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Ésaïe 51 – Promesses

Es 51 – Promesses

1-8 / Cette partie peut être divisée en 3 sections, chacune introduite par une exhortation à écouter :

- v. 1 "Écoutez-moi"

- v. 4 "sois attentif"

- v. 7 "Écoutez-moi"


1 "le rocher… la fosse… v. 2 Abraham… Sara"

S’il n’y avait eu le v. 2, on aurait pensé que le rocher, c’est Dieu et lui seul (cf. De 32:18 par ex).

Et la fosse ce pouvait être l’Égypte, ou comme c’est souvent le sens, la tombe, le séjour des morts.

Pour rester dans Ésaïe, voir 14:15 et 38:18.

Ou bien la fosse spirituelle (38:17 "le néant").

Ou encore la fosse de l’exil, de la prison : v.14, ici.


Le v. 2 nous détrompe et de façon assez inattendue, et fait un parallèle audacieux :

- le rocher, c’est Abraham et "lui seul" (je reviendrai sur ce "lui seul") et rocher dans le sens de carrière, d’où l’on taille des pierres pour construire

- la "fosse", c’est le ventre de Sara, au sens de carrière d’où ils ont été extraits.

Mon sentiment en outre est que "rocher" et "carrière" parlent plus de petitesse que de grandeur.

Dans le sens de la modestie de l’origine d’Israël : un couple âgé et stérile, désolé comme l’était alors Juda en exil.

Dans le sens d’une antiphrase : un couple stérile, voilà le grand rocher d’où vous avez tirés (pour dire : voilà votre pauvre et humble origine !).

Et de ce père et cette mère sans force, Dieu a fait toute une nation !

C’est invraisemblable, mais il est capable de le faire à nouveau avec une Sion en ruines (v. 3) et une nation dans la douleur et les gémissements (v. 11).


NIBC : "… here the rock is Abraham and the quarry is Sara"

BFC :

"Considérez dans quel rocher vous avez été taillés,

pensez à la carrière d'où vous avez été tirés"


Idem NIV :

"Look to the rock from which you were cut

and to the quarry from which you were hewn;

look to Abraham, your father,

and to Sarah, who gave you birth."


Sara n’est citée qu’ici dans le livre, mais suivre le fil d’Abraham dans tout le livre est assez instructif :


Es 29:22 "C’est pourquoi ainsi parle Yahweh à la maison de Jacob, lui qui a racheté Abraham…"

Es 41:8 "Mais toi, Israël, mon serviteur, Jacob, que j’ai choisi, race d’Abraham mon ami"

Es 51:2 (ici) "Abraham votre père"

Es 63:16 "Car vous êtes notre père; car Abraham nous ignore, et Israël ne nous connaît pas.

Vous, Yahweh, vous êtes notre père;  notre Rédempteur : c’est votre nom dès les âges anciens."

(CRAMPON)

Ou selon MARTIN :

"Certes tu es notre Père, encore qu'Abraham ne nous reconnût point, et qu'Israël ne nous avouât point ; Éternel, c'est toi qui es notre Père, et ton Nom est notre Rédempteur de tout temps."


Dieu appelle les exilés à se souvenir d’Abraham et de Sara, car Dieu s’est souvenu d’Abraham (Ge 19:29) et de Sara (Ge 21:1) !

Se souvenir d’Abraham et de Sara, c’est se souvenir de Dieu, de sa fidélité à son alliance.

La pointe de l’argumentation divine est celle-ci : il y a autant de probabilité pour les exilés de rentrer au pays et pour Sion de retrouver ses enfants (v. 18) qu’il y en avait pour ce couple de vieillards d’avoir un fils !

Et pourtant, souvenez-vous, Abraham eut un fils, et Sara aussi !


2 / Abraham et les nations

Comme un fil conducteur dans tout le livre, plus ou moins voyant, Abraham est présenté à la fois comme le porteur d’espérance pour Israël, mais aussi pour les nations.

Dans ce chap. voir vv. 4 et 5.


- "lui seul je l’ai appelé"

"car je l'appelai quand il était seul, et je l'ai béni et multiplié." CRAMPON

"comment je l'ai appelé, lui étant tout seul, comment je l'ai béni, et multiplié." MARTIN

"car quand il était seul je l'ai appelé, puis je l'ai béni et multiplié." NBS

"Abraham était sans enfant quand je l'ai appelé,

mais je l'ai béni, j'ai fait de lui l'ancêtre d'un peuple nombreux." BFC

"regardez Abraham, votre père, et Sara qui vous a mis au monde ;

il était seul, en effet, quand je l’ai appelé ; or je l’ai béni, je l’ai multiplié !" TOB


Le texte a : כִּי־אֶחָד קְרָאתִיו kî-’eḥad qera’tîw

"car un seul je l’ai appelé et je l’ai béni et je l’ai rendu nombreux" ATI (trad. Litt.)


On voit que SEGOND / NEG est solitaire dans sa traduction ambiguë : le sens est-il que Dieu l’a appelé alors qu’il était sans enfants (comme Sion alors – cf. Es 49:20 "ces fils dont tu fus privée"), ou bien que Dieu a appelé Abraham "lui seul", c’est-à-dire dans un sens exclusif : seulement lui et pas un autre (d’où un risque d’exclusivisme).

NEG a tort, selon moi, de laisser l’ambiguïté telle quelle sans s’engager.

Comment le lecteur, plus démuni que le traducteur par définition, pourra-t-il comprendre, surtout dans une bible sans notes par doctrine ?


Le sens est celui unanime dans les autres versions consultées : Abraham était seul, c’est-à-dire privé d’enfants.

Et le prophète rappelle que de cet homme seul (sans enfants), Dieu a fait un peuple (beaucoup d’enfants). Et c’est ce qu’il fera à nouveau avec Sion : veuve et privée d’enfants (vv. 18-20), elle les verra revenir (v. 11 // 49:17 "tes fils accourent").

On ne peut s’empêcher de faire un lien avec le développement de cette interprétation par Paul en Galates 4 !


4 "car la loi... ma loi"

// v. 7 "qui a ma loi dans ton cœur"

C’est torah, l’enseignement. Mais sans doute avec la nuance de l’enseignement de Dieu à propos de son plan pour Israël et les nations (le centre de ce chapitre, en somme).


- "ma nation… les peuples"

Ce passage est centré sur Israël (Juda plutôt, les 10 tribus du Nord – Israël – ne sont plus), qui est "ma nation".

Mais il est aussi dirigé vers "les nations" :

- v. 4 "la lumière des peuples"

- v.5 "les peuples… les îles"


C’est une reprise d’Es 42:1-4 et de Es 49:1-6, et déjà de Es 2:1-5.

C’est un fil conducteur dans tout Ésaïe en fait.


- "la lumière des peuples"

Une des très nombreuses mentions de ce thème constant dans Ésaïe.

Il est question de lumière pour les peuples / les nations ici et en Es 42:6 ; 49:6 ; 60:3.


5 "ma justice est proche, mon salut va paraître"

Pour GOLDINGAY / NIBC, c’est le signe que la prophétie a été écrite peu avant la chute de Babylone.

Lu depuis notre point de vue, nous savons que ce salut ne sera pas le dernier ni le dernier mot de Dieu pour Sion (v. 3, trois fois dans le chap.).

Jérusalem restaurée tombera encore et le peuple connaîtra encore d’autres exils, d’autres holocaustes, d’autres diasporas. Le v. 8 n’est certes pas encore accompli.

Il y a donc un élément de provisoire dans ces paroles (chose que les destinataires de la prophétie ne pouvaient absolument pas voir ni concevoir).

Ce sont ces textes prophétiques qui alimenteront la foi et l’attente de ceux qui attendent encore et à nouveau la consolation d’Israël bien après le retour d’exil, comme on le voit au début du NT (Siméon, Lc 2).

D’ailleurs, peu de croyants lisent et pensent ce passage dans son contexte, qui n’est qu’une vague arrière-scène floue, pour beaucoup sans intérêt ni pertinence pour la foi d’aujourd’hui.

La lecture chrétienne courante de ces textes les prend et les place instinctivement dans la perspective du retour de Jésus.

Même si cette lecture est juste – quelle autre pourrions-nous donc avoir ? – , ça ne fait pas pour autant de l’ignorance du contexte une vertu et un atout !


- "justice"

Dans le sens où Dieu va rétablir toutes choses.

"Justice" : 5 fois dans Es 51 (vv. 1,5,6,7,8), et 3 fais dans ce sens (vv. 5,6,8).


6 "le ciel… la terre… les cieux… la terre…"

Cf. v. 16 "les cieux… la


9-11 / retour définitif à Sion

À nouveau, les rachetés quitteront "l’Égypte" quand Dieu fraiera une seconde fois un chemin à travers "les profondeurs de la mer" (v. 10).

Lu tel quel, ce passage donne l’impression que ce sera alors un retour définitif. Les termes employés sont ceux réservés au royaume de Dieu (plus de larmes, plus de douleur, une joie éternelle).

Le v. 11 est un refrain de Es 35:10.

Mais nous savons a posteriori que ce n’était pas encore la dernière scène du dernier acte.

Hélas, après ce retour-là et un bref temps d’une gloire assez pâle par rapport à la gloire passée, que d’exils, que d’Égypte, que d’afflictions inouïes devant Israël !

Que de siècles de souffrance encore en réserve !


- "réveille-toi, réveille-toi"

// v. 17 idem, pour Jérusalem.

Ici, le prophète lance un défi à Dieu : agis comme tu l’as fait dans les anciens âges, cesse de dormir !

Ce que tu as fait une fois, tu peux le refaire une seconde fois.

NIBC suggère que comme en Jug 5:12 (seul autre endroit en dehors d’Ésaïe où l’on trouve "réveille-toi, réveille-toi"), c’est Debora qui exhorte Debora, de même ici ce pourrait être Dieu qui s’exhorte lui-même.

En effet, rien n’indique un changement de personne.

Cette suggestion est séduisante, et accentue la force poétique et spirituelle du passage.

Et si cette lecture est juste, alors quel encouragement pour notre foi !

Cela va aussi dans le sens et l’esprit de ce grand livre prophétique, qui par moments montre un Dieu tellement humain.

Ainsi, de même qu’ici il s’exhorte lui-même à agir, ailleurs on le voit se retenir d’agir, tel un homme qui prend sur soi :

Par ex. Es 42:14 :

"Depuis toujours je garde le silence, je me tais, je me contiens ;

comme une femme en travail je gémis, je suffoque et je suis haletant."


Ici telle une femme, même !

Ce serait d’ailleurs une piste à suivre plus avant dans tout le livre.


9 "le monstre… l’abîme"

La sortie d’Égypte passée est rappelée pour servir d’ancre à la foi pour la restauration à venir. Les termes employés sont des images mythiques, qui à la fois rappellent la création (la sortie du chaos des eaux primordiales – l’abîme – et le domptage du monstre – les ténèbres, le léviathan) et suggèrent plus que la création et l’exode : une nouvelle rédemption.

De même que la création a été couchée en un récit mythique fait pour suggérer plus que pour renseigner scientifiquement, de même la sortie d’Égypte est habillée ici de langage mythique, pour signifier plus qu’un simple récit historique.

Il est impossible de lire l’Écriture sans être sensible à sa facture littéraire. Une simple lecture "technique" (de l’histoire, de la science) n’est pas une lecture qui lit, mais qui injecte dans le texte des préoccupations qui lui sont entièrement étrangères, surtout dans des textes prophétiques comme celui-ci.

De même que le Dieu créateur sépara les eaux d’en haut et d’en bas pour faire paraître le sec, de même le Dieu de la Pâque a étendu la main sur la mer (Es 23:11) et sépara les eaux du "grand abîme" (Es 43:16) pour laisser passer le peuple à pied sec, et de même le Dieu de Sion ouvrira la mer une seconde fois (Es 11:11), pour un second exode, hors de Babylone cette fois, à travers le désert de la mer, qu’on traversera "avec des souliers" (Es 11:15 – lire tout Es 11:11-16 pour ce second exode et le parallèle entre la sortie d’Égypte et la sortie de l’Assyrie / Babylone).


- "l’Égypte"

Je ne m’explique pas pourquoi ici NEG met "Égypte" alors que le texte a "Rahab" :

הֲלֹוא אַתְּ־הִיא הַמַּחְצֶבֶת רַהַב מְחֹולֶלֶת תַּנִּֽין׃


Vu le contexte ("Rahab" signifie fierté, insolence, orgueil) et le langage poétique du passage (terrible poésie !), "Égypte" est juste mais bien fade.

Cf. Ps 89:11.


- "le monstre"

Mot de la langue mythique : serpent, dragon, monstre marin.

Ici, comme au commencement, Dieu est aux prises avec les eaux du chaos, l’abîme.

Cf. le léviathan d’Es 27:1, l’hippopotame et le crocodile de Job 40-41 (assurément pas les animaux de nos zoos).

On retrouve ces mêmes motifs dans les mythes de création de l’Orient ancien, c’est connu (au moins de ceux qui lisent un peu écouter aussi Les monstres marins sur RCF avec Anna Angelini, émission du 17/08/2016 https://rcf.fr/spiritualite/les-monstres-marins-aa-33).

Voir aussi le Ps 104 (le début surtout), où la création est décrite en termes guerriers : Dieu, dont le trône est au-dessus des eaux, conquiert les forces de l’abîme.

NBS donne là une traduction imagée singulière, dont le langage poétique s’apparente à celui avec les mythes de création anciens :


"Il fixe sur les eaux ses chambres à l'étage, il prend les nuages pour char, il s'avance sur les ailes du vent.

il fonde la terre sur ses bases, jamais, jamais elle ne vacillera.

De ses chambres à l'étage il arrose les montagnes ; la terre est rassasiée du fruit de tes œuvres."


12-16 / Dieu parle, affirme, console, promet

C’est un passage de résolution divine.

Il n’est pas facile de savoir à chaque fois à qui Dieu s’adresse.

Il semble se tourner tantôt vers les fidèles (en exil, v.12), tantôt vers le prophète (v. 12, fin ?), tantôt vers un personnage juste esquissé, une sorte de médiateur céleste (v. 16) qui parle comme Dieu.

Ici encore, la certitude de l’action de Dieu (et de sa capacité à agir : car à quoi bon un Dieu qui voudrait agir sans pouvoir le faire ?), c’est sa puissance déployée lors de la création (v.13).

Le fil mythique des antiques eaux vaincues (v. 15, motif sur lequel se superpose celui des eaux de la Mer Rouge et du Jourdain) est encore repris comme un refrain de la pensée.

Cette démonstration de force offerte à la foi des captifs se termine par un verset mystérieux, qui emporte bien plus loin que le retour vers la terre natale.

Ici (v. 16), Dieu s’adresse à quelqu’un qui a la parole de Dieu dans sa bouche – une Parole –, qui est revêtu de son Esprit ("l’ombre de ma main"), et qui est au principe d’une nouvelle création et d’un nouveau peuple ("tu es mon peuple").

Il n’est ni utile ni judicieux de vouloir à toute force expliciter plus loin ce verset.

Toute sa vigueur lui vient au contraire de sa force de suggestion.

La colère de l’oppresseur destructeur (v. 13) sera ainsi domptée comme le fut le monstre (v. 9).

En parodiant Os 13:14 et Es 25:8, que Paul fond dans une unique citation en 1 Co 15::5, on pourrait dire :


Ô Destructeur, où est ta colère ?

Ô Oppresseur, où est ta fureur ?


12 "c’est moi qui vous console"

Ésaïe, le livre de la consolation d’Israël.

Comme en 40:1-2, consoler c’est délivrer : consoler Israël, plus que des paroles, c’est le libérer du destructeur. Mais ce sont les paroles qui accrochent la foi.


- "l’homme mortel, le fils de l’homme"

Ce n’est pas une généralité : il s’agit de Babylone, qui va durer ce que dure l’herbe puis sécher. Il mourra, tandis que le fidèle exilé sera retiré de la fosse babylonienne (v. 14).


13 "qui t’a fait"

NBS dit plus litt. "celui qui te fait".


15 "qui soulève la mer et fait mugir les flots" (v. 15)

Fait écho au v. 13 : c’est le Dieu créateur qui les délivrera, il n’y a donc pas à s’interroger sur sa capacité à le faire !

Selon NIBC (Notes), au lieu de soulever, exciter (TOB "j’excite la mer"), activer (BFC "j’active la mer") le premier verbe pourrait signifier "calmer" la mer [ רֹגַע הַיָּם ]. En effet ATI traduit litt. "apaisant la mer".

Mais dans ce cas, c’est peu cohérent avec la fin du verset.

MARTIN traduisait "qui fend la mer".

ST (dictionnaire hébreu-français) donne les deux nuances, en effet : agiter, troubler, gronder, fendre (pour la mer).

On trouve la même expression en Job 26:12

"Par sa force il soulève la mer [ רָגַע הַיָּם ], par son intelligence il en brise l'orgueil."

Cf. Ps 89:10.


16 "Je mets mes paroles dans ta bouche…"

Une interprétation alternative à celle ci-dessus peut voir ici Dieu s’adresser à tout le peuple (GOLDINGAY / NIBC).

Ces lectures ne sont pas exclusives l’une de l’autre.

On voit exactement cela en Es 49:6 : Dieu s’adresse au prophète, mais aussi à quelqu’un d’autre que lui, et beaucoup plus puissant. Mais en même temps, Paul le lit de façon à se l’approprier (Ac 13) :


"nous nous tournons vers les païens, car tel est bien l’ordre que nous tenons du Seigneur :

« Je t’ai établi lumière des nations, pour que tu apportes le salut aux extrémités de la terre. » "


- BFC reformule tout le verset de façon très suggestive :


"Je remets en place le ciel, je replace les bases de la terre,

et je dis à Jérusalem : « C'est toi qui es mon peuple ;

je te confie mon message, je te mets à l'abri de ma main. »"


NBS a :


"J'ai mis mes paroles dans ta bouche et je t'ai couvert de l'ombre de ma main,

en étendant un ciel et en fondant une terre, en disant à Sion : Tu es mon peuple !"


// v. 13 "qui a étendu les cieux et fondé la terre"


NEG / Segond dit "de nouveaux cieux… une nouvelle terre".

Or le texte n’a certes pas "nouveaux… nouvelle" !

Jouant ainsi sur une connotation qui vient de soi, mais absente du texte !

TM לִנְטֹעַ שָׁמַיִם וְלִיסֹד אָרֶץ

Sans doute le sens (en lien avec le v. 13) est-il celui que donne mieux TOB :


"J’ai mis mes paroles dans ta bouche,

dans l’ombre de ma main je t’ai abrité

en plantant les cieux, en fondant la terre

et en disant à Sion : « Mon peuple c’est toi ! »"


17-23 / Dieu renverse les choses

Après la coupe d’étourdissement, des habits de fête (52:1).

Ce passage est à lire avec le suivant, les deux allant ensemble :


51:17 "Réveille-toi, réveille-toi! lève-toi, Jérusalem"

52:1 "Réveille-toi! Réveille-toi! … Sion… Jérusalem!"


En plus de cette accroche "Jérusalem" entre les deux chapitres, il y en a une autre : se réveiller pour se revêtir :


51:9 "Réveille-toi, réveille-toi! revêts-toi de force, bras de l'Éternel ! Réveille-toi..."

52:1 "Réveille-toi! Réveille-toi ! revêts ta parure, Sion ! Revêts tes habits de fête, Jérusalem, ville sainte !"


La construction littéraire est remarquable.

Si on retient le sens signalé plus haut pour le v. 9, d’autant plus.

1) Dieu ordonne à Dieu de se réveiller de son inaction ! (51:9)

2) puis Dieu ordonne à Sion (en fait, aux exilés à Babylone!) de se réveiller de leur étourdissement (51:17)


Même si en apparence et pour le moment, rien n’a changé et tout est encore comme avant.

GOLDINGAY / NIBC fait ressortit ici le quadruple désolant portrait de Sion :

- l’invité empoisonné par la coupe qu’on lui a offerte (NET : "the intoxicating wine")

- la mère privée de ses enfants

- l’épouse délaissée

- l’esclave humiliée (le v. 23 parle peut-être de viol)

Cf. Jos10:24 (pour le traitement infligé aux ennemis), ou Ps 129:2-3 (pour celui infligé par lui).


Dieu annonce l’inversion des rôles : la coupe de vertige sera tendue à l’oppresseur ! (v.22).


17 "jusqu’à la lie la coupe d’étourdissement" אֶת־קֻבַּעַת כֹּוס הַתַּרְעֵלָה

"la lie de la coupe du vertige" RABB.

Selon ST, קֻבַּעַת qouba῾at peut signifier "lie" (ce qui s’attache au fond), ou bien vase servant de coupe, calice.

Ainsi TOB a "la coupe [qouba῾at] du calice de vertige"

// v. 22 "la coupe du calice de ma fureur".

La coupe comme épreuve ou châtiment à traverser jusqu’au bout est une image fréquente, surtout dans le NT (Ez 23:32,33 ; Ha 2:16 ; Mt 20:22 ; 26:39,42 et par. ; Jn 18:11 ; Ap 14:10 ; 16:19 ; 18:6)


19 "qui suis-je pour te consoler" NEG / NBS / Colombe

"qui te réconfortera" BFC, TOB, LXX, Vulgate, qui suivent la v.l. à la 3e pers. de Qa (ms. Mer Morte).

C’est plus plausible que la leçon de Qa soit originale :

- le parallèle entre les deux parties du verset est préservé

- Dieu se défendant de pouvoir consoler est étrange (cf. v. 12 pour juste l’inverse !) et la syntaxe de "Qui suis-je pour te consoler ?" est abrupte (litt. "qui je te consolerai")


- "les malheurs t’ont frappée par deux" BFC


21 "écoute ceci" שִׁמְעִי־ נָ֥א

Un chema Israël !


23 / Idem, BFC rend le texte avec une vivacité qui amplifie la violence qu’il renferme :


"Je la tends à tes bourreaux,

eux qui te disaient : “À plat ventre,

pour que nous te marchions dessus ! ”

Et tu avais dû offrir ton dos

comme le sol d'une rue à ceux qui te marchaient dessus."



Que retirer de ce chapitre antique ?

Dans la traversée de cet océan qu’est le livre d’Ésaïe, on se retrouve plus d’une fois comme perdu en mer, ne sachant plus très bien d’où l’on vient ni où l’on va.

S’attarder sur un passage ou un chapitre, c’est comme faire escale sur une île pour faire une pause, se repérer, retracer son chemin, et lever les yeux vers le ciel pour discerner la direction.

Le lecteur pressé se condamne à rester étranger à ce livre. Et qui n’est pas prêt à d’abord s’immerger dans son monde pour le laisser ensuite parler au nôtre sera semblable à ces touristes qui ne voient rien du pays qu’ils visitent et qui en parlent ensuite savamment…

En général ces lecteurs-touristes approximatifs ont déjà un mini-Ésaïe dans leur tête, avec juste quelques textes choisis – grands textes néanmoins s’il en est – et qui leur suffit.

Et les prédicateurs de nos milieux n’ont pas le temps, eux non plus, de les exposer aux croyants.

Si le judaïsme est la religion de l’étude (et chez le grand nombre), le christianisme "populaire" est celle de l’école buissonnière : on a mieux à faire que d’étudier les Écritures ("À quoi ça sert ?").


À l’inverse, laisser ces textes dans un passé figé fera d’eux des pièces de musée, intéressantes certes mais sans plus.

Notre défi est donc de combler le fossé entre alors et maintenant, tout en respectant la lettre et le texte, sans verser dans la fantaisie.

Notre défi est de connecter ces textes antiques avec la réalité présente, notre réalité, pour qu’une prophétie millénaire nous devienne parole de Dieu.

Notre défi est de desceller ces antiques oracles (Es 8:16 ; 29:11) sans tomber dans l’anachronisme et l’interprétation sauvage.

Qui peut se louer d’y parvenir toujours sans faire violence au texte, sans aide, et sans présumer de soi ?


La lecture de ce chapitre donne l’impression d’un salut imminent pour l’Israël exilé, d’un retournement de situation tout proche pour Sion.

Oui, ils sont bien rentrés dans la terre natale, et c’était comme un rêve :


"Au retour du SEIGNEUR, avec le retour de Sion,
nous avons cru rêver."
Ps 126:1 TOB


Mais qui ignore que ce second exode, cette seconde entrée en Canaan, cette seconde Jérusalem, ce second temple n’ont eu en réalité qu’une gloire seconde ?

Les jours anciens étaient bel et bien passés, et le cours de l’histoire du peuple par la suite ne s’est pas déroulé selon ce qui nous semble ici un script clair écrit d’avance.

Il devait y avoir quelque chose d’autre en réserve pour le peuple de Dieu, si les paroles du prophète sont véritables.

En effet, point de rétablissement magnifique de la ligne davidique sur le trône, les Perses les avaient mis en une sorte de liberté surveillée (depuis 539 jusque vers 330), puis ce fut au tour des Grecs de mettre leurs pieds sur leur cou (jusque vers 160). La fameuse révolte des Maccabées (en 167 – cf. la fête de Hanoucca ou festival des lumières ; en grec τὰ ἐγκαίνια "Encénie" / renouveau ; la fête de la Dédicace dans Jn 10) a engendré un court répit (jusque vers 60) où après les sentiments nobles du début, les intrigues de cour, les collusions entre religieux et politiques, les ambitions de règne n’ont eu rien à envier aux ordinaires turpitudes des règnes païens.

Jusqu’à l’entrée en scène des Romains, qui vont "remettre de l’ordre dans la maison", et qui sont là avec nous dès les premiers instant où nous lisons le NT.

Puis 2000 ans de nouvelles diasporas, et la remise en route selon certains de l’horloge de Dieu depuis 1948, fameusement illustrée par le phénomène de librairie de 1970 (30 millions d’exemplaires vendus, un énorme business) que fut The Late Great Planet Earth (en français L’agonie de notre vieille planète), toujours en vente (!) quoique discrédité par ses suggestions de date de la fin (Mt 24 aurait prédit, selon lui, le retour de Christ pendant la génération qui a suivi la création de l’État d’Israël), une nouvelle fois démenties par les faits. Dans son livre The 1980s: Countdown to Armageddon, il persistait dans les spéculations en suggérant que la décennie des années 1980 serait sans doute la dernière de l’histoire.

cf. https://en.wikipedia.org/wiki/The_Late,_Great_Planet_Earth

Et aussi ici, pour d’autres curiosités (sous réserve, je ne connais pas ce site), où il aurait ensuite décalé à la prise de Jérusalem en 1967 le "top départ" des 40 ans de la génération de la fin.

http://rationalwiki.org/wiki/Hal_Lindsey


Pendant que les eschatologistes s’emparent des textes et occupent leurs lecteurs aguichés par ces jeux d’horloge, Es 51 – et tout Ésaïe – est là, depuis des siècles, attendant ses lecteurs et ses expositeurs.


Parvenus à la dernière ligne du chapitre, on se demande si on a lu correctement.

Où sont cette remise en place du ciel, cette réparation des bases de la terre dont parlait le prophète (51:16), qui semblaient pourtant à portée de la main ?

Ont-ils vraiment obtenu ce qui leur avait été promis (Hé 11:39 ?) ?

Assurément, des siècles plus tard, les Siméon attendaient toujours la lumière (Lc 2:36).


Un autre aspect à considérer dans ce chapitre, c’est l’image de Sion comme mère (vv. 18-20).

Nous savons tous que les malheurs d’une nation sont avant tout les malheurs des mères :


« Écoutez : on entend une plainte à Rama, des pleurs amers.

C'est Rachel qui pleure ses enfants ;

elle ne veut pas être consolée de les avoir perdus. » Jé 31:15 BFC


Ne parlez pas à Rachel des grandes causes qui réclament le sacrifice de ses enfants !

Ne vous avisez pas de débiter de beaux versets bibliques pour endormir sa douleur.

La Grande Histoire nous échappe, nous ne saurions la saisir, elle aura soin d’elle-même, et Dieu s’en occupera.

C’est notre histoire qui est pour nous l’histoire de Dieu.

Je ne vois donc qu’une voie pour nous approprier si possible ces textes.

Une voie double :

- les lire à la lumière de Christ

- les lire à la mesure de notre vie


Je relis donc Es 51.


Oui, nous porterons les regards vers Abraham, et nous regarderons vers les étoiles

malgré l’obscurité : elles mesurent la fidélité de notre Dieu, si on peut les compter.

Et vers Sara, la mère des mères.

Et nous espérerons que la bénédiction et la parole germeront sur les ruines et le silence.

Et que la lumière sera, au fond de nous et sur notre maison.

Réveille-toi de ta torpeur, bras du Seigneur : Es-tu paralysé ? Crains-tu le monstre ?

Ne reste pas assis, lève-toi, debout !

Rachète-nous, rachète-nous encore.


Ouvre un chemin, que nous puissions chanter des cantiques.

Nous ne pouvons t’oublier, et à chaque instant nos pensées sont à toi.

Nous ne tremblerons plus devant le destructeur. Redresse-nous, et nous nous redresserons.

Descends dans la fosse, ou tends-nous la main.

Libère nos poignets et nos chevilles de leurs fers.

Donne-nous ta parole.


Les malheurs sont venus par deux, et même par trois.

Nos fils défaillent à ta menace : cesse de menacer ! Quel Dieu es-tu donc ?

Notre âme est comme la veuve, étourdie de peine.

Tends donc ta coupe à d’autres à la fin !

On a marché sur notre dos, on a passé sur notre âme, on a écrasé notre esprit.

Redresse-nous, et nous nous redresserons,

Rocher d’Abraham, ton ami.