvre veuve dans le tronc des riches et de leur remarquables constructions (Mt 24:1) en sursis.
- Jésus, par sa question qui devance Pierre avant qu’il ne lui rapporte la question des percepteurs, assimile ceux qui attendent à la porte avec la bourse à des envoyés de "rois de la terre"!
- Jésus rebondit sur une chose injuste (que les fils des rois soient exemptés des obligations du commun) pour affirmer un chose juste: les disciples sont des fils du Royaume; pas des étrangers mais gens de la maison. La relation avec le Seigneur n’est pas sur le mode de l’impôt (dans le registre de ce qu’on doit, et de tout ce dont on reste redevable, comme sait le dire Luther sans pareil), mais sur le mode du don (un enfant ne paie pas "d’impôt" à son père!).
- Jésus leur montre la voie de la concession: faire la démonstration à tout prix de sa liberté est une sorte de légalisme négatif (NIBC).
- On remarquera aussi que Jésus "paie l’impôt" pour lui et pour Pierre.
On peut se demander pourquoi Jésus n’a pas pris dans sa bourse et Pierre dans la sienne, ou dans la bourse commune du groupe.
Que ce statère n’ait en fin de compte "rien coûté" (mis à part l’effort d’une courte pêche par l’expérimenté pêcheur Pierre) pourrait signifier que cette monnaie-là n’a pas cours dans le Royaume.
27 "ouvre-lui la bouche"
Il était inévitable que des commentateurs cherchent à dé-miraculiser cette histoire qu’on s’attendrait plutôt à trouver dans les récits fantastiques d’un évangile apocryphe…
Comment dé-miraculiser ce miracle: voilà chose facile!
Exemples (tirés surtout de NIBC):
- c’est un ajout de folklore populaire
(cf. l’histoire de l’anneau de Polycrate)
- c’est à lire au figuré
Jésus dirait à Pierre d’aller pêcher pendant une journée, et de payer avec le fruit de la vente
- ce miracle est contraire au principe moral que Dieu ne fait pas à notre place ce que nous pouvons faire nous-mêmes
- et jamais Jésus n’a fait de miracle pour son propre avantage
- ce serait une sorte d’humour…
Après les paroles de Jésus, le texte ne dit pas que cela s’est effectivement produit: c’est le seul endroit où le lecteur doit déduire qu’un miracle s’est produit sans que ce soit rapporté dans le récit
- "pour ne pas les scandaliser"
On retrouvera cette même préoccupation chez Paul.
Il y a un temps pour ne pas scandaliser, et aussi un temps pour scandaliser.
Cf. Mt 18 juste après, qui fait suite à cette pensée.
40-Mt-17
Créé le 05/12/2013
Modifié le 21/06/2019