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Ésaïe 53 – Une lecture personnelle et engagée

version du 03/11/2018

- vv. 1 et 2 /   Qui a cru ?

- v. 3   /   Le méprisé

- v. 4   /   Frappé de Dieu ?


- Annexe 1   /   La Septante d'Ésaïe 53

- Annexe 2   /   Diverses interprétations du 4e "Chant du Serviteur" (Es 52:13 à 53:12)

- Sources et outils

  • vv. 1-2 Qui a cru ?
  • v. 3 Le méprisé
  • v. 4 Frappé de Dieu ?
vv. 1-2 Qui a cru ?

Es 53:1-2   /   Qui a cru ?

Ésaïe 53:1-2  /  Qui a cru ?

Une première vue d’ensemble


Ce chapitre 53, comme le précédent, apporte son lot de difficultés de texte et de sens. Ses nombreuses citations dans le NT elles aussi posent question, et donnent à penser au-delà de l’habituelle question de la forme du texte citant par rapport au texte cité.

Comme pour plusieurs autres passages clés de la foi chrétienne, la musique même de ce texte pour les croyants habitués au seul texte de Segond sans notes risquera de figer la lecture dans un moule usé, propre à fermer la réflexion. La lecture de versions différentes renouvelle la compréhension, dépoussière l’esprit et souvent donne à voir les nœuds de difficultés.

Au cœur de la lecture, ici plus encore qu’en Es 52, la question herméneutique.

D’une part, la foi chrétienne y verra le cas par excellence où les paroles de 1 Pierre 1 s’appliquent, qui décrivent ce qu’Es 52:13-15 nous avait déjà présenté : une humiliation suivie d’une élévation.


10 Ce salut, les prophètes qui ont parlé de la grâce qui vous était destinée en ont fait l'objet de leurs recherches et de leurs investigations.

11 Ils se sont appliqués à découvrir quelle époque et quelles circonstances désignait l'Esprit du Christ qui était en eux, Esprit qui, d'avance, attestait les souffrances du Christ et la gloire qui s'ensuivrait.

12 Il leur fut révélé que ce n'était pas pour eux-mêmes, mais pour vous, qu'ils étaient ministres de ces choses, qui maintenant vous ont été annoncées par l'entremise de ceux qui vous ont communiqué la bonne nouvelle, avec l'Esprit saint envoyé du ciel ; c'est en ces mêmes choses que les anges désirent plonger leurs regards.


D’autre part, la pratique populaire d’extraire totalement Es 53 de son contexte (celui qui précède et celui qui suit) vite mis en oubli, revient selon moi à démembrer l’Écriture.

Nous sommes devant cette alternative :

- soit donner à croire (un peu fièrement parfois) que nous sommes "ceux qui ont compris" tout ce qui concerne Christ et qui lisent "correctement" Es 53.

- soit (plus modestement) refaire le chemin du prophète, animés du même esprit de "recherche et d’investigation", pour tâcher – si l’Esprit est en nous – de connaître Christ.

En somme, un choix entre (penser) être arrivé et être en chemin.


Ici, le Serviteur nous est présenté sous un jour inattendu. Nous sommes invités à la fois à l’identifier et à ne pas l’identifier, comme un texte en attente.

Il est difficile de voir dans Es 53:2-9 une description d’Israël ("hardly a description of Israel" GOLDINGAY / NIBC p. 302).

Mais le passage lui-même ne dit pas ouvertement de qu’il s’agit.

Il s’agit d’une vision, dans le sens d’Es 1:1 ("la vision que vit Esaïe fils d’Amots") et de 1 Pierre.


Je cite GOLDINGAY (p. 303) :


Comme dans les films, et comme avec les visions, les poèmes, les psaumes ou les prophéties, l’auditoire ou la communauté sont invités dans la scène, pour que nous puissions découvrir par nous-mêmes ce qu’elle signifie pour nous et comment elle nous concerne.


Le passage (comme déjà Es 52:13-15) est scandé par une alternance passé / futur, humiliation / élévation, faiblesse / force.


Aussi, bien visible (toujours dès Es 52:13-15), et de manière répétée, une alternance entre la mécompréhension et le malentendu, et leur correction : ‘Nous pensions ceci, mais en réalité c’était cela ; il était ainsi, mais en réalité il était autrement’.


Note en passant :

On ne peut s’empêcher de se faire ici la réflexion que la vie de Jésus est l’histoire d’un malentendu, et que l’écriture des Évangiles est la narration d’un malentendu sur sa personne, dès le début et jusqu’à la fin.


Il faut aussi parler du jeu de pronoms : qui est le "il" dont il est question ? Qui est le "nous" qui parle ?

Pour BARTHÉLÉMY (CTAT 2, p. 391), il s’agit des rois de 52:15 :


Or 53:1-10 est introduit par 52:15b comme une longue méditation des rois sur la situation consternante puis glorifiée de quelqu’un dont ils parlent à la 3e pers. m. sg. en faisant usage de verbes qui sont principalement à l’accompli ou à l’inaccompli inverti.


TOB met en note :


Ce passage fait parler tour à tour :

a) Dieu (52:13-15)...

b) les foules (53:1-6)...

c) le prophète (53:7-10)...

d) Dieu (53:11-12)…


Ce "nous" pourrait être aussi vu comme un chœur rythmant l’oracle (ne parle-t-on pas d’ailleurs de "Chants du Serviteur" ?). Ainsi La Colombe


Sorte de question formulée par un chœur qui parle à la 1ère personne du pluriel.


NET considère qu’il s’agit du prophète lui-même, comme porte-parole de la nation :


The speaker shifts here from God to an unidentified group (note the first person plural pronouns throughout vv. 1-6). The content of the speech suggests that the prophet speaks here as representative of the sinful nation Israel. The group acknowledges its sin and recognizes that the servant suffered on their behalf.


En effet, on voit "mon peuple" au v. 8.


Si on traduit לִשְׁמֻעָתֵנוּ lishmu‘atenû au sens actif (= ce que nous avons fait entendre ; voir plus loin la discussion de ce point), ce "nous" serait alors le messager (qui a entendu) comme messager de celui que "nous" a envoyé à ceux qui n’entendront pas (v. 8).

Cf. Es 6:8 "Qui enverrai-je ? Qui donc ira pour nous ?"


On peut enfin dire que le "nous", c’est nous.


Ce qui est certain, c’est que la force d’interpellation de ce texte lui vient de son envergure littéraire, qui fait correspondre cette alternance de pronoms (nous / il / je) et ce balancement dans la description (les malentendus / la correction des malentendus) au va-et-vient de la pensée de l’auditeur-lecteur.

Le mieux est selon moi de ne pas fermer le sens par notre analyse, et de ne pas figer le texte, afin que l’âme et le cœur puissent s’investir tour à tour dans les protagonistes de la prophétie, y compris dans le Serviteur.


Es 53 et l’interprétation chrétienne

Dans mes notes sur Es 52, je m’interrogeais déjà sur l’approche courante d’Es 53 dans l’interprétation chrétienne populaire, qui me semblait frustrer le texte de beaucoup de sa force en ce qui nous concerne :


Naturellement, on peut faire une interprétation courte et contente : il s’agit de Jésus. Point.

Mais est-ce suffisant de juste dire cela ?

Je pense quant à moi qu’il faut "revivre" la prophétie pour en saisir si possible le côté dramatique : pour nous aussi, elle est source d’étonnement, et le Serviteur ici dépeint, une surprise.


J’ai été rassuré de trouver cette analyse de SMART dans son ouvrage dédié à l’interprétation de la Bible, plus exactement à sa non-interprétation, la manière que nous avons de faire taire l’Écriture, plus ou moins consciemment. Elle me conforte dans mes doutes, et je la reproduis ci-dessous, avec ma traduction.

James D. Smart. 1970. The Strange Silence of the Bible in the Church. Philadelphia: Westminster Press, pp. 157-158.


Un troisième exemple de la manière dont l’Écriture peut être rendue actuelle est Ésaïe 53, et ce qu’on en fit lorsque l’Église chrétienne tenta de comprendre le ministère, la mort, et la résurrection de Jésus. Bien qu’éloigné de l’époque de Jésus de près de six siècles, il est clair qu’il devint éminemment actuel pour Jésus et pour la première Église, si actuel qu’il a toujours été difficile pour les chrétiens de concevoir qu’il ait pu être écrit pour une tout autre raison. Nous devons faire un sérieux effort pour rendre ce chapitre à son contexte d’origine, celui du ministère et des écrits d’un prophète du 6e siècle av. J.-Ch. Là se trouve le point culminant de l’interprétation du Second Ésaïe de ce que signifie être le peuple de Dieu, le serviteur de la Parole de Dieu, au sein d’un monde hostile et étranger. La parole dans laquelle est caché non seulement le dessein de grâce de Dieu pour le monde, mais aussi la puissance pour l’accomplissement de ce dessein, a été confiée à Israël, un peuple petit, pauvre et brisé. C’est incroyable, mais vrai. Et le mystère s’épaissit encore lorsqu’être au service de la parole de Dieu avec fidélité rencontre une telle opposition de la part de l’ensemble de l’humanité au point d’être méprisé, foulé aux pieds, et peut-être même être envoyé à la mort. Pourtant, c’est à travers une telle fidélité inconditionnelle chez son serviteur que Dieu peut ouvrir les yeux des hommes aveuglés et éloignés de lui. On voit donc immédiatement pourquoi ce chapitre est devenu extrêmement actuel pour la première Église. Le serviteur de la Parole qu’avait vu Ésaïe trouve sa réalisation en Jésus. Jésus correspondait quasiment au détail près à la description du prophète. Mais nous ne pouvons pas nous arrêter ici. La question que nous devons nous poser est : comment ce chapitre peut-il devenir actuel maintenant ? Si nous l’appliquons exclusivement à Jésus, nous perdons une large part à la fois de sa signification originelle et de sa signification chrétienne. Il est significatif que dans le NT, lorsque Jésus utilise l’image du Serviteur, ou lorsque d’autres l’utilisent pour parler de lui, ses disciples aussi sont concernés avec lui. Il est le Serviteur pour que eux aussi, en union avec lui, puissent être serviteurs. Le serviteur de la Parole est le peuple de Dieu, dans tous les âges. Jésus-Christ est le point culminant de l’accomplissement de la destinée de ce peuple de Dieu. Tant en Israël que dans l’Église, l’identification de la communauté croyante avec le Serviteur est toujours brisée et ambiguë, et a sans cesse besoin d’être réparée par la repentance et le pardon. La fidélité est toujours compromise par l’infidélité. Mais en Jésus lui-même, toute ambiguïté et toute brisure disparaissent. Dieu et son Serviteur ne font qu’un. C’est pourquoi nous lisons Es 53 à la lumière de son accomplissement dans le NT. Mais il ne commence à devenir actuel pour nous que lorsqu’il exprime non seulement la destinée de Jésus, mais aussi notre destinée comme son Église au sein d’un monde hostile et étranger qu’il veut racheter.


Le texte

Au fil du texte, les difficultés de transmission, les citations, les interprétations, les questions, les réponses, le passé, le présent, l’avenir. Malentendus et espérances.


1 "Qui donc a cru à ce que nous avons entendu dire ?
Le bras du SEIGNEUR, en faveur de qui a-t-il été dévoilé ?"
TOB


"Qui a ajouté foi à l'annonce qui nous a été faite ?

Et à qui s'est révélé le bras de Dieu ?" KAHN


מִי הֶאֱמִין לִשְׁמֻעָתֵנוּ וּזְרוֹעַ יְהוָה עַל־ מִי נִגְלָֽתָה׃

LXX κύριε τίς ἐπίστευσεν τῇ ἀκοῇ ἡμῶν καὶ ὁ βραχίων κυρίου τίνι ἀπεκαλύφθη;

(BRENTON "O Lord, who has believed our report? and to whom has the arm of the Lord been revealed?")


Après un premier malentendu déjà dissipé (52:13-15, où celui qu’on pensait humilié pour toujours sera finalement élevé aux yeux des peuples et des rois), en voici un second : qui reconnaîtra le bras de Dieu ?

Les temps sont au passé, comme si le prophète regardait en arrière, vers le passé, vers le temps où son peuple était incrédule.

Sous-jacente, il y a donc une promesse divine que viendra le temps de la foi.

De même, le croyant lira ce texte a posteriori comme une rétrospective, écrite à l’avance, vers le temps où il ne croyait pas encore.

C’est une reconnaissance de surdité et de cécité après coup : "Comment ai-je donc pu ne pas entendre et ne pas voir ?"


- "qui a cru ?"

Au v. 1a, "qui a cru" est le verbe amen au hiphil. On trouve la même forme en Ge 15:6 "Et il crut à l'Éternel"  וְהֶאֱמִן בַּֽיהוָה

TOB respecte la construction brisée du TM pour v. 1b.

La LXX introduit l’exclamation de celui qui parle par un vocatif (absent du TM) : "Seigneur, qui a cru… ?"

Cette amplification superflue, qui n’ajoute rien, est dans l’air. Il y a au final deux fois "Seigneur" dans son texte.

(cf. un autre cas rencontré récemment d’ajout par la LXX de "Seigneur" au vocatif : Ps 102:26 "Au commencement, toi Seigneur, ...")


- "ce qui nous était annoncé"

MARTIN traduisait : "Qui est-ce qui a cru à notre prédication ?"

Or il s’agit plutôt de ce que "nous" avons entendu que de ce que "nous" avons annoncé. Ceux qui parlent sont des auditeurs qui n’ont pas entendu et qui finalement voient et font acte de contrition.

Ainsi NET :


Here the group speaking does not cast itself in the role of a preacher or evangelist. No, they are repentant sinners, who finally see the light.


Le terme de la LXX (ἀκοή) se retrouve souvent dans le NT, notamment en Ro 10:17


"Ainsi la foi vient de ce qu'on entend, et ce qu'on entend vient de la parole de Christ."

ἄρα ἡ πίστις ἐξ ἀκοῆς, ἡ δὲ ἀκοὴ διὰ ῥήματος ⸀Χριστοῦ.


Ici MARTIN dit bien :


"La foi donc est de l'ouïe ; et l'ouïe par la parole de Dieu."


Il s’agit de ce qu’on entend, non pas de ce qu’on annonce : l’accent est sur l’auditeur, non sur le messager.

Il y a aussi l’idée, il me semble, que la parole de Dieu elle-même ouvre l’ouïe pour qu’on l’entende.

Néanmoins, comme MARTIN autrefois, certaines versions interprètent לשמעתנו comme "ce que nous avons fait entendre". Par ex ESV2011 :


"Who has believed what he has heard from us?"


C’est aussi ce sens (actif) qu’on retrouvera dans les citations du verset dans le NT, qui reproduisent la LXX : κύριε τίς ἐπίστευσεν τῇ ἀκοῇ ἡμῶν; (Jn 12:38 ; Ro 10:16).


Il faudrait donc sans doute trouver un mot à double sens, susceptible d’être entendu des deux manières (active et passive).

Faute d’en trouver, on pourrait juste dire : "qui de nous a cru à la nouvelle ?" ou "qui de nous a entendu la parole ?"

On sacrifie le possessif, mais on conserve l’ambivalence du "nous", puisque cela pourrait être dit par le messager (qui s’inclut dans son peuple) comme par les auditeurs (après coup, une fois qu’ils auront cru).


- "Le bras du Seigneur"

C’est une métaphore militaire, exprimant la force du Dieu vaillant guerrier pour Israël (cf. 51:9-10 ; 63:5-6).

Mais ici, le bras du Seigneur agit de façon étrange, inhabituelle, inattendue, et qu’on n’a pas reconnue d’emblée : pourtant, c’était bien là aussi le bras du Seigneur !


- "pour qui s'est-il dévoilé ?" (NBS)

NET traduit :


"When was the Lord’s power revealed through him?"


C’est un peu obscur.

En fait, NET relie fortement ce texte à la fin d’Es 52 : le "him" est celui qui précède, le Serviteur.

NET comprendrait-elle : par qui le bras de l’Éternel a-t-il été révélé ?

Et d’où vient alors son "when" ? Si c’est עַל־מִי qu’elle traduit par "when", c’est surprenant.

D’après les notes de NET en ligne :

- pour "When" ⇒ note 4

4tn Heb “to whom” (so KJV, NASB, NIV, NRSV).


- pour the Lord’s power ⇒ note 5

5tn Heb “the arm of the Lord.” The “arm of the Lord” is a metaphor of military power; it pictures the Lord as a warrior who bares his arm, takes up his weapon, and crushes his enemies (cf. 51:9-10; 63:5-6). But Israel had not seen the Lord’s military power at work in the servant.


on voit que NET a compris :

- "à qui ?" = "quand"

- et "le bras de l’Éternel" = "la puissance de Dieu"


Son "through him" est donc un ajout explétif volontaire, pour bien signifer qu’il est toujours question du même "il", le serviteur d’Es 52:13.

Mon avis est que cet ajout est superflu. Les traducteurs avaient-ils donc peur que le lecteur ne comprenne pas, ou comprenne autrement ?

La sobriété et la métaphore du texte hébreu valent bien mieux.

Même la BFC fait plus confiance au lecteur !


"Qui de nous a reconnu que le Seigneur était intervenu ?"


Inutile d’ajouter "à travers lui" ou "par son moyen" !


Les citations du v. 1 dans le NT

- Jn 12:38

37 "Malgré tant de miracles qu'il avait faits en leur présence, ils ne croyaient pas en lui,

38 afin que s'accomplisse la parole qu'Ésaïe, le prophète, a prononcée : Seigneur, Qui a cru à notre prédication ? Et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé ?"


Sur la forme, le texte suit strictement la LXX, y compris dans l’ajout du vocatif "Seigneur" :


NT Κύριε, τίς ἐπίστευσεν τῇ ἀκοῇ ἡμῶν; καὶ ὁ βραχίων κυρίου τίνι ἀπεκαλύφθη;

LXX κύριε τίς ἐπίστευσεν τῇ ἀκοῇ ἡμῶν καὶ ὁ βραχίων κυρίου τίνι ἀπεκαλύφθη;


Sur le sens, toutes les versions consultées traduisent ici τῇ ἀκοῇ au sens actif (= ce que nous avons fait entendre) : celui (ou ceux) qui parle est le messager dont on a rejeté le message, non pas l’auditeur qui revient sur lui-même, comme ce semble plutôt être le sens d’Es 53:1.

On trouvera ἀκοή deux fois à la suite dans Ro 10 (cas suivant, voir plus bas), ce qui aidera à préciser le sens.


Sur le fond, en considérant tout le contexte de Jn 12:38, on perçoit de nombreux échos en harmonie avec Es 53 : sépulture (v. 7), faire mourir (v. 10), croire / ne pas croire (vv. 11, 36, 37, 39, 44), foule (vv. 12, 19, 29, 32, 34), glorifié / élevé (vv. 16, 32, 34), incompréhension (v. 16), étrangers (v. 20), mort (vv. 24, 33), serviteur (v. 26), jugement (vv. 31, 47, 48), connaissance de Jésus (v. 32), annonce (v. 49), vie éternelle (v. 50).


En outre, Jn 12 cite un autre passage d’Esaïe : Es 6:9-10, où la voix d’Ésaïe est celle du "nous" qui l’a envoyé (v. 8 "Qui enverrai-je, et qui marchera pour nous ?")

Donc, tout ce passage est imprégné de l’esprit d’Ésaïe, avec le v. 41 comme point culminant :


"Ésaïe dit ces choses lorsqu'il vit sa gloire et qu'il parla de lui."


- Ro 10:16

16 "Mais tous n'ont pas obéi à la bonne nouvelle. Aussi Ésaïe dit-il : Seigneur, Qui a cru à notre prédication ?

17 Ainsi la foi vient de ce qu'on entend, et ce qu'on entend vient de la parole de Christ.

18 Mais je dis : N'ont-ils pas entendu ?"


Sur la forme, comme Jn 12, Paul suit strictement la LXX :


Κύριε, τίς ἐπίστευσεν τῇ ἀκοῇ ἡμῶν;


Sur le sens, on remarque dans les trois versets la récurrence du thème de l’écoute :


16 ἀλλ’ οὐ πάντες ὑπήκουσαν τῷ εὐαγγελίῳ· Ἠσαΐας γὰρ λέγει· Κύριε, τίς ἐπίστευσεν τῇ ἀκοῇ ἡμῶν;

17 ἄρα ἡ πίστις ἐξ ἀκοῆς, ἡ δὲ ἀκοὴ διὰ ῥήματος ⸀Χριστοῦ.

18 Ἀλλὰ λέγω, μὴ οὐκ ἤκουσαν;


Il est donc peu probable que ἀκοή ait un sens actif au v. 16, et passif au verset suivant.

Au v. 16, le verbe est ὑπ-ακούω : écouter (une parole), d’où obéir (ὑπακοή : obéissance). Il est utilisé en ce sens premier en Ac 12:13 ("Il frappa à la porte du vestibule, et une servante, nommée Rhode, s'approcha pour écouter – ὑπακοῦσαι"). Il faudrait donc coller le plus possible au texte pour faire ressortir au mieux cette insistance sur l’écoute dans tout le paragraphe : tous n’ont pas écouté l’Évangile etc.

Comme cette traduction, qui conserve la notion d’écoute et (par conséquent) d’obéissance :


"Mais tous n'ont pas écouté l'évangile avec soumission"


Leenhardt, Franz J. 1995. L’épitre de Saint Paul aux Romains. Labor et Fides. p. 154

(consulté sur Google Books septembre 2017)


2 "Car, devant le Seigneur, le serviteur avait grandi comme une simple pousse, comme une pauvre plante qui sort d'un sol desséché. Il n'avait pas l'allure ni le genre de beauté qui attirent les regards. Il était trop effacé pour se faire remarquer." BFC


"Devant Lui, celui-là végétait comme un rejeton, comme une racine sortant d’une terre aride ; il n’avait ni aspect, ni prestance tels que nous le remarquions, ni apparence telle que nous le recherchions." TOB


"Il poussait devant lui, pareil à un faible rejeton, à une racine plantée dans un sol brûlé. Il n'avait ni beauté, ni éclat pour attirer nos regards, ni grâce pour nous le rendre aimable." KAHN


וַיַּעַל כַּיֹּונֵק לְפָנָיו וְכַשֹּׁרֶשׁ מֵאֶרֶץ צִיָּה לֹא־תֹאַר לֹו וְלֹא הָדָר וְנִרְאֵהוּ וְלֹא־מַרְאֶה וְנֶחְמְדֵהוּ׃

LXX ἀνηγγείλαμεν ἐναντίον αὐτοῦ ὡς παιδίον ὡς ῥίζα ἐν γῇ διψώσῃ οὐκ ἔστιν εἶδος αὐτῷ οὐδὲ δόξα καὶ εἴδομεν αὐτόν καὶ οὐκ εἶχεν εἶδος οὐδὲ κάλλος

"We brought a report as [of] a child before him; [he is] as a root in a thirsty land: he has no form nor comeliness; and we saw him, but he had no form nor beauty." BRENTON


La LXX, à première vue, est un peu déroutante. GIGUET traduisait :


"Nous l'avons annoncé, comme un petit enfant devant le Seigneur, comme une racine dans une terre altérée ; il n'est point en lui de beauté ni de gloire ; nous l'avons vu, et il n'avait ni éclat ni beauté."


La LXX (pour la fin du verset) semble vouloir suivre la syntaxe difficile de l’hébreu.

Il est difficile de penser que les traducteurs de la LXX aient eu exactement le même texte que le TM sous les yeux :

- d’où vient la notion d’annoncer ?

"nous l’avons annoncé" – ἀνηγγείλαμεν, qui est une reprise du même verbe en Es 52:15 :


οἷς οὐκ ἀνηγγέλη περὶ αὐτοῦ (ceux à qui aucun message n’avait été annoncé à son sujet)


- la métaphore du rejeton est cassée : LXX dit "(petit) enfant"

- dans la syntaxe de la LXX, "devant lui" semble plutôt se rapporter à "nous avons annoncé" qu’à "enfant"

- LXX traduit le TM littéralement en "et nous l’avons vu", ce qui aboutit en fin de compte au contraire du sens du TM !

Le TM signifie que, précisément, nous ne l’avons pas vu : rien chez lui ne le faisait remarquer !

- enfin, la LXX abandonne le dernier verbe et sa même construction avec vav conjonctif en préfixe.

En effet, s’il l’avait conservé, il aurait dû le traduire comme il avait déjà traduit "et nous l’avons vu", soit : "et nous l’avons désiré". Or, précisément, le texte dans son ensemble signifie que "nous" ne l’avons pas désiré. La LXX a donc esquivé le nœud en le coupant.

Ce n’est pas le dernier rendu surprenant de la LXX pour Es 53 que nous rencontrerons.


Pour les deux derniers verbes, ATI dit littéralement "… et nous le verrions… et nous le désirerions".

Il me semble qu’il faille comprendre la construction hachée du TM ainsi :


Il n’avait ni.. ni… qui nous l’auraient fait voir

Et ni… qui nous l’aurait fait désirer.


- "devant lui"

Beaucoup de versions explicitent (inutilement selon moi, car c’est clair) en ajoutant : "devant le Seigneur" (repris de la fin du v. 1).

Certains voudraient corriger le TM en "devant nous", en ajoutant un simple n :

לפנינו < לפניו (c’est que suggère aussi la BHS).

Malheureusement pour eux, il n’existe aucun témoin (connu) de cette lecture. Ce "nous" est dans l’air, et s’ajouterait aux nombreux autres "nous".

TOB note :


autre traduction possible : il croissait devant lui, c.-à-d. livré à lui-même"


On hésite à suivre. Quel serait le sens ?


§§§


Réflexions personnelles et engagées sur Es 53:1-2

En mettant un peu de côté ces nombreux points textuels, un commentaire d’ensemble.

Le sens général du texte est en effet clair malgré des hésitations de détail, même si le tour général du message conserve le caractère allusif de l’oracle et des harmoniques à plusieurs niveaux. Comme j’ai tenté de l’expliquer, on ne peut se contenter de juste dire qu’il est question de Jésus !

On gardera donc à l’esprit, simultanément en suspens, les divers protagonistes du drame prophétique, pour tâcher de faire une lecture à plusieurs voix, comme d’une page de musique.

Ce texte est d’une haute tenue littéraire, dont on ignore tout ou presque de l’histoire de la composition. Mais qu’il soit sorti tel quel de la bouche de l’Ésaïe du VIIe siècle, qu’il soit le fruit d’un re-travail et de relectures postérieures, ou qu’il soit de la main d’un autre "Ésaïe", cela n’a finalement que peu d’incidence sur notre lecture, sachant que nous ne disposons que de l’état final du texte.

Les éventuels "chaînons manquants" manquent, mais ils ne nous manquent pas.

Ainsi, nous pouvons nous tenir au-dessus de la mêlée, sans gaspiller nos forces dans une inutile "bataille pour la bible", soit du côté "évangélique-conservateur" (qui maintient mordicus qu’Ésaïe doit être le seul et unique auteur de tout le livre , sans quoi l’Écriture tombe), soit du côté "libéral" qui sourit de cette obstination.


Faisant suite à Es 52:14 (dont ils n’auraient jamais dû être artificiellement séparés par la numérotation des chapitres – et du coup ils le sont parfois dans l’esprit du lecteur aussi), ces deux premiers versets renferment en quelques mots le drame messianique : celui que Dieu lui-même envoie n’est ni reçu ni cru.

Bien que Dieu ait montré à maintes reprises dans le passé qu’il agit souvent par surprise (cf. les infractions au droit de primogéniture, le choix de femmes stériles, l’élection d’un peuple de peu, etc.) et que ses voies sont paradoxales (Dieu ne singe pas l’homme, tandis que les idoles se jouent la comédie humaine), les hommes semblent n’en apprendre jamais la leçon. Ils reconstruisent sans cesse l’idole et la remettent sur son piédestal, pour dire à Dieu comment il doit être, ce qu’il devrait faire, et comment parler. Et il ne nous sert de rien de nous placer en notre for intérieur au-dessus de cet Israël qui ne l’a pas reconnu : nous sommes – hors la grâce de Dieu – exactement comme lui.


La racine de Jessé (image reprise d’Es 11 par Paul en Ro 15:12 en une citation composée ; de Jessé, on sait bien peu de choses) nous projette en arrière de plusieurs siècles dans les champs d’orge de Boaz. Le "fils de Jessé" (pas son premier-né !), fils d’Obed, fils de Ruth, est cité d’innombrables fois dans les livres historiques. Ailleurs, on ne le trouve que dans Ésaïe (Es 11:1,10), et fugitivement dans la clôture du Livre II des Psaumes (Ps 72:20). Dans le NT, il ne figure que dans les généalogies (Mt, Lc) et dans la bouche de Paul (Ac 13:22 ; Ro 15:12).

Jessé n’est quasiment jamais cité pour lui-même, mais constamment en tant que père de David.

Le rejeton, la racine improbable, la plante desséchée qui a repris vie, c’est d’abord lui, par sa mère : "Un fils est né à Naomi !"

Cette ancienne ascendance témoigne en fin de compte de la fidélité de Dieu envers son peuple :


"Témoins ! Que le SEIGNEUR rende la femme qui entre dans ta maison comme Rachel et comme Léa qui ont bâti, elles deux, la maison d’Israël ... comme la maison de Pèreç que Tamar enfanta à Juda !" TOB


Mais déjà là, le nom étrange de Perets remonte à une étrange fidélité de Dieu envers une "prostituée" méprisée, loyauté qui passe par-dessus les attentes et les stratagèmes humains.

Perets, c’est déjà un premier rejeton non désiré, imprévu, scandaleux.

Puis dans Ésaïe, sera repris le fil d’un Dieu se manifestant de manière inattendue dans l’insignifiance, la faiblesse et la pauvreté.

Ainsi l’image du rejeton (Es 11:1,10 ; 60:21), de la racine (27:6 ; 37:31), du germe (4:2 ; 61:11).

Dieu voyage incognito, telle est l’impression que l’on retire à la lecture des ces deux premiers versets. Si assurément on peut les appliquer au peuple choisi pour son insignifiance ("le moindre de tous les peuples" De 7:8), et réduit de surcroît à peu de chose par l’exil, ou encore au prophète méprisé, représentant de tous les autres envoyés méprisés, il était loin de l’esprit des Israélites du temps et d’après, que le messie, figure imprécise mais porteuse de l’onction qui meut le bras de Dieu, puisse ainsi être dépeint : un messie pauvre ? fragile ? effacé ? Voilà qui est dérisoire.

(il y a néanmoins une veine de la tradition juive qui envisage un messie souffrant)


Car un messie agit et brille de force :


"Ainsi parle le SEIGNEUR à son messie :

À Cyrus que je tiens par sa main droite,

pour abaisser devant lui les nations,

pour déboucler la ceinture des rois,

pour déboucler devant lui les battants,

pour que les portails ne restent pas fermés." TOB


Assurément, on ne peut y voir Jésus que dans une lecture à rebours.

Ce que les premiers disciples ont appris à faire de la bouche de Jésus même (Lc 24:27,32,45).

(Cf. à lire : Hays, Richard B. 2015. Reading Backwards. SPCK Publishing)


Voilà donc le lecteur, même chrétien, décalé, déplacé dans son esprit et dans ses attentes.

Comme les rois, nous restons bouche close, ne sachant plus que dire d’étonnement (Lc 24:41).

Et comment se glorifier, nous chrétiens, "d’avoir compris" ce que "les Juifs" n’ont pas compris ou ne veulent pas comprendre ?

Qu’avons-nous compris ? Qu’ai-je compris, reçu ?

Nous ne pouvons que nous taire, ou balbutier un peu de louange. Mais nous sommes loin du compte. Nous ne pouvons que lui demander de rester quand c’est le soir, tandis qu’il semble vouloir aller plus loin. Et nous lui servirions quelque chose à manger.


Nous étions comme une terre desséchée, assoiffée (NBS), aride (TOB), altérée (MARTIN).

Et c’est ce que nous sommes.

Nos yeux cherchent encore la force, la beauté, la prestance. Nous déguisons ce désir charnel en "évangile de gloire". Nous suivons instinctivement des yeux ce qui charme et qui flatte. Nous sommes vite subjugués par l’agrément, ou au contraire par l’aliénation de soi quand il plaît à la chair de s’accoutrer de ce déguisement-là. Nous aimons la lumière artificielle, le brillant factice, l’emphase vide.

Nous ne pourrions pas être un messie. Et s’il venait nous ne le verrions pas.

Mais nous continuerons à tâcher de le voir et de l’entendre, en lisant, relisant, et nous relisant ces paroles les uns aux autres.

C’est d’ailleurs visiblement le seul moyen que Dieu ait trouvé pour tâcher de nous parler et de nous atteindre.

Car sous nos pieuses protestations et nos petites arrogances, nous risquons bien nous aussi de ne pas voir et de ne rien entendre (Es 6:9).

Mais cette misère du Messie est la guérison de notre misère, si toutefois nous voulons être guéris.


§§§

v. 3 Le méprisé
v. 4 Frappé de Dieu ?