mise en ligne le 21/12/2019
Le dernier chapitre de l’évangile de Luc est le chef-d’œuvre d’un maître narrateur.
À y regarder de près, on y trouve un triple récit, suivi d’une triple instruction sur les souffrances de Christ, sa résurrection et sa gloire, le tout couronné par le bref récit de l’ascension.
I. versets 1 à 12 | II. versets 13 à 35 | III. versets 36 à 49 |
Apparition de deux anges à un groupe de femmes à l’extérieur de Jérusalem Il faut que le Fils de l'homme soit livré entre les mains des pécheurs qu'il soit crucifié et qu'il ressuscite le troisième jour (v. 7) | Apparition de Jésus à deux disciples entre Jérusalem et Emmaüs Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu’il entrât dans sa gloire ? (v. 26) | Apparition de Jésus aux Onze et à leurs compagnons à Jérusalem. Il fallait que s'accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes… que le Christ souffrirait, qu'il ressusciterait d'entre les morts le troisième jour. (vv. 44, 46) |
Après le premier épisode, nous sommes restés sur l’impression négative du triste accueil réservé au témoignage des femmes: des niaiseries!
Vient alors le récit qui nous intéresse, qu’on ne trouve que chez Luc, et qu’on pourrait décrire comme le récit d’une marche de plus de Jésus auprès de ses disciples.
Une marche de plus, dans ces marches pendant lesquelles il les enseignait.
Une marche d’accomplissements, d’ouvertures, et de résurrections de disciples.
J’y reviendrai.
Au fil du récit
Nous sommes mis d’emblée en compagnie de deux disciples (qui ne faisaient pas partie des Douze) qui ont perdu la foi (v. 13).
C’est une atmosphère morose d’après défaite: "De quoi vous entretenez-vous en marchant, pour que vous soyez tout tristes?" (v. 17).
L’histoire d’un malentendu déjoué par la réalité, ou plutôt par Dieu lui-même.
Emmaüs est à 60 stades: à pied, il y a du temps devant soi (2 bonnes heures) pour parler, réfléchir, faire le point.
Le sabbat terminé (cf. Lc 23:56), ils peuvent donc se mettre en chemin, c'est-à-dire en tournant le dos à cette malheureuse Jérusalem, et à l'étrange fin de leur aventure avec Jésus.
Pourtant, les choses avaient bien commencé, et la délivrance de Jérusalem semblait à portée de main: peu avant, il y a tout juste quelques jours, n'y était-il pas entré en roi libérateur sous les acclamations, et n'avait-il pas déjà commencé le travail de remise en ordre du Temple?
Après le Temple, ce serait le tour de l'occupant, pour sûr. Le règne de David n’était pas loin.
Notons qu'il s'agit de deux "disciples": chez Luc, les principaux acteurs des récits d’après la résurrection ne sont pas les apôtres, qui ont plutôt le mauvais rôle.
Ce sont surtout des femmes, et des disciples inconnus jusqu'ici (dont l'un n'est pas même nommé).
Plus exactement, le texte dit simplement "deux d'entre eux".
"Eux", c'est déjà le corps des disciples, déjà comme mis à part, déjà un peuple particulier: ceux qui ont rencontré, suivi, entendu et écouté le Seigneur Jésus, et qui, marqués par lui, n'en sont pas sortis indemnes.
Chemin faisant, ils verbalisent leurs désillusions ("et ils s'entretenaient de tout ce qui s'était passé" v. 14), et Jésus ne les fera pas taire, au contraire: comme s'il ne le savait pas, il leur demandera de lui dire de quoi ils parlent donc.
Et la parole va bon train (v. 15 "Pendant qu'ils parlaient et discutaient"), et purge leur âme.
Plus précisément, ils conversaient l'un avec l'autre de toutes ces choses qui venaient de se passer.
La parole va de l'un à l'autre, cherchant à comprendre, passant et repassant sur les événements récents, encore là tout frais, et dont les épisodes se bousculent dans leur mémoire.
C'est ce que le verset qui suit exprime bien par "Pendant qu'ils s'entretenaient et débattaient".
Alors "Jésus s'approcha" (v. 15): noter que l'initiative vient entièrement de Jésus, comme si se joindre incognito à cette conversation désolée pendant la marche était ce qu'il y avait de plus important à faire pour lui à ce moment-là.
Le texte dit bien d'ailleurs "Jésus lui-même s'approcha".
Comment partager davantage le sort des disciples, qu’en faisant route avec eux ("Jésus lui-même les rejoignit et fit route avec eux"), comme dans une nouvelle incarnation!
Faire route vers Emmaüs avec eux, c'est là, exposée aux lecteurs que nous sommes qui venons après bien d’autres lecteurs, la nature même de Jésus: celui qui est, qui marche, avec nous.
Mais ils ne le voient pas.
Car "leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître" (v. 16).
Les versions récentes (comme NEG, NBS, À la Colombe, TOB) s'accordent sur cette façon de dire.
La vieille Segond (de 1910) disait "retenus de le reconnaître".
BFC dit de son côté "Ils le voyaient, mais quelque chose les empêchait de le reconnaître".
Ce qui, quoique moins littérale, est une traduction qui capture plus vivement le sens.
Il y a la notion d'un empêchement actif, comme si "quelque chose" entravait leur regard. Quelque chose les retenait pour qu'ils ne le reconnaissent pas.
Mais il ne s'agit pas selon moi d'une "force" – ni obscure, ni divine – directement à l'œuvre pour les aveugler, mais l'expression de l'abîme qui les sépare du Christ pourtant si proche d'eux.
Sans doute aussi avaient-ils les yeux rivés au sol, sans trop voir le visage de cet inconnu qui devait rentrer lui aussi de la Pâque et qui, se trouvant là par accident, s'était joint à eux pour faire un bout de chemin en compagnie.
Peut-être encore avaient-ils le regard vide vers Emmaüs, où ils se dirigeaient sans entrain.
C'est aussi leur ancien aveuglement sur la personne et la mission de Jésus qui persiste: un malentendu de fond, qui ne se dissipera que graduellement, comme on le verra par la suite.
Comme à son habitude – et à cela, nous pouvons, nous, reconnaître Jésus – il va leur poser une question: "De quoi vous entretenez-vous en marchant?"
Et cette question va stopper net la marche: "et ils s'arrêtèrent, l'air attristé".
Ou encore: "Quels sont ces propos que vous échangez en marchant? Ils s'arrêtèrent, l'air sombre."
Cet "air sombre", c'est avoir le visage défait, abattu, déconcerté.
Les deux disciples sont désemparés, stupéfaits, comme choqués, et ne sachant plus que penser.
C'est alors une étrange conversation qui s'enclenche, de laquelle nous sourions volontiers, nous spectateurs extérieurs qui venons après coup.
Mais une conversation qui les mènera progressivement à la résurrection de leur esprit consterné.
Il est surprenant que Luc ne nomme Cléopas (v. 18) par son nom que maintenant, et non au début du récit. Je dirais que c'est en lien avec sa prise d'initiative dans le dialogue, où il retourne la question de Jésus par une autre question!
Et Cléopas de violemment s'étonner:
"L'un d'eux, nommé Cléopas, lui répondit: Es-tu le seul qui, tout en séjournant à Jérusalem, ne sache pas ce qui s'y est produit ces jours-ci?"
Ou, dit autrement: "Tu es bien le seul à séjourner à Jérusalem qui n’ait pas appris ce qui s’y est passé ces jours-ci!"
En un mot, il n'est pas étonnant que tu ne sois pas comme nous dans la désolation, puisque tu vis innocent à l'écart du monde!
Et Jésus, qui est celui qui sans le montrer mène la conversation, de lui répondre d'un mot.
En fait la 3e question du dialogue: Quoi?
"Quoi donc?", c’est-à-dire: De quelles choses parlez-vous donc, qui se sont produites à Jérusalem?
Un petit mot, un aiguillon, qui va déclencher un flot de paroles (6 versets), et cette fois ce seront les deux disciples ("Et ils lui répondirent") qui uniront leurs tristesses pour répondre d'une seule voix à l'inconnu, pour eux-mêmes et aussi pour les autres disciples qui se désolent quelque part ailleurs de leur côté: "nous espérions… quelques femmes d'entre nous… nous ont fort étonnés… quelques-uns d'entre nous… "
Ce simple "Quoi", c'était comme un coup de bistouri, crevant l'abcès de leur désappointement, et mettant à nu la plaie de leur âme dans une pathétique confession.
Et confession dans plusieurs sens du terme.
Certes, confession de leur déception, déjà.
Mais aussi une sorte de confession de foi, ou confession de doute, comme on voudra, ce qui ici revient au même! Les braises de cette foi-doute, on le perçoit bien, ne sont pas totalement éteintes.
Confession encore de leur espérance assoupie.
Et aussi confession de la nature de leur connaissance de la personne de Jésus à ce moment-là.
Ils disent bien qu'ils comptaient sur lui pour délivrer Israël (v.21 "Nous avions l'espoir qu'il était celui qui devait délivrer Israël"), sans qu'on sache vraiment ce qu'ils voulaient dire au juste par "délivrance d'Israël".
Mais malgré tout le temps passé avec Jésus, on soupçonne fort qu'ils entendaient par là la délivrance de l'oppresseur. Ne venait-on pas d'ailleurs de fêter la Pâque, la délivrance des griffes de l'antique tyran? Certes, ils se souvenaient – s'il n'y étaient pas, on leur aura raconté – que Jésus avait fêté cette Pâque-là d'une étrange manière, avec des paroles un peu mystérieuses.
Mais bon, ce n'était pas la première fois qu'il prononçait des paroles singulières, dont on remettait la compréhension à plus tard.
On notera en passant que l'idée de la "délivrance d'Israël" (ou encore de la "consolation d'Israël" ou de "l'espérance d'Israël") en lien avec Jésus est un motif prophétique important chez Luc: dans la bouche d'Anne (Luc 2:38 "elle louait Dieu, et elle parlait de Jésus à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem."), de Jésus lui-même (Luc 4:19 "Pour proclamer aux captifs la délivrance"; Luc 21:28 "votre délivrance approche"), à propos de Siméon (Luc 2:25 "Cet homme était juste et pieux, il attendait la consolation d'Israël"), sans parler des Actes, dans la bouche de Paul (entre autres, Actes 28:20 "c'est à cause de l'espérance d'Israël que je porte cette chaîne").
Nous avons ensuite dans le passage qui suit (versets 19 à 24) des disciples à cœur ouvert, la poignante description de l'état du cœur des disciples à ce moment précis: un mélange de foi perplexe et de désillusion, d'espérance déçue et de regard risqué vers l'avenir, des vestiges de puissance du temps passé mêlés à des images de crucifixion, une dramatique mise en scène où se bousculent des acteurs qui semblent jouer des pièces différentes: le peuple, les sacrificateurs, les magistrats, Dieu, et "nous".
Mais domine l'idée d'une fin des choses: après trois jours, c'est bien terminé!
Dans cette symphonie funèbre, une seule petite fausse note: des femmes, arrivées au tombeau après le sabbat, l'ont trouvé vide et auraient vu des anges qui leur auraient dit qu'il est vivant.
Des choses étranges. Mais, bon, c'est ce qu'ont dit des femmes… Pas un homme d'entre nous, allé sur place, ne l'a vu. Ils ont juste vu un sépulcre vide, mais personne ne sait ni qui a déplacé la dépouille, ni pourquoi.
Ils parlent d’"un prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant le peuple" (v. 19).
C’est là une formule caractéristique pour désigner le prophète comme Moïse attendu par Israël depuis des siècles (cf. Actes 3:22; 7:35-37, renvoyant à l'antique prophétie de la venue d'un autre Moïse en Deutéronome 18:15, 18).
Lorsqu’ils disent "Nous espérions que ce serait lui qui délivrerait Israël" (v. 21), nous nous rendons compte que tout comme les apôtres – que Jésus a eu bien du mal à dissuader – ils attendent eux aussi le rétablissement d'un Israël monarchique et libre ("Seigneur, est-ce en ce temps que tu rétabliras le royaume pour Israël?" Actes 1:6).
Alors Jésus prend vraiment la parole (versets 25 à 27).
J'en veux à Luc de sa concision: que ne nous a-t-il pas rapporté avec plus de détails la manière dont Jésus a expliqué les Écritures aux deux disciples interloqués!
(noter qu'on retrouve quasiment les mêmes termes dans la seconde "leçon d'interprétation", un peu plus tard dans la journée, pour de nombreux disciples cette fois – voir Luc 24:44-47)
Si Jésus leur fait d'abord reproche de leur lenteur d'esprit, c'est parce que lui-même leur avait déjà indiqué comment les choses allaient se passer, quel genre de Messie il devait être, et quel type d'accomplissement les Écritures allaient trouver.
Et ce, à plusieurs reprises. Mais à chaque fois, ces paroles, qui nous semblent si claires, à nous qui venons bien après, étaient pour eux des paroles scellées.
Il faut donc abandonner l'idée que ce qui s'est passé allait de soi. Ce qui était annoncé d'avance ne pouvait être saisi qu'après coup.
Luc insiste fortement sur ce point:
- après une première annonce par Jésus lui-même des souffrances à venir et de la résurrection (Luc 9:22), répétée de surcroît peu après (Luc 9:44), leur esprit reste voilé: "les disciples ne comprenaient pas cette parole; elle était voilée pour eux, afin qu'ils n'en saisissent pas le sens" (Luc 9:45)
- plus tard, peu avant l'entrée à Jérusalem, lorsqu’il prononce des paroles qui auraient pu suggérer aux disciples quel type d' "entrée triomphale" serait la sienne à Jérusalem, le malentendu persiste: "ils n'y comprirent rien; le sens de cette parole leur restait caché; ils ne savaient pas ce que cela voulait dire." (Luc 18:34)
Si ces paroles nous sont destinées, Luc voudrait-il nous donner ici, mine de rien, une leçon de modestie?
Ainsi, non seulement les paroles des anciens prophètes étaient-elles encore scellées pour eux, mais les paroles de Jésus l'étaient-elles tout autant!
Des cœurs brûlants, tel pourrait être le sous-titre de cette dernière partie du récit (versets 28 à 32), où nous voyons à l'œuvre un maître narrateur. La façon dont Luc amène lentement le dénouement suggère discrètement les sentiments, fait jouer les paroles des uns et des autres; en un mot, comment il s'y prend pour lever progressivement le voile sur la personne et l'identité du ressuscité, voilà qui est propre à nous faire revivre à nouveau et à chaque fois comme une première fois cet épisode dont on ne se lasse jamais de la lecture.
Je suis particulièrement impressionné et touché par la façon dont le texte amène le déplacement du regard des disciples sur Jésus.
Également aussi par ce feu fort et discret à la fois, qui éclaire sans détruire, qui s'impose sans s'imposer, sans violence, simultanément, dans le cœur des deux disciples.
Je suis encore frappé par la manière dont Jésus, en même temps qu'il prenait soin des deux disciples retenus dans le passé par leurs rêves brisés, pour attiser en eux une vie toute nouvelle, prend soin de son disciple accablé, pierre brisée par sa récente trahison. Ce n'est pas sans intention délibérée en effet qu'il écrit en grandes lettres, qu'à Jérusalem où il les a précédés, Jésus s'est manifesté à Pierre: "et il est apparu à Simon" (v. 34).
Apparition mentionnée seulement ici, sans qu'on en ait plus de détails. Sans doute est-ce celle déjà mentionnée par Paul (ses épîtres furent écrites avant Luc) comme quelque chose de très notoire: "il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures; et il est apparu à Céphas" (1 Corinthiens 15:4-5).
Ultime détail dans ce récit magistral, la précision du moment où les disciples l'ont vraiment reconnu (v. 31, repris au v. 35 "au moment où il rompit le pain"). Rompre le pain (on ne coupait pas le pain en tranches!) était chose commune, pour le sabbat, ou lors de la Pâque. Cela se faisait dans chaque maison juive. C'est donc sans doute la façon particulière de Jésus de faire ce geste familier, et aussi sa façon particulière de rendre grâces qui a dû permettre aux disciples de le reconnaître. Jésus avait probablement rompu plus d'une fois le pain pour les disciples, même en dehors de la Pâque (ces deux-là n'étaient d'ailleurs pas là lors de la dernière Pâque, où seuls les Douze étaient présents), comme par exemple lors de la multiplication des pains ("Jésus prit les cinq pains… il les bénit… il les rompit..." Luc 9:16).
La scène finale du passage – retour sur le champ à Jérusalem, retrouvailles avec les onze et d'autres disciples, récits réciproques de ce qui leur est arrivé (versets 33 à 35) – est destinée à asseoir ce qui deviendra le thème central de la première prédication de l'Évangile: "Le Seigneur est vraiment ressuscité!"
Le croire, c'était d'ailleurs la seule chose nécessaire au salut: "Si tu confesses de ta bouche le Seigneur Jésus, et si tu crois dans ton cœur que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé." (Romains 10:9).
Quelques réflexions pour conclure: autour de 3 pensées clés
Ouvertures
Dans Luc 24, on trouve l’idée d’ouvrir à 3 reprises, ce qui est assurément le signe de quelque chose d’important:
- v. 31 "leurs yeux s’ouvrirent"
- v. 32 "lorsqu’il nous ouvrait les Écritures"
- v. 45 "il leur ouvrit l’intelligence"
Nous sommes plus d’une fois, et même à notre insu, comme enfermés: enfermés dans nos conceptions, notre vision, notre connaissance et notre compréhension limitées des Écritures, pour ne pas dire du Seigneur lui-même. Il faut alors que notre regard soit déplacé.
Il faut que quelqu’un, quelqu’un d’autre, quelqu’un d’extérieur, nous ouvre. Ce peut être le Seigneur lui-même, comme ici. Mais le plus souvent, il se sert d’instruments modestes, pour éclairer notre ignorance et nous aider à déposer ce que l’on croit savoir.
Ainsi, nous avons certainement besoin de l’aide les uns des autres pour comprendre les Écritures, qu’on ne lit bien qu’à plusieurs. Nous pouvons aussi avoir besoin parfois de l’œil extérieur de compagnons de lecture pour nous déloger de nos habitudes de pensée, de nos préjugés, ou d’une lecture jouée d’avance.
Marche
Tout ce récit est une histoire de marches: vers Emmaüs, en compagnie de Jésus, vers Jérusalem, au pas de course. Ce récit nous rappelle donc à sa manière que nous sommes nous aussi, et toujours, en chemin. Ce peut être un chemin sinueux, de perplexité, de questionnements, de recherche désemparée parfois, de rêves brisés, d’espérances déçues qui nous retiennent dans le passé, comme pour eux.
Mais aussi un chemin de conversation et d’intimité avec Christ où, petit à petit, il se fait connaître et reconnaître, où il se met à nous parler (v. 32 "lorsqu’il nous parlait en chemin"), et où nous pouvons à notre tour lui parler.
C’est aussi une marche dans les Écritures, familières mais maintenant éclairées d’une lumière inédite. Chemin faisant, c’est un véritable "atelier de lecture biblique"!
Et le chemin peut être long: il faut du temps pour entendre ce que Dieu dit, ou ce qu’une personne dit.
Feu
La façon dont Jésus allume doucement une sorte de feu au fond d’eux – –
Le bois de cette chaleur bienfaisante, c’est l’Écriture, sur laquelle Jésus souffle pour eux jusqu’à ce qu’elle devienne une parole vive. Ces Écritures, ils les connaissaient, et ils y avaient même baigné depuis l’enfance.
Mais c’est quand Jésus les leur a ouvertes sur lui-même que leur esprit, même à leur insu, se ranime.
Alors le feu prend, la flamme prend le dessus, braise après braise. Moïse, puis les Prophètes puis les Psaumes, ces textes chéris dès l’enfance se remplissent de Jésus, son rejet, ses souffrances, sa résurrection, sa gloire: ces textes, dans les mains de Jésus, deviennent eux-mêmes un feu ardent, un buisson brillant.
Sa résurrection devient la leur.
À moins que le Seigneur lui-même n’allume subrepticement au fond de nous un feu qui nous mette en mouvement, ce que nous croyons savoir de Dieu ou de Christ est parfois comme du bois éteint ou des braises mourantes, et nous sommes incapables d’aller vers les autres.
Et il peut aussi arriver que le Seigneur s’attende à ce que nous soyons comme lui, pour quelqu’un, des porteurs de feu et "rallumeurs de braises."
Peut-être pour rendre courage à un compagnon de marche, arrêté en chemin, quand pour lui "c’est déjà le troisième jour."
FG
(initialement écrit au sein d’un groupe de lecture biblique en 2017)