1 Co 11:17-34 – Quelques remarques de Gordon FEE sur 1 Co 11:27-32 ("Discerner le corps") et 33-34 ("S"attendre les uns les autres")
La réponse de Paul au problème corinthien : leur manière de prendre le Repas du Seigneur
Je laisse parler bien meilleur interprète que moi sur ce passage souvent lu à contresens.
Extraits de :
Le commentaire de FEE fait référence. Il a paru dans la très connue série du New International Commentary on the New Testament, dont il a été un temps le directeur.Fee, Gordon D. 2011. The First Epistle to the Corinthians. Wm. B. Eerdmans Publishing.(j'utilise l'édition de 1987 ; ma traduction)
p. 558
Le souci de Paul n'est pas simplement personnel et introspectif. Le salut à travers la mort de Christ a créé une nouvelle communauté de personnes qui portent son nom. Nous passons à côté de l'essentiel de ce paragraphe si nous concevons la Table du Seigneur seulement en fonction de nos besoins personnels et non pas également de ceux des autres.
p. 559
Comme au fil de l'histoire ce paragraphe a été longtemps lu indépendamment de son contexte d'origine, on en a fait une interprétation également coupée du contexte, un problème aggravé de surcroît par diverses difficultés de texte.
p. 560 (v. 27 "indignement")
Cette partie ne traite que d'une chose : la manière indigne dont était partagé le repas. Malheureusement, cet adverbe a été traduit "indignement" dans la KJV ([la version anglaise du Roi Jacques]. Comme cet adverbe anglais semble plus applicable à la personne qui mange qu'à la manière dont le repas est mangé, ce mot est devenu une sinistre menace pour des générations de chrétiens de langue anglaise.
[NB : tout aussi vrai en français et pour les croyants de langue française !]
En note :
Cela est particulièrement vrai pour les segments piétistes de la tradition protestante. Les gens sont "indignes" s'ils ont un péché dans leur vie, ou bien s'ils ont commis des péchés durant la semaine écoulée. Il en est résulté une manière de lire le v. 28 personnellement et introspectivement, de sorte que le but de cet examen de soi était de devenir digne de la Table du Seigneur de peur de tomber sous un jugement. Une telle interprétation, menant à la fois à l'appréhension de la Table du Seigneur et à la culpabilité d'avoir peut-être pris le repas indignement, a été une véritable tragédie pour d'innombrables croyants.
La préoccupation de Paul est en lien direct avec les versets 20-22, où certains font injure à d'autres à la Table du Seigneur avec leur propre repas pris à part.
En note :
Chrysostome avait parfaitement reconnu cela. Malheureusement, un intérêt porté surtout à la Table du Seigneur en soi et au sacramentalisme a conduit souvent à lire le texte indépendamment de son contexte, de sorte que toute une variété d'autres options ont été suggérées pour "indignement" : sans examen de soi, sans réaliser la présence réelle, sans contempler le corps crucifié de Christ, sans aucune forme de péché dans sa vie, etc.
p. 561 (v. 28)
Le problème vient de l'impératif "Que chacun donc s'éprouve soi-même", qui avec le v. 27 a été la cause d'incalculables anxiétés dans l'Église. Il ne s'agit pas d'un appel à une profonde introspection personnelle pour savoir si l'on est digne de la Table du Seigneur.
p. 562
Puisqu'ils seront "examinés" par Dieu à la Fin – et en effet, leurs maladies font partie de cet "examen" présentement – ils devraient s'examiner eux-mêmes maintenant concernant leur attitude, spécialement leur conduite à l'égard des autres à la Table du Seigneur.
Ce n'est pas tant une menace qu'un appel à une attitude vraiment chrétienne à la Table du Seigneur. C'est en ce sens que les Corinthiens sont pressés de s'examiner eux-mêmes. Leur conduite a trahi l'Évangile qu'ils disent embrasser.
p. 562 (v. 29)
[… il faut voir] les paroles de l'institution [de la Cène] elles-mêmes comme une partie de la correction apportée à la situation décrite aux versets 17-22.
p. 563
Vraisemblablement le terme "corps", même si c'est le terme des paroles de l'institution [de la Cène] au v. 24, rappelle délibérément l'interprétation du pain en 10:17 que donne Paul, indiquant par là qu'il est question du problème corinthien lui-même : celui des riches faisant injure aux pauvres. Tous les indices pointent dans cette direction.
p. 565 (v. 30)
Ce qui intrigue dans ce passage est ce qui n'est pas dit, ce qui est impliqué. Paul ne voit probablement pas le jugement comme un cas de "un pour un", c'est-à-dire que c'est celui qui a maltraité l'autre est celui qui tombe malade. C'est plutôt que toute la communauté a été affectée par les actions de certains, ceux qui créent des divisions à l'intérieur de l'unique corps de Christ. Sans doute la vague de maladies et de décès qui les a récemment frappés est-elle vue comme l'expression d'un jugement divin sur la communauté entière. […] En tout cas Paul ne dit pas que la maladie chez les chrétiens doit être vue comme un jugement pour le temps présent, ni que la maladie est nécessairement liée à la manière dont est pris le Repas du Seigneur.
Mais en l'occurrence, il a été dit prophétiquement que pour eux c'était le cas.
p. 566-567
Comme cela a été noté à plusieurs reprises, la manière dont ce paragraphe a été compris dans l'Église est une histoire malheureuse. La Table même qui est le rappel par Dieu de sa grâce et le don renouvelé de sa grâce, la Table où nous affirmons à nouveau qui nous sommes et à qui nous sommes, est devenue une table de condamnation pour ceux qui précisément avaient le plus besoin de l'assurance d'être acceptés que donne cette table : ceux qui sont pécheurs, faibles, fatigués.
La condition pour prendre part au Repas du Seigneur n'est pas de "se débarrasser du péché dans sa vie". Ici, par la foi l'on peut une nouvelle fois recevoir l'assurance que "Christ reçoit les pécheurs".
p. 567
La solution est simple et directe : d'une part, lorsqu'ils se rassemblent pour manger, ils devraient "se recevoir" ("s'accepter", "s'accueillir", "s'attendre") les uns les autres ; d'autre part, s'ils veulent manger somptueusement, ils devraient le faire chez eux, séparément de ce repas. […] Paul veut dire que dans la communauté, les riches devraient manger ce que mangent les autres. […] Ainsi, finalement, la solution pragmatique est directement liée à l'avertissement théologique qui précède.
p. 568-569 (v. 34)
Cet avis pratique s'adresse premièrement aux riches, dans les maisons desquels l'Église se rassemble. […] Si vous voulez satisfaire vos désirs pour la sorte de nourriture que les riches ont l'habitude de manger, faites-le chez vous, mais pas dans le contexte de l'assemblée réunie, où certains "n'ont rien" et sont ainsi humiliés (versets 21-22).
Que telle est bien l'intention de Paul est confirmé par la dernière partie de la phrase, qui rejoint le motif du jugement des versets 28-32 : "afin que lorsque vous vous réunissez, il n'en résulte pas un jugement". […] Ils se rassemblent pour manger le Repas du Seigneur, mais ce faisant, ils "dévorent" leur propre repas en privé avec leurs morceaux de privilégiés, humiliant ainsi ceux qui n'ont rien.
Puisqu'ils ont ainsi traité si mal la Table du Seigneur, sans proclamer le salut qui est signifié par ce repas et sans "discerner le corps du Seigneur, l'Église", ils font maintenant l'expérience du jugement divin. Le remède est simple : "Lorsque l'assemblée se réunit, attendez-vous les uns les autres en vous accueillant pleinement à la Table du Seigneur". De plus, comme Paul le dit au v. 22, "Puisque vous avez vos propres maisons pour y manger et y boire, prenez vos repas "privés" chez vous". Et la raison en est d'éviter tout nouveau jugement.
On peut se demander si en considérant ce texte comme traitant d'un examen de soi, nous n'avons pas par là détourné la préoccupation principale du texte, mettant plus l'accent sur le repas du Seigneur que sur nos relations les uns avec les autres dans le corps du Christ.
[…] Ce n'est pas une coïncidence si Paul commence la section suivante, où il apporte des corrections à propos des dons spirituels, en la plaçant une fois de plus dans le contexte de l'unité du corps, où tous les membres ont un égal souci les uns des autres.
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Pour conclure, je reprendrai la teneur de l'introduction de FEE à tout ce passage (versets 17 à 34).
Il s'agit des divisions entre riches et pauvres pendant le repas du Seigneur. Déjà en 10:17 il avait fait allusion à l'unité de l'unique corps de Christ dont le pain unique était le symbole. Leur divisions pendant le repas lui-même est une trahison et une négation de cette unité que le repas en commun est censé proclamer.
En faisant honte à ceux qui n'ont rien, certains méprisent l'Église elle-même. Paul leur enjoint de "discerner le corps", de peur de se placer eux-mêmes sous la même condamnation que ceux qui ont crucifié le Seigneur (v. 27).
Les chrétiens devaient sans nul doute se réunir dans les maisons des riches, les seules assez grandes pour pouvoir prendre ensemble le Repas du Seigneur. La salle à manger de ces maisons (le triclinium) ne pouvait en général contenir que peu de convives ; la majorité d'entre eux devait donc manger dans ce qui était comme une cour d'entrée (l'atrium), où pouvaient prendre place 30 à 50 invités en moyenne.
Même si nous ne connaissons pas le détail de la façon dont les Corinthiens prenaient le Repas du Seigneur, il est vraisemblable que dans une société marquée par les différences de classe, les riches mangeaient des repas confidentiels de riches avec leurs amis riches dans le triclinium.
L'apôtre ne s'attaque pas aux différences sociales comme telles, mais indirectement, en leur cœur, comme il le fera pour l'esclavage dans la lettre à Philémon.
En transportant leur statut de privilégiés jusque dans les repas de la communauté, où la participation à un seul pain devait signifier que Christ les avait fait tous un, ils détruisaient de fait l'Église en tant que corps unique de Christ. C'était détruire l'Évangile même. D'où les paroles extrêmement fortes à leur égard concernant leur manière de traiter les pauvres de la communauté, paroles qui en même temps exprimaient ce que devait être une juste compréhension du Repas du Seigneur.
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Pour ajouter au commentaire de FEE, je dirais que la façon classique de lire ce passage hors contexte fait passer à côté des choses sur lesquelles Paul veut mettre l'accent.
Et met l'accent sur d'autres points qui nous tiennent plus à cœur que le sens du texte lui-même, quand bien même ce serait "pour la bonne cause" et pas entièrement faux.
L'interprétation des versets 27 à 28 comme d'un appel à un examen de soi approfondi avant de prendre le repas du Seigneur sous peine des pires conséquences est justement blâmée par G. FEE.
Paul ne veut certes pas dire qu'on puisse participer à la légère au Repas du Seigneur ou sans avoir la conscience de ce qu'il représente.
Est-il besoin de le dire ?
Mais il vaut mieux chercher cette pensée dans d'autres textes que celui-ci.
Il faut d'abord passer par Corinthe.