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Matthieu 14:27, "C'est moi" ou "Je Suis" ?

                                                                                                                         version du 26/04/2018

Matthieu 14:27, Egô eimi : "C’est moi" ou "Je-Suis" ?


Mt 14:27 "Rassurez-vous, c’est moi, n’ayez pas peur !"

Ou "Courage ! C'est moi, n'ayez pas peur !" NBS, BFC.

Ou "Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur !" TOB.


- "c’est moi" ἐγώ εἰμι egô eimi

NIBC / MOUNCE me semble sur-interpréter ce simple egô eimi, en y voyant un élément numineux, semblable au "JE SUIS".

Alors que la NIV (à la base du NIBC) dit simplement :


Take courage! It is I. Don’t be afraid.”


MOUNCE commente :

Jesus responded immediately […] "I AM" (egô eimi), the living God is present.


La référence serait au "Je suis" d’Ex 3:14 et au "c’est moi" d’Es 43:10.

Selon moi, c’est peu probable.


En consultant diverses versions annotées d’origine diverse, ce semble être une tendance assez fréquente des traducteurs-commentateurs que de signaler pour cet egô eimi un sens plus élevé sous la surface du sens naturel dans le contexte, en général en introduisant la note par un : "litt. "je suis".


Il est notoire que le lecteur, s’il est parfois aidé ou éclairé, est plus souvent embarrassé, par ces "litt." en bas de page dont il ne sait trop que penser et que faire ni quel poids leur donner, et dont il risque de tirer de très mauvaises conclusions.

Une traduction "littérale" n’est pas une traduction, tout au plus une phase dans le processus de traduction (qu’on invite donc le lecteur à refaire) ; elle peut apporter par endroits un éclaircissement, mais on en fait trop souvent le vecteur d’un sens caché, latent, voire inouï, généralement absent du texte.

Le littéralisme passe facilement et à tort pour une plus grande fidélité au texte.

Il n’est que de fréquenter plusieurs langues pour être détrompé.

Mais voilà là une bien antique question !


Ainsi :

- la SEMEUR 2000 (Étude, évangélique)

Traduit "Rassurez-vous, leur dit-il, c’est moi,, n’ayez pas peur", et renvoie à sa note sur Mc 6:50, laquelle dit :

c’est moi : ou : je suis ; allusion à la façon dont Dieu lui-même se révèle dans l’A.T. (Ex 3.14 ; Es 43.10, 13 ; 51.12 ; cp. Jn 8.24, 28, 58).


- la TOB (2010)

Traduit "Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur !", sans note ni renvoi à Mc 6:50.

Mais en Mc 6:50, traduit de la même façon, il y a bien une note (d’un autre traducteur?), qui dit :

Litt. Je Suis, parole de révélation divine (Ex 3,14 ; Dt 32,39 ; Es 41,4 ; 43,10.13), que Jésus s’applique en Jn 8,24.28.58. Sans être aussi explicite, Mc comprend ce récit comme la manifestation de l’être secret de Jésus, Fils de Dieu ; d’où la recommandation habituelle dans les récits de révélations surnaturelles : n’ayez pas peur. […].


- la NBS (Étude, 2002, protestante-évangélique)

Traduit "C’est moi, n’ayez pas peur !" et annote :

C’est moi : la formule, naturelle en grec (cf. 26.22,25), pourrait aussi se traduire, dans d’autres contextes : je suis ou c’est moi qui suis (22.32 ; 24.5) ; cf. Jn 4.26 ; 8.24,28,58.


Pour Mc 6:50, la note est similaire.

Malgré son commentaire, NBS reconnaît en fait par là que dans ce contexte, la bonne traduction est celle qui est naturelle, c’est-à-dire le simple "C’est moi" !


Par contre :


- la NIV Study Bible (1985) : de façon inattendue, cette version évangélique aux notes abondantes s’abstient de tout commentaire en ce sens


- idem, la JÉRUSALEM (1973 / 1990) s’abstient – ici et en Mc 6:50 – de toute note sur un éventuel sens à deux niveaux



C’est une tendance courante de surcharger de sens ce "je suis", ainsi que d’autres "je suis" de Jésus ("Je suis" la porte, le bon berger, etc.).

Cela n’ajoute guère au sens, mais ajoute plus certainement à une "gêne linguistique".

On ne peut pas tirer d’une tournure idiomatique un sens qu’elle n’a pas d’ordinaire, à la faveur du passage dans une autre langue où cette tournure idiomatique, traduite littéralement, se charge de sens ou de connotations inattendues ou élevées mais en décalage.

C’est plus qu’une discordance de registre de langue : c’est un habit étranger.

BFC, NBS, COLOMBE, et TOB ont toutes un simple : "c’est moi".


Plus parlant, le cas de l’italien.

Par exemple, un Italien, qui frappe à la porte de son voisin, répondra "sono io" si on lui demande "Qui est-ce ?".

C’est-à-dire, simplement : "c’est moi", et certainement pas "Je suis", quand bien même ce serait un dieu voyageant incognito.

Pour dire "Je SUIS", s’il se prenait pour quelqu’un, il dirait avec emphase : "Io sono" ou quelque chose du genre, par exemple : "È l’Io-Sono" (c’est le Je-suis)….

Pour traduire la phrase אֶֽהְיֶה שְׁלָחַנִי אֲלֵיכֶֽם׃ehyeh shelaḥani alêkhem d’Ex 3:14, la nouvelle DIODATI (1991) et la nouvelle RIVEDUTA (1994) ont toutes deux :


"L'IO SONO mi ha mandato da voi"».

(Le JE SUIS m’a envoyé vers vous)


L’article ("Le JE SUIS") change tout et change la phrase en expression nominale.

La TILC développe en : "Il Dio che si chiama 'Io-Sono', mi ha mandato da voi."

(Le Dieu qui s’appelle ‘Je-Suis’ m’a envoyé vers vous)

Et la CEI (2008) use d’une graphie inhabituelle pour signaler une sens extraordinaire : "Io-Sono mi ha mandato da voi"

(Je-Suis m’a envoyé vers vous)


Selon moi, sans élément de contexte manifeste, il n’est guère justifié pour Mt 14:27 (et le parallèle Mc 6:50), de grever cette simple expression circonstancielle et naturelle d’un excès de sens : il faudra le trouver ailleurs.

Si quelque chose est dévoilé ici de l’identité de Jésus, c’est plutôt au v. 33, dans la bouche d’un Pierre bouleversé : "Tu es véritablement le Fils de Dieu".


Noter comment la LXX a rendu le "Je suis" inhabituel d’Ex 3:14 :


καὶ εἶπεν ὁ θεὸς πρὸς Μωυσῆν Ἐγώ εἰμι ὁ ὤν·

καὶ εἶπεν Οὕτως ἐρεῖς τοῖς υἱοῖς Ισραηλ Ὁ ὢν ἀπέσταλκέν με πρὸς ὑμᾶς.


Soit, la 1ère fois egô eimi ho ôn "je suis l’étant".

Et la seconde, ho ôn apestalken me "l’étant m’a envoyé".


Pour ce qui est d’Es 43:10, la LXX a bien là un emploi absolu de egô eimi, mais c’est parce qu’elle cherche à rendre littéralement l’hébreu, ce qui donne un style étrange. De plus, il faut lire les vv. 11 et 12 avec le v. 10, pour voir l’argumentaire divin : "Je suis" (v. 10) "l’Éternel" (v. 11), l’unique Dieu et seul sauveur, "c’est moi qui suis Dieu" (v. 12).


10 γένεσθέ μοι μάρτυρες, κἀγὼ μάρτυς, λέγει κύριος ὁ θεός, καὶ ὁ παῖς, ὃν ἐξελεξάμην, ἵνα γνῶτε καὶ πιστεύσητε καὶ συνῆτε ὅτι ἐγώ εἰμι, ἔμπροσθέν μου οὐκ ἐγένετο ἄλλος θεὸς καὶ μετ’ ἐμὲ οὐκ ἔσται·


11 ἐγὼ ὁ θεός, καὶ οὐκ ἔστιν πάρεξ ἐμοῦ σῴζων.


12 ἀνήγγειλα καὶ ἔσωσα, ὠνείδισα καὶ οὐκ ἦν ἐν ὑμῖν ἀλλότριος· ὑμεῖς ἐμοὶ μάρτυρες κἀγὼ μάρτυς, λέγει κύριος ὁ θεός.


Notes :

- on retrouve l’expression absolue ὅτι ἐγώ εἰμι du v. 10 en Jn 8:24, 28 et 13:19 (voir plus bas sur le sens et la traduction)

- au v. 12, la LXX néglige le dernier "c’est moi qui suis Dieu" וַֽאֲנִי־אֵֽל wa’anî-’el après le "dit l’Éternel" du TM


Noter que chez Osée (Os 1:9), il y a un emploi similaire, sous forme négative :

וְאָנֹכִי לֹֽא־ אֶהְיֶה לָכֶֽם׃ we’anokhî lo’-’ehyeh lakhem


que NEG traduit :

"Donne-lui le nom de Lo-Ammi; car vous n'êtes pas mon peuple, et je ne suis pas votre Dieu."

litt.

"car vous, vous n’êtes pas mon peuple,

et moi, je ne suis pas pour vous"


Traduit aussi "je ne suis / serai rien pour vous" (BFC / NBS), ou "je n’existe pas pour vous" (TOB).

Et traduit par la LXX : καὶ ἐγὼ οὔκ εἰμι ὑμῶν kai egô ouk eimi humôn (litt. "je ne suis plus de vous").



Dans tous ses emplois absolus, à de rares exceptions près dans un contexte de langage inhabituel, l’expression egô eimi signifie toujours "c’est moi", simplement.

Quelques emplois (dans Jean, pas dans Matthieu) semblent absolus, mais le contexte d’abord le permet, puis les "désabsolutise" rapidement. Même là, il n’est pas opportun d’injecter un excédent théologique.


Les textes (NEG)

Avec mes commentaires par endroits (en italiques)

Pour la discussion, distinguons donc :

- sens 1 → l’usage ordinaire : l’egô eimi de simple désignation, d’identité = "c’est moi"

- sens 2 → un exceptionnel usage sublime, employé de façon absolue et sans attribut : l’egô eimi d’essence = le "Je Suis" divin, le nom-personne comme en Ex 3

- sens 3 → l’usage intermédiaire (sens 1 connoté de sens 2)


Mt 26:22, 25 (sens 1)

chacun se mit à lui dire: Est-ce moi, Seigneur ?

Μήτι ἐγώ εἰμι, κύριε;


Judas, qui le livrait, prit la parole et dit: Est-ce moi, Rabbi ?

Μήτι ἐγώ εἰμι, ῥαββί;


Mc 13:6 (sens 1)

plusieurs viendront sous mon nom, disant : C'est moi.

c'est moi qui suis le Christ. (MARTIN)

λέγοντες ὅτι Ἐγώ εἰμι


// Lc 21:8, idem

plusieurs viendront en mon nom, disant : C'est moi

disant : c'est moi qui suis le Christ (MARTIN)

λέγοντες· Ἐγώ εἰμι


Il semble judicieux de sous-entendre "le Christ". Jésus dit explicitement que plusieurs viendront en son nom ou pour se faire passer pour lui.

Les deux textes sont un récit a posteriori, à l’adresse du lecteur d’après la résurrection, pour qui Jésus est bien le Christ.


Mc 14:61-62 (sens 1)

Es-tu le Christ, le Fils du Dieu béni ? 62 Jésus répondit : Je le suis.

NBS Jésus répondit : C'est moi.

BFC Oui, je le suis

Σὺ εἶ ὁ χριστὸς ὁ υἱὸς τοῦ εὐλογητοῦ; 62 ὁ δὲ Ἰησοῦς εἶπεν· Ἐγώ εἰμι


Même si ici Jésus se déclare Christ et Fils du Dieu béni (à la faveur des termes de la question du souverain sacrificateur), sa réponse est un simple "je le suis / oui, c’est moi".

Cf. le "c’est moi" ci-dessus.


Lc 22:67-70 (sens 1)

67 Ils dirent : Si tu es le Christ, dis-le nous. Jésus leur répondit : Si je vous le dis, vous ne le croirez pas ;

68 et, si je vous interroge, vous ne répondrez pas.

69 Désormais le Fils de l'homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu.

70 Tous dirent : Tu es donc le Fils de Dieu ? Et il leur répondit : Vous le dites, je le suis.

MARTIN vous le dites vous-mêmes que je le suis.

NBS C'est vous qui dites que je le suis.

BFC, COLOMBE Vous le dites, je le suis.

67 Εἰ σὺ εἶ ὁ χριστός, εἰπὸν ἡμῖν. εἶπεν δὲ αὐτοῖς· Ἐὰν ὑμῖν εἴπω οὐ μὴ πιστεύσητε·

68 ἐὰν δὲ ἐρωτήσω, οὐ μὴ ἀποκριθῆτε.

69 ἀπὸ τοῦ νῦν δὲ ἔσται ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου καθήμενος ἐκ δεξιῶν τῆς δυνάμεως τοῦ θεοῦ.

70 εἶπαν δὲ πάντες· Σὺ οὖν εἶ ὁ υἱὸς τοῦ θεοῦ; ὁ δὲ πρὸς αὐτοὺς ἔφη· Ὑμεῖς λέγετε ὅτι ἐγώ εἰμι.


Comme le cas précédent.


Lc 24:39 (sens 1)

Voyez mes mains et mes pieds, c'est bien moi ;

ἴδετε τὰς χεῖράς μου καὶ τοὺς πόδας μου ὅτι ἐγώ εἰμι αὐτός·


Comme en Mt 14:27, Jésus veut juste rassurer ses disciples épouvantés, qu’ici ils prennent pour un esprit (πνεῦμα pneuma).

Aux deux endroits, on retrouve des termes similaires (troublés, frayeur, peur, épouvante) décrivant la panique qui les empêchent de voir que c’est lui et pas un autre.



Dans Jean, nombreuses occurrences (les "je suis" souvent cités).

D’emploi particulier, celles ci-dessous. Sans surprise, c’est dans Jean qu’on trouvera le plus de sens 2 ou de sens 3.

Pour les "je suis" de Jean, le TH (Manuel du traducteur) en donne un classement en 3 sens (différent du mien). Voir plus bas, au paragraphe "Ce qu’ils en disent..."


Jn 4:26 (sens 1)

25 La femme lui dit: Je sais que le Messie doit venir (celui qu'on appelle Christ); quand il sera venu, il nous annoncera toutes choses. 26 Jésus lui dit: Je le suis, moi qui te parle.

λέγει αὐτῇ ὁ Ἰησοῦς· Ἐγώ εἰμι, ὁ λαλῶν σοι.


Jésus, répondant à cette femme, lui dit ouvertement qu’il est le Christ. Il ne lui dit pas qu’il est le Je-suis.


Jn 8:24 (sens 1, 2 ou 3…)

car si vous ne croyez pas ce que je suis, vous mourrez dans vos péchés.

(TOB Si, en effet, vous ne croyez pas que Je Suis, vous mourrez dans vos péchés.)

(NBS ; en effet, si vous ne croyez pas que, moi, je suis, vous mourrez dans vos péchés.)

ἐὰν γὰρ μὴ πιστεύσητε ὅτι ἐγώ εἰμι, ἀποθανεῖσθε ἐν ταῖς ἁμαρτίαις ὑμῶν


Jn 8:28 (sens 1, 2 ou 3...)

Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous connaîtrez ce que je suis

(TOB vous connaîtrez que Je Suis)

(NBS vous saurez que, moi, je suis)

(BFC vous reconnaîtrez que “je suis”)

τότε γνώσεσθε ὅτι ἐγώ εἰμι


L’un des rares endroits où egô eimi pourrait être investi de signification supérieure. Selon aussi la traduction qu’on donnera de ὅτι ("que / ce que").

Le contexte est tout entier centré sur l’identité de Jésus (v. 25 "Qui es-tu") et sa filiation ("le Père / mon Père"). Jésus lui-même d’ailleurs reproche aux contradicteurs de ne pas être dans le même registre de langage que lui (v. 43 "Pourquoi ne comprenez-vous pas mon langage ?").


// Jn 13:19 (sens 1, 2 ou 3...)

Dès à présent je vous le dis, avant que la chose arrive, afin que, lorsqu'elle arrivera, vous croyiez à ce que je suis.

(COLOMBE afin que, lorsqu'elle arrivera, vous croyiez que Moi, je suis.)

(TOB, NBS et BFC : comme ci-dessus)

ἵνα πιστεύσητε ὅταν γένηται ὅτι ἐγώ εἰμι.


Comme ci-dessus (hoti egô eimi).


Jn 8:58 (sens 2)

avant qu'Abraham fût, je suis

(NBS avant qu'Abraham vienne à l'existence, moi, je suis.)

(BFC avant qu'Abraham soit né, “je suis”)

(TOB avant qu’Abraham fût, Je Suis)

(COLOMBE qu'Abraham fût, moi, je suis)

πρὶν Ἀβραὰμ γενέσθαι ἐγὼ εἰμί (prin Abraam genesthai egô eimi)


Noter que ce n’est pas le même verbe "être" qui est employé pour Abraham (genesthai, omis d’ailleurs par D), ce que seules NBS et BFC cherchent à rendre. C’est donc bien autant une question "d’essence" que de chronologie.

Sans doute le seul endroit du NT où l’ d’essence est le plus évident.


Jn 9:9 (l’aveugle-né) (sens 1)

Les uns disaient : C'est lui. D'autres disaient : Non, mais il lui ressemble.

Et lui-même disait : C'est moi.

ἐκεῖνος ἔλεγεν ὅτι Ἐγώ εἰμι.


Où l’on voit clairement que le plus souvent, egô eimi est notre simple "c’est moi".


Jn 18:5, 6, 8 (sens1, éventuellement sens 3)

4 Jésus, sachant tout ce qui devait lui arriver, s'avança, et leur dit: Qui cherchez-vous ?

5 Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur dit : C'est moi. Et Judas, qui le livrait, était avec eux.

6 Lorsque Jésus leur eut dit : C'est moi, ils reculèrent et tombèrent par terre.

7 Il leur demanda de nouveau : Qui cherchez-vous? Et ils dirent: Jésus de Nazareth.

8 Jésus répondit : Je vous ai dit que c'est moi. Si donc c'est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci.

5 λέγει αὐτοῖς· Ἐγώ εἰμι.

6 ὡς οὖν εἶπεν αὐτοῖς· Ἐγώ εἰμι ...

8 ἀπεκρίθη Ἰησοῦς· Εἶπον ὑμῖν ὅτι ἐγώ εἰμι· εἰ οὖν ἐμὲ ζητεῖτε, ἄφετε τούτους ὑπάγειν·


Toutes les versions ci-dessus (NBS, BFC, COLOMBE, TOB) mettent un simple "c’est moi" partout.

La NR94 italienne dit "Io sono" aux vv. 5 et 6 mais, de manière assez peu conséquente, simplement "sono io" au v. 8 (commandé par la syntaxe, soit l’aveu indirect qu’il fallait peut-être mettre un simple "sono io" aux vv. 5 et 6 aussi !).

Ici Jésus se désigne à la cohorte et aux huissiers des Juifs comme celui qu’ils doivent arrêter, sans s’en prendre aux disciples ("ceux-ci").

Le plus probable selon moi est donc que ce "c’est moi" est le même que celui de l’aveugle-né de Jn 9:9.

Éventuellement, on peut y voir une connotation plus élevée, à cause du v. 6.



Dans les Actes, quelques emplois où Jésus est le sujet (dans les 3 récits de la conversion de Paul) :


Ac 9:5 (sens 1)

Et le Seigneur dit : Je suis Jésus que tu persécutes.

Ἐγώ εἰμι Ἰησοῦς ὃν σὺ διώκεις·


Ac 22:8, idem (sens 1)

Et il me dit : Je suis Jésus de Nazareth, que tu persécutes.

Ἐγώ εἰμι Ἰησοῦς ὁ Ναζωραῖος ὃν σὺ διώκεις.


Ac 26:15, idem (sens 1)

Et le Seigneur dit: Je suis Jésus que tu persécutes.

Ἐγώ εἰμι Ἰησοῦς ὃν σὺ διώκεις·


Un simple "je suis" de désignation dans les trois cas.



De même dans l’Apocalypse :


Ap 1:8 (sens 1)

Je suis l'alpha et l'oméga, dit le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était, et qui vient, le Tout Puissant.

Ἐγώ εἰμι τὸ Ἄλφα καὶ τὸ Ὦ, λέγει κύριος, ὁ θεός, ὁ ὢν καὶ ὁ ἦν καὶ ὁ ἐρχόμενος, ὁ παντοκράτωρ.


Noter ici la parenté avec la traduction d’Ex 3:14 par la LXX (cf. plus haut) :

Ἐγώ εἰμιὁ ὢν egô eimi … ho ôn "je suis l’étant / l’existant".

Dans cette façon de parler, egô eimi est simplement de sens 1, c’est l’attribut ho ôn (participe présent nominalisé) qui porte le sens sublime.


Ap 1:17-18 (sens 1)

Ne crains point !

18 Je suis le premier et le dernier, et le vivant. J'étais mort ; et voici, je suis vivant aux siècles des siècles.

Μὴ φοβοῦ· ἐγώ εἰμι ὁ πρῶτος καὶ ὁ ἔσχατος,

18 καὶ ὁ ζῶν — καὶ ἐγενόμην νεκρὸς καὶ ἰδοὺ ζῶν εἰμι εἰς τοὺς αἰῶνας τῶν αἰώνων


Noter ici la parenté avec Mt 14:27 :

Ne crains point, c’est moi le premier… // Rassurez-vous, c’est moi.

Dans les deux cas, Jésus veut rassurer (ici, le disciple tombé comme mort à ses pieds, là les disciples terrorisés comme par un fantôme).


Noter aussi la parenté syntaxique avec la LXX d’Ex 3:14

ἐγώ εἰμι … ὁ ζῶν egô eimi … ho zôn "le vivant"

//

Ἐγώ εἰμι ὁ ὤν <span style="font-weight:normal;">egô eimi ho ôn</span> "l’étant"


Ap 2:23 (sens 1)

je suis celui qui sonde les reins et les coeurs

ἐγώ εἰμι ὁ ἐραυνῶν νεφροὺς καὶ καρδίας


Ap 22:16 (sens 1)

je suis le rejeton et la postérité de David, l'étoile brillante du matin.

ἐγώ εἰμι ἡ ῥίζα καὶ τὸ γένος Δαυίδ, ὁ ἀστὴρ ὁ λαμπρός, ὁ πρωϊνός.


Aucun de ces emplois dans l’Apocalypse n’est absolu (sans attribut).



En conclusion, pour ce qui est de Mt 14:27, il n’est pas utile (selon moi) d’introduire dans cet egô eimi – ni dans la traduction, ni même dirais-je dans le commentaire – une surcharge théologique et philosophique abstraite, plus "grecque" et moderne que biblique, et que le récit ne peut guère porter.

Le Seigneur a juste dit "c’est moi" pour rassurer ses disciples effrayés qui le prenaient pour quelqu’un d’autre, un fantôme.

Ce à quoi Pierre répond alors : "Seigneur, si c’est toi, ordonne que j’aille vers toi sur les eaux" εἰ σὺ εἶ ei su ei …

Ici un emploi sublime est donc peu probable.

Certes, les disciples juste après se prosternent et l’adorent comme Fils de Dieu (v. 33, propre à Matthieu), mais à cause de ce qu’ils ont vu : Jésus marcher sur l’eau, Pierre y marcher aussi, et le vent cesser brusquement.


Ailleurs, les cas d’emploi sublime sont rares, et mis à part Jn 8:58, juste sous-jacents.

Même là où egô eimi est employé absolument, on pourrait traduire "c’est moi", en sous-entendant un attribut (le messie, ou celui qui devait venir), comme dans Mc 13:6 // Lc 21:8.

On rend service au texte, selon moi, en usant de réserve, et en ne le grevant pas de sur-interprétations qui dérangent le récit vers lesquelles il ne pointe pas de lui-même. C’est distraire du fond par la forme.

À l’inverse, en Jn 8:58, le langage inhabituel et exceptionnel en constitue le nœud à dessein.


Pour ce qui est de Jn 8:58, le verbe "être" est chargé comme il l’est en Jn 1:1 (Au commencement, la Parole était), et triplement, que ce soit en emploi absolu ou non :


Ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος, καὶ ὁ λόγος ἦν πρὸς τὸν θεόν, καὶ θεὸς ἦν ὁ λόγος.

Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. (CRAMPON)


Cela correspond au génie du quatrième évangile, au langage de Jean, et à la facture théologique particulière du livre dans son entier.


D’autre part, il faut replacer cet usage absolu de "je suis" dans son contexte : il s’agit d’un échange âpre entre Jésus et "les Juifs", dans lequel ils se scandalisent qu’il ait vu Abraham (alors que Jésus n’avait pas dit cela mais l’inverse : c’est Abraham qui avait vu son jour).

De ce point de vue, Jn 12:4 est un texte parallèle :


C'est ce que dit Ésaïe lorsqu'il vit sa gloire et qu'il parla de lui.


À la suite de quoi, Jésus déporte leur langage ordinaire ("tu n’as pas encore cinquante ans, et tu as vu Abraham !") sur un autre registre de temps : il disloque leur notion du temps et subvertit leur grammaire intérieure.

En effet, avant même qu’il soit question pour Abraham d’exister (πρὶν Ἀβραὰμ γενέσθαι prin Abraam genesthai – un infinitif), Jésus est.


Dans cet échange violent où les registres de langage se télescopent et alimentent le malentendu, on conçoit mieux le recours à des énoncés choc, et la force d’une expression inhabituelle. L’aspérité même de la réponse de Jésus (tant théologique que linguistique) est destinée à forcer la réflexion et la remise en question.

Il n’y a pas dans les autres emplois absolus de "je suis" – en tout cas pas avec cette intensité – cet accent sur le temps.


Noter qu’il y a des parallèles littéraires, dans cet évangile où le malentendu est omniprésent et sert de fond pédagogique, où le malentendu du dialogue est scellé dans un langage inaccoutumé qui le signale et qui en constitue le nœud.

Par exemple Jn 6:51-53. Comme ici, il y a :


a) une formule choc qui intrigue

b) suivie d’une question indignée de ceux qui ne comprennent pas

c) reprise par une seconde formule choc qui consomme le malentendu

(ou le résout, pour le lecteur)


Jn 8:56-57

Jn 6:51-53

a) Abraham, votre père, a tressailli de joie de ce qu'il verrait mon jour : il l'a vu, et il s'est réjoui.


b) Tu n'as pas encore cinquante ans, et tu as vu Abraham !


c) En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu'Abraham fût, je suis.

a) le pain que je donnerai, c'est ma chair, que je donnerai pour la vie du monde.


b) comment celui-ci nous peut-il donner sa chair à manger ?


c)En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez son sang, vous n'avez point la vie en vous-mêmes.


Ce qu’ils en disent…


TH pour Jean (B. M. Newman & E. A. Nida)

Le TH est destiné à orienter les traducteurs dans les choix exégétiques qu’ils devront faire avant de traduire.

Dans son traitement de Jn 4:26, le TH donne une vue d’ensemble des emplois de "je suis" lorsqu’il est prononcé par Jésus, qui sont au nombre de trois :


- il peut s’agir d’une simple déclaration d’identité, comme en Jn 4:26 ["le Messie… c’est moi qui te parle"] et 6:20 ["c’est moi, n’ayez pas peur" // Mt 14:27]

- le plus souvent, "je suis" est suivi d’un attribut au nominatif

- en quelques endroits, il est utilisé de manière absolue (8:24, 28, 58 ; 13:19)


Le TH estime qu’il faut lire ces passages dans la lignée de la Septante d’Ex 3:14, d’Es 43:25 et d’Es 51:12. Dans ces deux derniers textes, le second "je suis" est l’équivalent du nom divin :


Es 43:25

LXX ἐγώ εἰμι ἐγώ εἰμι ὁ ἐξαλείϕων τὰς ἀνομίας σου

GIGUET "C'est moi cependant, c'est moi qui efface tes transgressions"

Le TH interprète donc : "je suis ‘Je-suis’, qui efface tes transgressions"


Es 51:12

LXX ἐγώ εἰμι ἐγώ εἰμι ὁ παρακαλῶν σε·

GIGUET "C'est moi, c'est moi ton consolateur"

Le TH interprète donc encore  : "je suis ‘Je-suis’, qui te console"


Le TH ajoute que dans le judaïsme tardif, "je suis" est utilisé comme nom pour Dieu, et conclut que dans les passages où Jésus utilise "je suis" de manière absolue, il s’identifie lui-même à Dieu.


TH pour Mt 14:27 (B. M. Newman & Ph. C. Stine)

Pour Mt 14:7, le TH est un peu ambigu. Discutant la traduction "It is I" de la RSV et de la TEV, d’une part il admet, en se référant à l’évangile de Jean où l’expression est utilisée pour une révélation divine (Jn 6:35 ; 8:12, 58 ; 9:5 ; 10:9, 11 ; 11:25 ; 15:1), que ce pourrait aussi être le cas ici.

Mais d’autre part, il regrette que le niveau de langage élevé à la fois de RSV et de TEV – toutes deux disent "It is I" – n’aide en rien le lecteur pour déterminer si l’intention de l’auteur est bien de suggérer une révélation divine, et risque d’attirer l’attention davantage sur la forme que sur le contenu. Il recommande ensuite l’expression plus familière de la Bible en allemand courant ["Ich bin's, fürchtet euch nicht!"], dont l’équivalent anglais est l’expression courante "It’s me".



Ὅτι / ὅ τι ("que" / "ce que")


La traduction de ὅτι ἐγώ εἰμι en emploi absolu

Cas significatifs :

- Mc 13:6

- Lc 22:70

- Jn 9:9 ; 18:8

- Jn 8:24, 28 ; 13:19


(textes de base : Segônd / NEG et SBLGNT)


- Mc 1:6

πολλοὶ ἐλεύσονται ἐπὶ τῷ ὀνόματί μου λέγοντες ὅτι Ἐγώ εἰμι

Car plusieurs viendront sous mon nom, disant : C'est moi.


- Lc 22:70

Tous dirent : Tu es donc le Fils de Dieu ? Et il leur répondit :Vous le dites, je le suis.

Σὺ οὖν εἶ ὁ υἱὸς τοῦ θεοῦ; ὁ δὲ πρὸς αὐτοὺς ἔφη· Ὑμεῖς λέγετε ὅτι ἐγώ εἰμι.


- Jn 9:9

Et lui-même [l’aveugle de naissance] disait : C'est moi.

ἐκεῖνος ἔλεγεν ὅτι Ἐγώ εἰμι


- Jn 18:8

Jésus répondit : Je vous ai dit que c'est moi.

Εἶπον ὑμῖν ὅτι ἐγώ εἰμι


- Jn 8:24

si vous ne croyez pas ce que je suis, vous mourrez dans vos péchés.

ἐὰν γὰρ μὴ πιστεύσητε ὅτι ἐγώ εἰμι, ἀποθανεῖσθε ἐν ταῖς ἁμαρτίαις ὑμῶν


TOB Si, en effet, vous ne croyez pas que Je Suis, vous mourrez dans vos péchés.

CRAMPON que je suis le Messie

MARTIN que je suis l'envoyé de Dieu


- Jn 8:28

Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous connaîtrez ce que je suis

Ὅταν ὑψώσητε τὸν υἱὸν τοῦ ἀνθρώπου, τότε γνώσεσθε ὅτι ἐγώ εἰμι


TOB Lorsque vous aurez élevé le Fils de l’homme, vous connaîtrez que Je Suis et que je ne fais rien de moi-même

CRAMPON alors vous connaîtrez qui je suis

MARTIN que je suis l'envoyé de Dieu


- Jn 13:19

Dès à présent je vous le dis, avant que la chose arrive, afin que, lorsqu'elle arrivera, vous croyiez à ce que je suis.

ἀπʼ ἄρτι λέγω ὑμῖν πρὸ τοῦ γενέσθαι, ἵνα πιστεύσητε ὅταν γένηται ὅτι ἐγώ εἰμι.


TOB Je vous le dis à présent, avant que l’événement n’arrive, afin que, lorsqu’il arrivera, vous croyiez que Je Suis

CRAMPON vous reconnaissiez qui je suis.

MARTIN vous croyiez que c'est moi que le Père a envoyé.


On voit donc que les versions divergent sur la façon de rendre ὅτι, à supposer d’ailleurs qu’on puisse distinguer ὅτι de ὅ τι dans les manuscrits. Dans les plus anciens (les onciaux), ce n’est guère possible, vu qu’il n’y a pas d’espace entre les mots (voir plus bas à propos de Jn 8:25).

Mis à part les cas de Jn 8:24, 28 et Jn 13:19, les autres ne présentent pas de difficulté ou d’ambiguïté.

Pour Jn 8:24, 28 et 13:19, on peut à chaque fois lire ὅ τι ("ce que") au lieu de ὅτι ("que") et éviter l’inattendu "Je-suis" divin. C’est le choix de NEG.

Ou bien alors, sous-entendre un attribut naturel dans le dialogue, comme CRAMPON et MARTIN.

Bien entendu, cela se discute (voir le choix de TOB), et il subsistera une hésitation. Autant dans ce cas privilégier le rendu le plus simple et le sens le plus naturel.

À la limite, ou pourrait admettre qu’il y aurait une ambiguïté volontaire, et un sens suggéré, à deux niveaux dans l’esprit même de l’auteur.

Mais c’est là investir un simple élément de grammaire de beaucoup de charge théologique !

Sans doute convient-il d’appuyer la divinité de Jésus, son éternel "être", sur des étais plus solides.



Les occurrences de ὅ τι ("ce que")

En se restreignant aux évangiles, en voici la liste, exhaustive sauf erreur :


Mc 6:23 "ce que tu demanderas"

Lc 10:35 "ce que tu dépenseras de plus"

Jn 2:5 "ce qu’il vous dira, faites-le"

Jn 8:25 "ce que je vous dis dès le commencement"

Jn 14:13 "ce que vous demanderez en mon nom"

Jn 15:16 "ce que vous demanderez au Père en mon nom"


On voit la prédominance de cet emploi chez Jean.


Le cas particulier et significatif de Jn 8:25

Juste après l’emploi de hoti egô eimi de Jn 8:24, vient un emploi de ho ti, les deux tournant autour de la question de l’identité de Jésus : "Qui es-tu ?".


Pour Jn 8:25, la SEGOND (1910) traduit :

"si vous ne croyez pas ce que je suis, vous mourrez dans vos péchés".


La révision de la NEG (1979) conserve le même texte, mais ajoute en note :

"Ce que je suis, litt. je suis, allusion au nom même de Dieu ; cp. Ex 3:14 ; Hé 13:8"


Le lecteur peut se demander quelle est en fin de compte la bonne traduction !

De plus, la note est mal rédigée : le choix signalé au lecteur n’est pas entre "ce que je suis" et (littéralement) "je suis", mais entre "ce que je suis" et (littéralement) "que je suis".


Les témoins du texte de Jn 8:25 sont divisés entre :

- ceux qui ont ὅ τι ho ti "ce que" (le pronom relatif neutre)

- ceux qui ont ὅτι hoti "que" (la conjonction)

- ceux pour qui on ne peut pas déterminer s’il y a ho ti ou bien hoti


Le TC termine sa discussion en choisissant la leçon ὅ τι ho ti "que" avec la note "B" (= un certain degré de doute).

Mais plus que la conclusion (on ne saura jamais finalement quel était le texte au bout de la plume de Jean), c’est la discussion du cas elle-même qui est instructive.

Je la traduis ci-dessous dans son entier :


Comme les plus anciens manuscrits grecs n’ont pas de ponctuation et sont écrits sans division entre les mots, il est possible d’interpréter Τὴν ἀρχὴν … ὑμῖν [Tên archên … humin] de plusieurs manières :

1. Comme une question, avec ὅτι [hoti] = pourquoi ? ("Pourquoi donc est-ce que je parle avec vous ?").


2. Comme une exclamation, avec ὅ τι [ho ti] au sens de l’hébreu מָה [mah] ("That I speak to you at all") [sens exact ?].


3. Comme une affirmation, avec ὅ τι [ho ti] et ἐγώ εἰμι [egô eimi] sous-entendu ("[Je suis] depuis le commencement ce que je vous dis" ou "Précisément [je suis] ce que je vous dis" ou "[Je suis] ce que je vous ai dit depuis le commencement").


Plusieurs témoins latins (et la version gothique), en se méprenant sur le sens du grec, traduisent Principium, qui et loquor vobis ("[Je suis] le Commencement, moi qui vous parle"). La version éthiopienne omet ὅτι [hoti] ("[Je suis] le Commencement, et je vous l’ai dit"). Le Papyrus Bodmer II (Papyrus 66) a lu, selon une correction dans la marge qui peut provenir du scribe original, Εἶπεν αὐτοῖς ὁ Ἰησοῦς, Εἶπον ὑμῖν τὴν ἀρχὴν ὃ τι καἱ λαλῶ ὑμῖν [Eipen autois ho Iêsous, Eipon humin tên archên, ho ti kai lalô humin] ("Jésus leur dit, Je vous ai dit depuis le commencement ce qu’aussi je suis en train de vous dire").


À la lecture de l’histoire du texte dans le TC, on s’aperçoit qu’en réalité les traducteurs modernes ont les mêmes problèmes que les scribes anciens, dont ils répliquent la démarche, et parfois aussi la propension à sur-théologiser de simples éléments de dialogue.



Seconde conclusion

Je conclus donc à nouveau, à partir de ces éléments supplémentaires, qu’il est préférable de donner la priorité au sens le plus simple, le plus naturel, et le plus familier à egô eimi et à hoti / ho ti egô eimi.

Le seul endroit où le contexte légitime franchement une traduction en un sens sublime est Jn 8:58, sans que ce soit d’ailleurs forcément une forme de nom divin comme en Ex 3:14.

Partout ailleurs, c’est le simple "c’est moi", éventuellement avec un prédicat sous-entendu.

Lorsque l’attribut est exprimé (avant ou après), il est inutile de chercher plus loin et de charger le "je suis" d’un sens non ordinaire.

La "retenue théologique" dans la traduction (et même dans le commentaire) rend davantage service à la théologie de la divinité de Christ – qui sera mieux servie par d’autres textes – qu’une traduction forcée et peu naturelle, qui attire l’attention sur la forme au détriment du contenu.

Du moins, il me semble.


FG

Avril 2018


Sources et abréviations

(en cours)