Manuscrits. Écritures. Lectures.

Traduire inclusif ?

10/11/2017
Faut-il traduire la Bible dans une langue inclusive ?

L’introduction d’une langue inclusive dans un manuel scolaire a récemment provoqué quelques remous. Microsoft de son côté a publié un correcteur orthographique inclusif pour son omniprésent Word, introduisant ainsi le "logiciellement correct".

L’Académie française s’est irritée de cette démarche d’écriture inclusive, réaction jugée par d’autres comme puriste et purement idéologique, et comme la riposte réflexe d’élites masculines inquiètes pour leur pouvoir.


Écrire inclusif – "épicène" –, c’est utiliser des termes neutres, non sexistes ou non connotés partout où jusqu’ici le "masculin l’emporte", utiliser le "point milieu" dans une sorte de Morse littéraire (les candidat·e·s, les Parisien.ne.s), et féminiser autant de noms de métiers et de fonctions qu’il est possible (auteur / auteure, écrivain / écrivaine, chef / cheffe, pasteur / pasteure, etc.)

J’ai même entendu ce soir "PDGère" (dont je devine l’orthographe).


Noter que le français garde quelques ruses en réserve : par exemple, rabbine se dit pour la femme du rabbin, tandis que pour une femme qui est rabbin, on dira… "femme rabbin".

Mais comme il n’y en a que trois en France…


Et pour prêtre, si jamais la ligne changeait un jour (?), on peut gager qu’on ne dirait pas non plus prêtresse (assez connoté cultes païens), mais femme prêtre.

Nous verrons bien...


Par ailleurs, il faut dire qu’avec les dernières consignes de réforme de l’orthographe (cf. le fameux nénufar au lieu de nénuphar), on plaindra les pédagogues, qui ont bien des soucis avec cette langue française secouée comme un arbre dont on voudrait faire tomber les vieilles feuilles qui s’accrochent.


Bref, c’est la guerre !

Et on ne sait pas bien pourquoi elle a éclaté en ce moment.


Tout ce qui touche à la langue touche au cœur, à la nation, au patrimoine, à "ce qui est", c’est de la poudre, et les passions s’emportent vite.

Tout cela est passionnant (la passion, encore…) et nous suivrons cette affaire. Nous verrons bien comment Mme La Langue Française, cette vieille dame qui en a vu d’autres, réconciliera les extrêmes des impatient.e.s (de la passio, encore), et comment nous écrirons dans quelques (dizaines ?) d’années ce latin déformé (le compliment n’est pas de moi, je l’ai entendu à la radio ces jours-ci, de je ne sais pas qui : je ne peux donc pas lui intenter de procès).


Ces quelques clins d’œil pour introduire en douceur un sujet d’intérêt pour ce blog : le langage inclusif en matière de traduction biblique.


A paru en 2009 une version anglaise de Bible qui s’affichait inclusive dès le titre :

The Inclusive Bible

https://www.amazon.com/Inclusive-Bible-First-Egalitarian-Translation/dp/1580512135


L’objectif affiché de cette théorie d’une traduction biblique renouvelée est de substituer à des termes (noms, pronoms, participes, etc.) jugés discriminatoires et inutilement au masculin, un neutre généralisé qu’on ne puise soupçonner de sexisme, afin que les stéréotypes de genre ne biaisent pas la lecture et la compréhension.

Sans analyser le dossier à fond (je n’en ai pas les compétences, sauf ma sensibilité de lecteur – cf. les liens en fin d’article pour quelques portes d’entrée dans le sujet), je regarderai quelques exemples d’intérêt du texte biblique où une telle traduction inclusive peut s’exercer (et buter le plus souvent).


Les versions anglaises bien connues NIV (New International Version) et GNB (Good News Bible) ont aussi eu droit à des révisions inclusives.

En français, on discerne aussi des détails de traduction en ce sens dans la NBS (Nouvelle Bible Segond) de 2002. Par ex. :


"Jésus dit à Simon : N'aie pas peur ; désormais ce sont des êtres humains que tu prendras." Luc 5:10.

"Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, et, sur la terre, paix parmi les humains en qui il prend plaisir !" Luc 2:14.


Sans doute parce que nos oreilles n’y sont pas encore habituées, il y a une impression de lourdeur dans cette façon de dire.


Pour ce dernier verset, voici comment trois autres versions courantes ont géré ce masculin pluriel générique (ἐν ἀνθρώποις en anthrôpois) :


Bible en français courant : "paix sur la terre pour ceux qu'il aime !"

Bible À la Colombe : "paix sur la terre parmi les hommes qu'il agrée !"

TOB (2010) : "sur la terre paix pour ses bien-aimés."


Un rapide coup d’œil ailleurs, et je vois que pour "l’homme intérieur" (ὁ ἔσω ἄνθρωπος ho esô anthrôpos) dont le sens d’ "être intérieur" semble évident pour tous, sans connotation de genre aucune, conviendrait partout, et ne soulèverait le soupçon de personne même chez les plus conservateurs, NBS traduit :


- en Romains 7:22 "Car, pour ce qui est de l'homme que je suis intérieurement [κατὰ τὸν ἔσω ἄνθρωπον kata ton esô anthrôpon], je prends plaisir à la loi de Dieu"


- et en Éphésiens 3:16 "afin qu'il vous donne, selon la richesse de sa gloire, d'être rendus forts et puissants par son Esprit, au profit de l'homme intérieur [εἰς τὸν ἔσω ἄνθρωπον eis ton esô anthrôpon]"


Dans le premier cas, on peut penser que Paul, se prenant en exemple dans sa réflexion, même s’il parle pour tous, parle pour lui-même premièrement, en tant qu’homme donc. On conçoit qu’il puisse dire ici "l’homme intérieur (que je suis)".

Dans le second cas, par contre, il s’adresse bien à tous, hommes et femmes, et ici "l’homme intérieur", si l’on veut être inclusif, ne l’est pas vraiment.


Les principaux points critiques qu’on voit cités sur en général sur le sujet pour une traduction qui se veut inclusive sont :


- la traduction de ἀδελφός adelphos "frère(s)"

- la traduction de ἄνθρωπος anthrôpos "homme(s)"

- la traduction des pronoms au masculin (quand ils concernent manifestement hommes et femmes)


Mais il est clair que tout le langage biblique est tissé – noir sur blanc pourrait-on dire – dans une langue toute entière non inclusive, tant dans l’Ancien Testament que dans le Nouveau Testament, et dont les marques se nichent à chaque coin de phrase.


Et il faudrait se livrer à une monumentale réécriture du texte de bout en bout pour idéalement aboutir à une "Bible inclusive".

Je ne vois guère comment pareille entreprise pourrait aboutir.


Il restera des points irréductibles, dont on fera perdre la pointe et la force, à vouloir à chaque fois laborieusement repréciser la portée pour les femmes comme pour les hommes.

Sans parler de cas épineux, par exemple :


- Hébreux 2:11, 12, 17 ("frères", trois fois, dont une fois dans la bouche du Fils)

D’ailleurs le texte est inclusif de lui-même, car au v. 13, il dit "moi et les enfants que Dieu m'a donnés", qu’il ne nous viendrait pas à l’idée de considérer connoté de genre.


- "le fils de l’homme" (dans le Nouveau Testament, uniquement dans la bouche de Jésus pour parler de lui-même, sauf en Actes 7:56 et Hébreux 2:6)

Assurément une expression à laisser telle quelle.


- "sans compter les femmes et les enfants" (dans les deux multiplications des pains, chez Matthieu seul : 14:21 et 15:38)

Une expression (et une mentalité !) explicite, certainement irréductible. Et les endroits où les femmes et les enfants ne sont pas comptés ne se limitent pas à ces deux-là, loin de là.

Par exemple :


- "Les enfants d'Israël partirent de Ramsès pour Succoth au nombre d'environ six cent mille hommes de pied, sans les enfants." (Exode 12:37)

Les enfants sont exclus du compte (et donc d’une certaine manière pris en compte néanmoins), mais les femmes ne sont même pas envisagées.


Et en Exode 38:26, le dénombrement ne prend explicitement en compte que les hommes ("pour chaque homme compris dans le dénombrement, depuis l'âge de vingt ans et au-dessus, soit pour six cent trois mille cinq cent cinquante hommes").

Et dans Nombres 1, les tribus sont dénombrées en ne comptant que les fils et les hommes, comment on pouvait s’y attendre.

Bien sûr on pourrait objecter qu’il s’agit de dénombrer des hommes en état de prendre les armes. Sauf que le contexte est purement cultuel : le paiement d’un demi-sicle par tête pour la construction du Tabernacle.


- dans les Actes, on trouve de très nombreuses fois l’expression "Hommes frères", même lorsqu’il est clair que celui qui parle s’adresse à une assistance mixte :


 Actes 1:16 ("Hommes frères, il fallait que s'accomplisse ce que le Saint-Esprit, dans l'Écriture, a annoncé d'avance"), alors que Pierre s’adresse aux cent-vingt, qui comptaient bien aussi des femmes, dont la mère de Jésus (v. 14 "avec les femmes, et Marie, mère de Jésus").


 idem en Actes 2:29, Pierre s’adresse uniquement aux hommes ("Hommes frères" ; v. 14 "Hommes juifs" ; v. 5 "il y avait en séjour à Jérusalem des Juifs, hommes pieux, de toutes les nations qui sont sous le ciel").

Il est peu probable qu’il n’y ait eu que des pèlerins hommes venus de l’étranger. En tout cas, nous savons parfaitement que dans le pays même, les familles – hommes, femmes et enfants – montaient à Jérusalem pour les fêtes de pèlerinage (Luc 2:41 "Les parents de Jésus allaient chaque année à Jérusalem, à la fête de Pâque").

Et ici Pierre, tout en étant clairement exclusif dans son langage, ne pourra pas l’être dans sa théologie, car il cite des paroles prophétiques qui, elles, sont bel et bien inclusives depuis longtemps :

"Vos fils et vos filles prophétiseront… Oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes, dans ces jours-là, je répandrai de mon Esprit; et ils prophétiseront." (Actes 2:17, 18).

Toujours en lien avec Pierre, dans les Actes encore, deux cas parallèles à noter : Actes 2:41 et Actes 4:4 :


- en Actes 2:41


"le nombre des disciples augmenta d’environ trois mille âmes" (NEG)

καὶ προσετέθησαν ἐν τῇ ἡμέρᾳ ἐκείνῃ ψυχαὶ ὡσεὶ τρισχίλιαι

kai prosetethesan en tê êmera ekeinê psuchai trischiliai


La version À la Colombe suit le texte de plus près :"et en ce jour-là, furent ajoutées environ trois mille âmes." (il n’y a pas "disciples" dans le texte)


- en Actes 4:4


"et le nombre des hommes s'éleva à environ cinq mille." (NEG, NBS)

καὶ ἐγενήθη ὁ ἀριθμὸς τῶν ἀνδρῶν ὡς χιλιάδες πέντε

kai egenêthê ho arithmos tôn andrôn ôs chiliades pente


que la BFC rend ainsi :


"le nombre des croyants s'éleva à cinq mille personnes environ"


bien que tôn andrôn (de ἀνἠρ) signifie normalement homme au sens mâle (mari).

Il est possible (mais c’est controversé) qu’ici ce soit un emploi générique. Le vieux dictionnaire de THAYER indique qu’il peut être utilisé


"lorsque des personnes des deux sexes sont inclues, mais sont désignées d’après les plus importantes"


On trouverait un emploi générique similaire en Matthieu 14:35 :


"Les gens de cet endroit [οἱ ἄνδρες τοῦ τόπου hoi andres tou topou] le reconnurent, firent prévenir toute la région, et on lui amena tous les malades." (TOB)


Et peut-être aussi en Luc 11:31 ("les hommes de cette génération") et Jacques 1:20 ("ô homme vain").

Il est donc possible que dans les deux cas (Actes 2 et Actes 4), Luc écrive "hommes" mais pense "âmes, personnes" pour les deux mots, et plusieurs versions avaient déjà traduit en langage inclusif avant l’heure, sentant qu’en conservant "hommes", quelque chose gênait.

À moins que ce ne soit au contraire bien un emploi au sens d’hommes (mâles, par opposition à femmes, et aussi à enfants) qu’il faille bien lire dans les deux cas ?

En effet, contrairement à THAYER (de 1885), le dictionnaire de BAUER (BAGD de 1979, en un volume) liste Actes 4:4 avec les emplois de anêr au sens habituel d’homme par opposition à femme ("in contrast to woman), avec aussi les cas de Actes 8:3 (v. 2 "des homme [andres] pieux ensevelirent Étienne… il en arrachait hommes et femmes [andras kai gunaikas]" et 8 :12 ("hommes et femmes [andres te kai gunaikes] se firent baptiser").

Batailles de dictionnaires...

Où l’on voit aussi que lorsque l’auteur veut être inclusif, il l’est expressément.


En tout cas, quelle que soit l’exégèse correcte, il est clair que cela est couché dans un langage spontanément mâle dans les deux cas.


Sans parler du fait qu’il est assez difficile d’estimer une foule puis d’en soustraire les femmes pour donner un chiffre, dans les cas où malgré tout c’est expressément indiqué que c’est le cas (cf. plus haut), il faudrait, en plus de modifier le texte en introduisant des expressions inclusives, corriger aussi les chiffres !


On trouve même dans les Actes l’expression doublement masculine "Hommes frères et pères" :


en Actes 7:2, Étienne devant le sanhédrin assurément s’adresse bien à des hommes uniquement 

mais en Actes 22:1, Paul s’adresse à la foule du peuple en tumulte


Ou encore l’expression "Hommes israélites", tantôt pour un auditoire assurément mâle (Actes 5:35, Gamaliel s’adressant au sanhédrin), tantôt pour des auditoires probablement mixtes (Actes 2::2 ; 3:12 ; 13:16 ; 21:28).


Pratiquement, non seulement dans la lecture, mais aussi dans la prédication, faut-il vraiment sans cesse fastidieusement repréciser "frères et sœurs" chaque fois qu’on lira "frères" ?

D’où l’idée de "traduire" carrément ἀδελφοί adelphoi par "frères et sœurs" ?


Pour aller dans des textes qui sont aux prises eux-mêmes avec la question, on ne peut ne pas penser au cas des filles de Tselophchad (lire Nombres 27:1-11).

On assiste là à une étrange mise au point. Il est clair que Moïse ne sait pas quoi faire, et que l’idée même de permettre la transmission de l’héritage du père mort sans laisser de fils lui est spontanément étrangère. Il consulte donc Dieu, qui lui répond : ‘Mais mon cher Moïse, bien entendu !’ ("Les filles de Tselophchad ont raison" v. 5). Suit alors un long amendement à la loi…


- je pourrais aussi citer le cas du père qui ne marie pas sa fille !

Ce passage (1 Corinthiens 7:36-38) est doublement problématique :


 pour des raisons purement exégétiques : comment interpréter "sa vierge" ?

 pour des raisons culturelles :

    - dans un cas ("sa vierge" = sa fille vierge), le passage est senti comme excessivement patriarcal

    - dans l’autre ("sa vierge" = sa fiancée vierge), il devient passablement embarrassant


En tout cas, d’exclusif dans le premier cas, il ne devient guère plus inclusif dans le second : en effet, il dirait : "Ainsi, celui qui épouse sa fiancée fait bien, mais celui qui y renonce fait mieux encore" (selon la Bible en français courant).

En somme, une invitation élevée à briser sa promesse !

Assurément, mieux vaut selon moi sans laisser au texte son côté patriarcal et exclusif (une fille mineure à toujours) – et l’interpréter – que de lui donner cette tournure sacrificielle.

D’ailleurs, ne dit-on pas aujourd’hui encore d’un père qu’il marie sa fille, quand bien même il n’aurait rien eu à dire sur la question ? Nous ne sommes pas à ce point esclaves du langage.

Il va sans dire que ce type de passage, excepté dans les commentaires savants, est systématiquement mis en sourdine.

Ici encore, ce n’est pas seulement le langage qui est exclusif, mais la réalité, inscrite dans le texte lui-même, et le texte du Nouveau Testament !

Et c’est bien avec des textes que certains s’aigrissent en chaire ou par écrit de la féminisation de la société en général, et de l’Église en particulier.


Je ne mentionne pas les innombrables autres exemples (beaucoup dans l’Ancien Testament, mais pas uniquement) où "le masculin prime", en matière de primogéniture, d’héritage, de mariage, de culte, de pureté, de vœux d’autorité, d’esclavage même, de valeur en soi pour tout dire !

Qu’on songe seulement que la femme est listée dans les deux décalogues (Exode 20 et Deutéronome 5) avec les maisons, les esclaves, les champs, les bœufs et les ânes !

(la seule différence dans le second est qu’elle passe au premier rang de l’énumération des objets de convoitise qui appartiennent au prochain)

Est-il besoin de dire que ces multiples textes – exclusifs à même le texte et le sens – ne pourront pas être rendus inclusifs par un simple acte de traduction, mais bien par un acte d’interprétation ?


Pour finir ces exemples en allant au cœur du message chrétien, regardons Jean 3:16 :


"Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, pour que quiconque met sa foi en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle" (NBS, Nouvelle Bible Segond)


Dans cette façon de rendre le texte, les masculins sont masqués par le pronom relatif indéfini "quiconque" (= toute personne), et il ne viendrait à l’idée de personne de le contester, et de voir là une discrimination !

Mais le texte, lui, est bien au masculin :


"Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle" (TOB)


Il n’y a donc strictement rien d’exclusif dans la traduction de la TOB, malgré ces trois formes au masculin ! (πᾶς ὁ πιστεύων pas ho pisteuôn "tout (homme) croyant").


Le problème ne se cache donc pas dans le langage, même s’il peut lui servir de véhicule.

Quel est donc le problème ? J’y viens.


Jusqu’ici, le lecteur se demande peut-être encore si je suis "pour" ou "contre" le langage inclusif (en général, et en matière de traduction biblique, en particulier).

Quitte à donner l’impression de changer de sujet, je voudrais prendre la question sous un autre angle, et mentionner une voie plus difficile, une porte plus étroite, une réforme plus large.


Tout d’abord, murmurer qu’il faudrait, une bonne fois pour toutes, admettre que la Bible est née dans un autre monde, et qu’il ne sera pas possible de faire l’économie du double mouvement : aller vers la Bible, revenir vers nous.

Admettre aussi dans la même enjambée que le texte de la Bible est irrémédiablement non-inclusif, et reflète une mentalité qui l’est.

Certes on pourra pointer les passages où les choses tendent à s’incliner à contre-courant, par exemple ceux qui montrent l’attention de Jésus pour les femmes, ou ceux qui dans les Épîtres les mentionnent et les honorent.

Mais les textes qui les oublient ne sont pas moins nombreux : qu’on songe que Paul même (en 1 Corinthiens 15:1-11) a "omis" de mentionner parmi les premiers témoins de la résurrection, le tout premier d’entre eux, Marie de Magdala !

(je sais bien que cette lettre a été écrite avant Jean 20…)


Rendre systématiquement (ou du moins partout où c’est possible) l"Écriture (plus) inclusive par la seule traduction est à mon avis une entreprise perdue d’avance. Les meilleurs experts ne pourront guère nous fournir qu’une Bible "rafistolée" ici et là tout au plus, en supprimant, en lissant, en "neutralisant" les passages où la prédominance du masculin aura été jugée scandaleuse, gênante, ou simplement inopportune ou superflue.


À moins de se contenter de quelques reprises ici et là, Il faudrait réécrire toute une autre Bible !

Sans parler de la légitimité linguistique même de cet acte littéraire en matière de traduction biblique – qu’est-ce que "traduire la Bible" ? – il me semble qu’il est voué à rester une réforme de surface, malgré le bruit qu’il suscite, avec peu de conséquences vraiment capables d’ébaucher de vraies réformes de mentalités.

Peut-être même pourrait-il contribuerait-il à les contenir : si en changeant un texte ici et là, tout est réglé, la chose est entendue, et on n’ira pas plus loin !


D’où une autre voie, plus coûteuse, plus ardue, difficile pour beaucoup, probablement impossible à certains.

Ce serait :

- de reconnaître définitivement le caractère situé des Écritures, nées, formées, constituées, transmises dans un monde entièrement différent du nôtre

- d’intégrer cette reconnaissance dans notre conception de la nature des Écritures et de leur inspiration, et de l’articuler avec notre notion de Parole de Dieu, et de Parole de Dieu pour nous et pour aujourd’hui

- d’assumer leurs aspects patriarcaux et genrés, en miroir de leur temps de constitution


et


- partant de là, et sans même avoir besoin de toucher à un seul pronom, se rendre capable d’une lecture, d’une interprétation, d’un commentaire, d’une mentalité, d’un langage, et d’une pratique inclusifs


Tâche plus ardue et plus délicate en fin de compte que des retouches de traduction par-ci par-là d’un texte mal senti.

Réforme plus difficile, d'un autre calibre, des esprits plus que de la langue, et qui risque d’être éconduite ou renvoyée à demain par beaucoup.

Si la modification inclusive – forcément réduite, fragmentaire et sporadique – du texte lui-même via la traduction risque d’être mal reçue (si elle est maladroite, lourde, ou excessive), aurait-t-elle vraiment chez ceux qui l’accepteront le potentiel d’être le vecteur ou le moteur d’une réforme des automatismes de pensée, de langage, et de théologie ?


C’est pourquoi l’option de laisser le texte strictement tel quel, mais de tenter de vraiment réformer par d’autres voies l’éducation, la lecture, l’interprétation bibliques et la théologie de façon à déplacer les injustes clichés – simplement hérités plus que venant du ciel, culturels, historiques, ou tout bonnement bien humains – qui ont besoin de l’être.


Mais à cette entreprise, tous ne seront sans doute pas disposés.

D’ailleurs le suis-je moi-même ?


FG

Novembre 2017



Pistes

Des enseignants refusent que «le masculin l’emporte sur le féminin» - Le Parisien. 8 novembre 2017.

http://m.leparisien.fr/societe/des-enseignants-refusent-que-le-masculin-l-emporte-sur-le-feminin-08-11-2017-7381113.php


Ecriture Inclusive : crible.” 2017. Libération.Fr. 5 novembre 2017. http://www.liberation.fr/france/2017/11/05/ecriture-inclusive-crible_1608041


Écriture Inclusive : les chrétiens sont-ils prêt.e.s ?”

http://www.lavie.fr//debats/chretiensendebats/ecriture-inclusive-les-chretiens-sont-ils-pret-e-s-20-10-2017-85612_431.php


Christianity Today. “Bible Translation Battles.” ChristianityToday.Com. Septembre 2011. http://www.christianitytoday.com/ct/2011/september/bible-translation-battles.html


La Croix. 2006. “La Bible en langage inclusif remporte un vif succès en Allemagne,” 7 Novembre 2006.

https://www.la-croix.com/Archives/2006-11-07/La-Bible-en-langage-inclusif-remporteun-vif-succes-en-Allemagne-_NP_-2006-11-07-276017


———. 2017a. “Faut-il généraliser l’écriture inclusive ?,” 4 octobre 4, 2017. Débats.

https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Faut-generaliser-lecriture-inclusive-2017-10-04-1200881956


———. 2017b. “VIDEO - Qu’est-ce que l’écriture « inclusive » ?,” 6 Octobre 2017.

https://www.la-croix.com/Famille/Education/VIDEO-Quest-lecriture-inclusive-2017-10-06-1200882526


———. 2017c. “L’Académie française met en garde contre l’écriture inclusive,” 27 octobre 2017, https://www.la-croix.com/France/LAcademie-francaise-met-garde-contre-lecriture-inclusive-2017-10-27-1200887671


Langage épicène.” 2017. Wikipédia.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Langage_%C3%A9pic%C3%A8ne


Le logiciel de traitement de texte Word se met à l’écriture Inclusive.” 10 octobre 2017. http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2017/10/27/32001-20171027ARTFIG00197-le-logiciel-de-traitement-de-texte-word-se-met-a-l-ecriture-inclusive.php


Microsoft Word promeut l’écriture Inclusive (et le politiquement correct).” 2017. Presse-Citron (blog). 30 octobre 2017.

https://www.presse-citron.net/microsoft-word-promeut-lecriture-inclusive-politiquement-correct/


L’écriture Inclusive touche l’accord sensible.” 2017. Libération.Fr. 5 novembre 2017. http://www.liberation.fr/france/2017/11/05/l-ecriture-inclusive-touche-l-accord-sensible_1608037


«Nous n'enseignerons plus que "le masculin l'emporte sur le féminin"» Slate.Fr. http://www.slate.fr/story/153492/manifeste-professeurs-professeures-enseignerons-plus-masculin-emporte-sur-le-feminin


Merritt, Jonathan. 2017. “Southern Baptists Embrace Gender-Inclusive Language in the Bible.” The Atlantic, June 11, 2017. https://www.theatlantic.com/politics/archive/2017/06/southern-baptists-embrace-gender-inclusive-language-in-the-bible/529935/


Roger, Geoffrey. “L’écriture inclusive, un « péril mortel », vraiment ?” The Conversation. Novembre 2017.

http://theconversation.com/lecriture-inclusive-un-peril-mortel-vraiment-86522


S.B.E.V. “Traductions récentes de la Bible en français”

https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/363.html


Shellnutt, Kate. 2017. “Gender Inclusivity Isn’t Liberal. It’s Biblical.” News & Reporting. http://www.christianitytoday.com/news/2017/june/gender-inclusive-bible-translation-csb-southern-baptists.html


Smietana, Bob. 2011. “SBC Pastors Denounce NIV.” ChristianityToday.Com. http://www.christianitytoday.com/ct/2011/august/genderdebate.html


Women Are Not Footnotes in God’s Story.” 2017. The Thinkings of Things (blog). April 26, 2017. https://thethinkingsofthings.com/2017/04/26/women-are-not-footnotes-in-gods-story/